On assiste à une coopération incontestable entre la France et l’Algérie en vue notamment de résoudre les graves crises que traversent le Mali et la Libye
Un échange téléphonique entre les Président Tebboune et Macron, rendu public, a marqué officiellement la fin de la brouille qui avait marqué les relations entre Paris et Alger sous le règne de l’ancien chef d’état major, Gaïd Salah, qui avait mis fin à la Présidence d’Abdelaziz Bouteflika avant de décéder brutalement le 23 décembre dernier .« Dans l’esprit d’amitié, de coopération et de respect mutuel de leur souveraineté qui anime les relations entre la France et l’Algérie, ils ont notamment exprimé leur solidarité face à la pandémie Covid19, fait le point sur la situation au Sahel et en Libye et affirmer leur volonté de travailler ensemble pour la stabilité et la sécurité de la région », a constaté un communiqué de l’Elysée le 2 juin 2020. Le 9 juin, le porte parole de la Présidence algérienne rendait hommage au Président français Emmanuel Macron et a salué le rapprochement diplomatique récent entre la France et l’Algérie.
Les deux pays ont pour objectif la pacification de la bande sahélo sahélienne écumée par des groupes terroristes qui se recomposent, ces derniers mois, sur des critères doctrinaux et ethniques. La France et l’Algérie espère également unir leurs forces pour exister sur le dossier libyen qui semble leur échapper au profit de la Turquie et de la Russie.
Le Sahel, un enjeu Stratégique
La bande sahélo sahélienne comprend plusieurs états (Mauritanie, Mali, Niger, Tchad) proies à la violence terroriste depuis 2011, date de la destruction de la Jamahiriya Libyenne. Convoité par les puissances, un pays, le Mali, paie les frais pour l’ensemble de la région.
La déstabilisation affecte en premier l’Etat Malien dont le nord passe au contrôle des groupes armés d’obédience indépendantiste et islamiste (MNLA, le mouvement « Ansar Dine » de Iyade Agha Ghali, le Mujao du Mauritanien Mohamed Kheirou ou encore Aqmi de Droudkal qui a été liquidé par les forces françaises la semaine dernière).
En 2013, l’opération Berkhane, pilotée par l’armée française et les forces du G5 sahel, avait redéfini les rapports des forces et imposé aux groupes terroristes une recomposition. Les offensives de l’Armée Française, et du G5, affaiblissent les groupes armés qui se subdivisent pour se reconfigurer sur des clivages doctrino-ethnique. C’est dans ce sillage que le Mujao s’allie aux « signataires avec le sang » pour devenir « Al Mourabitounes ». Sur le terrain, les groupes armés s’éparpillent et étendent leur périmètre opérationnel au Boukrina Faso, Nigéria, Cameroun soumettant les pays de l’Afrique de l’ouest à une large coopération dans la lutte antiterroriste.
Les USA, de leur côté, s’intéressent à la région et installent une base de Drones au Niger pour traquer les chefs terroristes avec la même stratégie militaire opérée déjà au Yémen, Pakistan, Philippine, par élimination ciblée. Tout récemment, le 27 mars passé et à l’initiative de la France, 5 pays Européens (Belgique, Danemark, Estonie, Hollande, Portugal) intègrent la task Force Takuba, un programme militaire pouvant atteindre sa « pleine capacité opérationnel » qu’en 2021. Elle est sous le commandement militaire français basé à Ndjamina et opère dans l’axe Liptako-Gourma à cheval sur trois frontières Mali, Bourkina, Niger.
L’engagement algérien
L’Algérie, allié passif en apparence, s’est engagée lors de la conférence de Berlin de contribuer à la pacification du nord Mali et coopérer en Libye qu’elle considère comme de ses profondeurs Stratégiques. Elle vient d’offrir 53 véhicules de logistiques, de combats, de transmission, et de transport de troupes à l’armée malienne. L’armée algérienne connait bien le terrain pour avoir contenu à deux reprises les crises séparatistes au Mali. Elle imposa les accords de Tamanrasset le 06 juin 1991 comme ceux d’Alger en 2015 avec la coordination des mouvements de l’Azawad.
