Jamais depuis les indépendances, les frontières politiques n’ont été à ce point source d’un repli sur soi même si un accord sur une zone de libre-échange continentale africaine ( ZLECA).
En Afrique, l’écart entre les discours, voire les décisions, concernant la liberté de circulation des biens et des personnes et les dures réalités de terrain n’a jamais été aussi grand. L’apparente unanimité sur la nécessité d’abolir les barrières douanières et de créer un marché unique se heurte à la géopolitique.
La liberté des échanges compromise
Lors du dernier sommet de l’Union africaine, à Niamey le 7 juillet 2019, beaucoup de responsables africains ont célébré les décisions tendant à l’élimination des obstacles à l’intégration économique, en prônant notamment l’ouverture des frontières afin de faciliter la libre circulation des biens et des personnes. L’accord sur une zone de libre-échange continentale africaine ( ZLECA), conçu en 2012, est entré en vigueur, le 30 mai 2019, avec la ratification du seuil de plus de 24 États. Avec la signature du Nigeria, longtemps réticent, il y a désormais une quasi unanimité continentale pour cette zone de libre-échange dont seule l’Érythrée est exclue.
Le marché unique africain concerne 1,2 milliard de personnes pour un espace de 30 millions de km2. Le démantèlement tarifaire nécessitera évidemment d’importants accommodements juridiques, politiques et économiques et des ajustements tarifaires dans chacun des États membres. La ZLECA devrait stimuler le commerce, l’industrialisation, la croissance économique, une intégration à la mondialisation et elle pourrait devenir un moteur pour le développement. Encore faudra-t-il renforcer les capacités dans les domaines douanier, judiciaire et macro économique, harmoniser les législations, développer les infrastructures routières, aéroportuaires et ferroviaires, lutter contre la corruption endémique, s’attaquer aux barrières non tarifaires et surtout avoir une politique commune consensuelle.
Les frontières de plus en plus en question
Les difficultés voire l’échec du Nouveau partenariat économique pour l’Afrique ( Nepad), qui est devenu en 2018 l’Agence de développement de l’Union africaine, doivent être médités, d’autant que le terrorisme transnational progresse aussi bien au Sahel qu’en Afrique centrale et que les relations de bon voisinage sont impactées par une insécurité grandissante.
La plupart des frontières du continent africain ont été tracées jadis par les puissances coloniales, loin des intérêts des populations, dont les communautés éthniques, linguistiques et leurs activités économiques se trouvent encore souvent séparées par cette ligne imaginaire, qu’est la frontière. Ces limites territoriales artificielles constituent néanmoins un dogme de l’Union africaine avec le principe de l’intangibilité des frontières, même si l’Érythrée et le Soudan du sud ont brisé ce principe et que le statut du Sahara occidental attend encore une solution définitive. Ces dernières années, plusieurs États ont implosé à la suite de guerres civiles, comme la Somalie, la Libye et le Soudan, d’autres ne souscrivent plus aux conditions juridiques de l’existence d’un État, avec l’aveuglement de l’ONU et de l’Union africaine, comme la Centrafrique et le Mali, pays largement contrôlés par des groupes armés et où l’état de droit a disparu, enfin plusieurs États connaissent des fractures mortifères où même le vouloir-vivre collectif est remis en cause comme au Cameroun, en Éthiopie, au Tchad et au Soudan. Dans ce contexte, la question transversale peule, allant du fleuve Sénégal au Nil, et les mouvements se réclamant du djihadisme et de sectes pseudo religieuses comme Boko Haram, les Shebabs et l’Armée de Résistance du Seigneur, s’attaquent aux derniers fondements étatiques au Sahel, en Afrique centrale et en Afrique australe.
La fermeture des frontières est surtout politique
La porosité des frontières en Afrique est le simple reflet de la faiblesse des États. Comment contrôler une frontière, alors que les moyens humains et financiers pour le faire sont dérisoires ?
Lorsque les tensions entre deux États voisins deviennent assez fortes, l’un ou l’autre décréte la fermeture de la frontière terrestre. La circulation des biens et des personnes s’en trouve évidemment très affectée, mais les trafiquants et les groupes rebelles ont des parades à ces actes qui sont plus juridiques qu’opérationnels. Ces derniers mois, on assiste à une multiplication de ces actes de défiance, peu compatible avec la ZLECA. On peut citer la fermeture de facto de la frontière entre le Cameroun et le Nigeria, entre le Maroc et l’Algérie, les fermetures de frontières officielles entre l’Ouganda et le Rwanda, entre le Soudan avec la Libye et la Centrafrique, entre le Tchad et la Centrafrique, entre le Nigeria et le Bénin, entre le Nigeria et le Niger.
La Guinée-Équatoriale érige un mur, à la frontière avec le Cameroun entre Campos et Ebeyin, pour stopper le flux des migrants ouest-africains musulmans tandis que la Mauritanie réactive un mur de sable au nord de Zouérate, afin d’arrêter les mouvements de trafiquants Sahrouis venant de Tindouf, en Algérie.
Dans ce contexte de multiples tensions interétatiques, de progression alarmante de l’insécurité transnationale au Sahel, de la multiplication de sanctuaires de groupes armés chez les voisins et de la crise de l’État, accélérée par l’incurie de dirigeants corrompus, on ne peut que s’interroger sur l’opérationalité de cette ZLECA et, même au-delà, sur l’avenir du continent qui pourrait surtout exporter des migrants et étendre les trafics transnationaux.