Depuis octobre 2023, face aux violences et exactions commis par les militaires maliens (FAMAS) et les mercenaires russes de Wagner, mais aussi par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSMI) des dizaines de milliers de Maliens fuient leur pays pour se réfugier en Mauritanie. Ils seraient 350 000 actuellement, dont 120 000 dans le camp de réfugiés de Mbera, situé au sud-est du pays, près de la frontière malienne.
Le haut cadre d’une ONG que nous avons rencontré discrètement à Nouakchott considère que pour la première fois en Afrique « une émanation d’Al-Qaïda s’apprête à s’emparer du pouvoir dans les frontières d’un État reconnu », comme l’a écrit le 22 mai dernier sur Mondafrique, Abdel Nasser Ould Ethmane Elyessa, consultant en enjeux civils du contre-terrorisme (1) Or ce connaisseur de l’Afrique avec lequel nous avons en un entretien parcourt le Sahel depuis de très nombreuses années. Mais pour des raisons de sécurité, pour lui et sa famille, comme pour ses collaborateurs au Mali, au Burkina Faso, au Niger, il se voit contraint de conserver l’anonymat.
Ian Hamel, envoyé spécial en Mauritanie
Mondafrique La situation ne cesse de se dégrader au Mali. L’armée, soutenue par des mercenaires russes, sans autre forme de procès, exécutent des civils dans les régions suspectées de complaisance avec les groupes armés. Quant au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), il augmenterait ses activités de façon exponentielle, et tenterait, selon certaines sources, de pénétrer en Mauritanie et au Sénégal.
Comme certaines ONG de défense des Droits Humains (Human Rights Watch, Amnesty International) ne peuvent plus travailler et enquêter au Mali, les récits d’exactions, de massacres, sortent plus difficilement qu’avant de Mauritanie. Très clairement, depuis l’arrivée des Russes, un palier a été franchi dans l’horreur : ils torturent, ils violent, ils tuent, ils mutilent, brûlent les corps, ils décapitent avec l’objectif de faire fuir les populations afin que celles-ci cherchent ensuite à gagner l’Europe. Serait-ce un calcul de Moscou dont l’objectif à terme serait de mettre la pression sur l’Occident, en ne laissant plus d’autres choix aux Maliens de chercher à migrer de manière irrégulière vers l’Europe ?
La Mauritanie est en première ligne pour accueillir les migrants venus du Mali, du Burkina Faso, du Niger. Et avec les îles Canaries, l’Espagne est la première touchée en Europe par les “boat people“, maintenant que les routes par la Méditerranée sont bloquées. D’où une présence très importante de Madrid.

L’Espagne coopère intensivement avec la Mauritanie pour renforcer les capacités des autorités locales dans la lutte contre le trafic des êtres humains, le trafic illicite de migrants. Le camp de Mbera accueille 120 000 personnes, la limite de sa capacité. Au total, près de 350 000 réfugiés sont installés près de la frontière malienne. Ce sont principalement des Maliens, mais aussi parfois des Mauritaniens, qui vivaient au Mali et qui sont contraints de retourner dans leur pays.
Mondafrique. On peut supposer que le but n’est pas pour ces réfugiés qui fuient les violences côté malien de se rendre à Nouakchott ou à Nouadhibou pour tenter ensuite de prendre une barque pour rejoindre les Canaries.
De nombreuses ONG ainsi que plusieurs agences des Nations Unies combinent des actions d’urgence avec des programmes de développement à long terme, axés notamment sur la sécurité alimentaire. Cela passe aussi par la construction de nouvelles infrastructures (puits, forages, réseaux d’eau), la purification des sources d’eau contaminées, la construction de sites d’abreuvement pour le bétail. La construction de centres de santé, d’écoles. Sans oublier la prise en charge de la malnutrition, la promotion de meilleures habitudes d’hygiène. Ces réfugiés n’envisagent pas actuellement de retourner chez eux pour les raisons invoquées. L’Espagne est aussi en tête pour mener des actions de développement en Mauritanie.
Mondafrique. Comment se passe l’accueil des réfugiés par les populations locales ?
Malgré les faibles ressources naturelles de la région du Hodh Chargui, les populations locales acceptent naturellement de recevoir les réfugiés maliens, qui arrivent souvent avec leurs animaux. Ce n’est pourtant pas évident, dans un village d’un demi-millier d’âmes, de voir débarquer plusieurs milliers de malheureux qui ont tout perdu. Il est très important de distinguer deux problématiques très différentes. Celle des réfugiés qui fuient les violences et exactions et viennent trouver refuge au sud-est de la Mauritanie, et qui n’ont qu’un objectif, rejoindre leurs villages, leurs terres au Mali pour les cultiver. Et celle des migrants qui fuient la crise économique qui sévit particulièrement à Bamako et cherchent à migrer vers l’Espagne en passant par les îles Canaries.
Mondafrique Selon une étude du Timbuktu Institute, le GSIM tente de couper les routes d’approvisionnement vers Bamako.
Les islamistes contrôlent de plus en plus de régions autour de la capitale malienne, notamment les axes qui mènent aux ports d’Abidjan en Côte d’Ivoire et Dakar au Sénégal. Ils agissent comme les talibans en Afghanistan qui ont réussi, petit à petit, à encercler Kaboul. Le chaos n’est plus très loin dans cette partie du Sahel (Mauritanie, Burkina Faso, Niger) peuplée de 70 millions d’habitants. On peut malheureusement s’attendre au pire.
(1) « Le scénario noir d’un califat djihadiste au Sahel est désormais possible »
Le scénario noir d’un État djihadiste au Sahel est désormais possible