Avec la réforme constitutionnelle en cours, l’armée algérienne peut désormais intervenir au-delà de ses frontières. L’expérience initiée par l’ANP du CEMOC « comité d’état-major opérationnel conjoint) installé à Tamanrasset le 21 Avril 2010 regroupant les armées malienne, nigérienne, mauritanienne peut être remise en action. L’intervention française Serval a mis fin aux efforts du CEMOC au Sahel en février 2013. Gaid Salah en garda une rancune profonde. Le ministre de la défense algérien, le général Gaid Salah, a fini par l’exprimer ouvertement après la chute des Bouteflika très enclins aux concessions de tout genre avec l’ancienne puissance coloniale. Il a réussi à mobiliser les chefs de région, réunis à Ouargla en Avril 2019, sous la thématique du respect de la souveraineté pour enfin appliquer l’article 102 destituant Bouteflika.
L’axe franco algérien
La France souhaite impliquer l’Algérie dans le nord Mali pour une solution politique négociée. Cette requête a été proposée par Paris auprès de ses partenaires européens en préparation de la conférence de Berlin. Fraichement élu, le président algérien Tebboune ne peut rêver de telle opportunité pour combler son manque de légitimité sur le plan intérieur et son absence de crédibilité internationale.
Pour la France, l’implantation des groupes armés, sur l’Axe Soum Liptako Macina (aux lisières des frontières Mali, Niger, Burkina-Faso) est source d’une inquiétude profonde. Une menace géostratégique prise au sérieux par les Etats majors à Paris. Les Djihadistes Peuls du sud ont la capacité d’élargir leur périmètre opérationnel au Benin, Togo, Ghana, Cote d’Ivoire, voire même faire jonction avec Boko Haram au nord du Nigéria dans l’Etat de Borno.
Ayant défrayé la chronique ces dix dernières années, Boko Haram dont le chef Aboubakar Shikaru est contesté traverse une crise de leadership,. Certains groupes issus de la tribu des Kanouris, restent fidèles au corpus Salafiste original, ils aspirent à des alliances doctrinales. Les peuls, peuple pastoral, offre dans cette conjoncture une opportunité inespérée par leur présence au nord Nigéria et dans toute l’Afrique de l’ouest. Le peuple peul a joué un rôle important dans la diffusion de l’Islam en Afrique, par son activité pastorale, par l’érudition de ses prédicateurs et par sa langue parlée dans plus de 20 pays d’Afrique de l’Ouest.
Pour l’Algérie la solution, au Mali comme en Libye, ne peut émaner que des protagonistes nationaux impliqués directement dans le conflit. L’existence d’un chef islamiste algérien, Abdelmalek Droukdel, dans la crise malienne était un caillou dans la chaussure d’Alger. On comprend mieux pourquoi Alger à aider l’armée française à cibler puis à abattre le chef terroriste (voir notre article ci dessous). . La présence de Daech aux frontières au sud du pays est également perçue comme une menace imminente. Les attentats de Tamanrasset du 03 mars 2012 contre la gendarmerie perpétrée par le Mujao, qui s’est dissout dans Daech, et celui de 18 novembre 2019 contre l’armée et revendiqué par la même organisation, oblige l’ANP à sécuriser la région en profondeur. Désormais, des ratissages communs avec l’armée malien, disposant du matériel militaire algérien, seraient possible dans un futur proche.
Les forces spéciales algériennes s’activent déjà dans la plus grande discrétion au nord du Mali en concertation avec les armées malienne et française. Comme dans le passé, les services algériens auront besoin d’alliés Islamistes locaux. Comme avant, ils retrouveront leur vieille connaissance, le Tergui de la tribu Iforas Iyad Agha ghali ancien chef d’Ansar Eddine.
Mais, ils appréhendent les agissements de son allié le Peul Ahmadou Koufa chef de la Katiba Macina. Or les deux chefs islamistes sont alliés dans un partenariat ethnico-doctrinal en cours de négociation avancée avec l’Etat malien via des relais locaux. Les deux alliés continuent de combattre ensemble sous l’étendard d’Al Qaida contre Daech et ses groupes hétéroclites dénommé « Etat Islamique dans le grand Sahara ».