Les modernistes africains à l’honneur à Londres le 20 mars

Le réseau international de collectionneurs réunis par Bonhams orchestrera le 20 mars 2025 à Londres une vente exceptionnelle dédiée à l’Art Moderne & Contemporain Africain. Cette manifestation révèle des œuvres emblématiques du modernisme africain, témoins d’un patrimoine artistique longtemps méconnu sur la scène internationale. Parmi les pièces maîtresses, The Artist’s Brother de Gerard Sekoto, une peinture rare de sa période sud-africaine ayant contribué à financer son exil à Paris, ainsi que des toiles de Ben Enwonwu et Alexander ‘Skunder’ Boghossian. 

Gerard Sekoto (South African, 1913-1993) The Artist’s Brother – Estimation 100,000 – 150,000. dollars

L’ascension fulgurante du marché de l’art africain ces dernières années traduit non pas une mode éphémère, mais une réévaluation fondamentale d’artistes injustement marginalisés. La maison Bonhams, fidèle à son engagement depuis plusieurs années, poursuit cette mise en lumière à travers une sélection méticuleuse d’œuvres rares et significatives. Cette vente s’inscrit dans un contexte de reconnaissance institutionnelle accrue, avec des expositions majeures consacrées à l’art africain dans les musées internationaux et une présence renforcée dans les foires d’art contemporain.

Des œuvres pivots, témoins d’histoire

Alexander ‘Skunder’ Boghossian (Ethiopian, 1937-2003), Happy Hour 14th + U St D.C. –  Estimation: £10,000-15,000.

The Artist’s Brother (1945-1947) de Gerard Sekoto émerge comme pièce maîtresse de cette vente. Ce tableau, créé dans une banlieue de Pretoria alors que l’artiste résidait à Eastwood, immortalise son frère Bernard dans l’atelier du peintre. L’œuvre frappe par sa composition audacieuse et sa tension entre traditions africaines et modernité urbaine – symbolisée par la juxtaposition d’un tapis en fibres naturelles et de mobilier contemporain. La posture volontairement torsadée du sujet témoigne des expérimentations formelles que Sekoto poursuivait à cette époque charnière de sa carrière.

Au-delà de ses qualités esthétiques, cette toile marque un tournant biographique crucial. Vendue en 1947 à la Christie’s Gallery de Pretoria, elle finança l’exil volontaire de Sekoto vers Paris, fuyant l’intensification de la ségrégation raciale dans son pays natal. Estimée entre 100 000 et 150 000 £, elle incarne ce moment décisif où l’artiste dut choisir entre sa terre et sa liberté créatrice. Ce choix déterminant conduira Sekoto à devenir l’un des artistes africains les plus influents de son temps, malgré les difficultés de l’exil et l’éloignement de ses sources d’inspiration originelles.

Dance Movement (1985) de Ben Enwonwu capture l’essence du modernisme nigérian à travers une femme africaine tourbillonnant parmi d’autres danseuses. Cette composition vibrante illustre l’attachement de l’artiste aux principes de la Négritude, mouvement intellectuel qu’il traduisit visuellement tout au long de sa carrière. La toile appartient à une période tardive de sa production, où l’artiste revisitait avec maîtrise les thèmes qui avaient jalonné son parcours. Le ciel tourbillonnant et les touches lumineuses de jaune révèlent une influence impressionniste subtilement intégrée à une vision profondément ancrée dans les traditions nigérianes.

L’expression du corps et de l’identité africaine

Benedict Chukwukadibia Enwonwu M.B.E (Nigerian, 1917-1994) Dance Movement – Estimation: £120,000-180,000.

L’abstraction fluide de la silhouette centrale dans l’œuvre d’Enwonwu, la palette lumineuse et la présence subtile d’un gele (coiffe traditionnelle) évoquent ses célèbres portraits de femmes yoruba, notamment sa série Tutu qui connut une redécouverte spectaculaire ces dernières années. Cette œuvre, estimée entre 120 000 et 180 000 £, témoigne de sa quête esthétique alliant élégance formelle et enracinement culturel. Pour Enwonwu, la danse constituait un motif récurrent, symbole de vitalité culturelle et d’affirmation identitaire dans un contexte post-colonial complexe.

Plus ancienne mais tout aussi significative, Agbogho Mmuo (1949) illustre l’évolution stylistique d’Enwonwu vers une abstraction plus affirmée. Inspirée des mascarades traditionnelles igbo, où de jeunes danseuses incarnent des esprits féminins porteurs de beauté et de vertu, cette toile traduit le mouvement des corps à travers des coups de pinceau dynamiques et une palette audacieuse. Estimée entre 160 000 et 220 000 £, elle préfigure les recherches de l’artiste sur le corps en mouvement et l’incorporation d’éléments spirituels traditionnels dans un langage pictural moderniste.

La vente inclut également des œuvres majeures d’Alexander ‘Skunder’ Boghossian, dont la fusion unique d’influences éthiopiennes et surréalistes enrichit ce panorama du modernisme africain. Formé entre Addis-Abeba et Paris, Boghossian développa un langage visuel syncrétique, mêlant manuscrits coptes, motifs traditionnels éthiopiens et esthétique surréaliste. Ses compositions denses et mystérieuses témoignent d’une spiritualité profondément ancrée dans la culture éthiopienne tout en dialoguant avec les avant-gardes occidentales.

Cette sélection dévoile la diversité exceptionnelle de la création africaine à travers générations et mouvements artistiques – du réalisme social de Sekoto aux explorations identitaires d’Enwonwu, en passant par l’univers symbolique de Boghossian. Elle offre ainsi une occasion rare d’appréhender l’héritage artistique d’un continent dont l’influence sur l’art mondial ne cesse de s’affirmer.

 

 

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