Les médecins marocains ont entamé une grève illimité le 2 octobre dernier. En cause, un projet de « service sanitaire obligatoire » contraignant les docteurs à exercer dans les régions reculées du pays.
Le torchon brûle depuis le début de l’année au Maroc entre l’actuel Ministre de la Santé Elhabib El Ouardi et les étudiants, internes et résidents en médecine. En cause, un train de mesures controversées adoptées par le ministère sans concertation avec les syndicats. La décision d’imposer un « service civil obligatoire » destiné à contraindre les médecins à travailler dans les régions lointaines et enclavées du pays est de loin l’initiative la plus décriée. Au point de provoquer un boycott dans les universités de médecine et de déclencher une grève illimitée des résidents dans ce domaine.
Service dénigré
En partie inspirées par les recommandations de la Banque mondiale, les décisions du ministère font par ailleurs craindre une privatisation progressive du secteur de la santé et la dégradation des conditions de travail des médecins. « On a changé mon contrat avec l’Etat, sans me demander mon avis, et en m’imposant des conditions de travail très difficiles. Comme par exemple enchaîner 72 heures de garde, sans récupération », tempête un résident chirurgien, affecté aux Services des Grands Brûlés du CHU de Casablanca.
Pour Tarik El Moutawakkil, résident en urologie et président de l’Association des Médecins Résidents de Casablanca (ARC): “les nouvelles recommandations de la banque mondiale impliquent la diminution de la masse salariale dans les secteurs de l’Enseignement et de la Santé. Et c’est justement à ce moment qu’apparaît une loi « miracle », qui mobilise, sous couvert d’un “Service Civile Obligatoire”, 2000 fonctionnaires de santé dans les régions reculées du pays”.
La grogne monte parmis les médecins qui redoutent de perdre les avantages attachés à leur statut. “La campagne menée contre nous est grave. C’est “attaquer les médecins par le bas” et “désacraliser” ce métier”, regrettent des étudiants. “Nous négocions avec des gens dont le sort de notre diplôme est entre les mains. Autant dire qu’il n’y a pas de marge de négociation possible”, développe pour sa part un résident.
Sur les réseaux sociaux, les critiques contre les médecins qui rechignent à s’installer dans les régions marocaines sont pourtant nombreuses. Qualifiés d’ « enfants gâtés », les grévistes se voient même parfois accusés d’antipatriotisme.
Racines anciennes
Face à cette vague de colère, le Ministre de la santé El Ouardi ne cède pas à la menace d’une année blanche de toute une promotion de futurs médecins et multiplie les sorties “coup de poing” dans la presse.
S’il fait couler beaucoup d’encre aujourd’hui, ce mouvement a toutefois des racines anciennes. Déjà sous le gouvernement de l’ancien premier ministre Abbas El Fassi, des discussions avaient été ouvertes, sans résultat. L’actuel gouvernement Benkirane semble lui emboiter le pas. “Certes, plusieurs points d’accord avaient vu le jour avec la Ministre de la Santé de l’époque, Yasmina Baddou, mais, sur le plan pratique, rien n’a été réalisé. Lors de sa prise de fonction, l’actuel Ministre en charge, El Ouardi, avait agréé à ces points. Qui sont également restés sans suite”, précise Tarik El Moutawakkil.
Les futurs médecins remettent en cause la “bonne foi” des arguments avancés concernant les affectations dans les régions de l’intérieur du pays. “Depuis toujours, même du temps du Ministre de la Santé Khayari, il y avait des affectations dans les provinces reculées. J’ai moi-même passé 3 années dans les montagnes enclavées, sans route d’accès aménagée pour y parvenir”, ajoute le président de l’ARC.
“L’Etat ne donne pas de cadre légal pour travailler dans les régions. Du coup, les étudiants multiplient les associations et organisent des caravanes de la santé dans les régions, de leur propre chef et pour lutter contre l’enclavement, sans que cela ne coûte un centime à l’Etat! » relève pour sa part un résident en médecine.
Pour plusieurs futurs médecins ces nouvelles mesures servent des objectifs bien précis. “Au bout de deux années, le médecin aura perdu la “main”. Sans cabinet ni clientèle, il sera au chômage et devra trouver à s’employer dans les cliniques privées, dont le capital a été ouvert aux investisseurs non-médecins.
Le risque que des logiques financières interferent dans des “décisions scientifiques”, au dépens du malade, est réel. Par ailleurs, beaucoup voient dans ces mesures une volonté de “casser” l’hôpital public. “Si nous travaillons dans des conditions impossibles au Centre Hospitalier de Casablanca, sans gants, fil de suture ou anesthésiant, comment voulez vous que l’on puisse travailler dans les régions où l’on ne dispose même pas du strict minimum nécessaire pour accomplir notre travail”, s’interroge un médecin.
Au royaume chérifien, la santé est-elle un business comme les autres ?