« Rien ne bouge dans les mauvaises relations que nous avons avec la France,mais nous gardons espoir», explique l’ambassadeur de la Guinée équatoriale en France, Miguel Oyono Ndong Mifumu.
Longtemps excellentes, les relations entre la France et la Guinée équatoriale ont connu une forte dégradation au moment de l’intervention française en Libye en 2011. Elles restent sérieusement plombées par le dossier des biens mal acquis et l’implication de Français dans la tentative de coup d’Etat de 2017 contre le pouvoir guinéen.
L’ambassadeur de Guinée équatoriale en France, Miguel Oyono Ndong Mifumu, revient avec Mondafrique sur ces relations très difficiles et souhaite une rencontre au sommet entre les deux présidents guinéen et français.
Mondafrique. Les relations entre la France et la Guinée équatoriale se sont de nouveau brutalement tendues lorsque vous avez révélé que des Français étaient impliqués dans la tentative de coup d’Etat de décembre 2017. Qu’en est-il exactement ?
Miguel Oyono Ndong Mifumu. Je tiens à rappeler l’extrême gravité des faits. Au Noël 2017, le Cameroun a arrêté une quarantaine de mercenaires centrafricains et tchadiens qui tentaient de pénétrer en Guinée équatoriale. Les premiers interrogatoires ont révélé que leur objectif était d’assassiner le président Obiang ainsi que toute sa famille.
Une enquête judiciaire a été lancée et le Cameroun, la Centrafrique ainsi que le Tchad collaborent. Elle révèle que cette tentative d’invasion mercenaire a été préparée en France, financée depuis la France et que des ressortissants français sont impliqués. Il y a aussi un proche du président centrafricain du nom de Sani Yalo et un général tchadien, Mahamat Kodo Bani Godi, qui a servi quinze ans auprès du président Idriss Déby, qui sont dedans. Sans oublier des Equato-guinéens en exil dont l’opposant Salomon Abeso, identifié comme le cerveau de l’opération, et le Français Dominique Calace de Ferluc, conseiller d’Abeso et de son groupe, identifié comme l’organisateur du coup.
Nous les jugerons tous lors d’un procès en Guinée équatoriale et nous rendrons alors publiques les preuves dont nous disposons y compris celles concernant les Français.
Mondafrique. L’autre dossier qui fâche est celui des BMA (biens mal acquis), ces procédures judiciaires lancées en France contre plusieurs chefs d’Etat africains accusés de s’être enrichis aux dépens de leurs peuples. Avec le recul, quelle analyse en faites-vous ?
Miguel Oyono Ndong Mifumu. Nous sommes convaincus que cette crise a été montée de toutes pièces par des groupes de pression et des ONG qui obéissaient à des intérêts financiers inavouables. Par exemple, Severo Moto, un des membres de la Cored (coalition d’opposition de Guinée équatoriale), qui s’est portée partie civile en 2015 dans le dossier, est mêlé à la tentative de coup d’Etat de 2004, orchestrée par le mercenaire sud-africain Simon Mann.
Au cours du procès de cette tentative de coup, nous avons révélé son financement par le Libanais Ely Calil, alors en relation avec le milliardaire américain Georges Soros et Mark Tatcher, le fils de Margaret Tatcher. Nous pensons que les BMA ne défendaient pas des intérêts français.
Mondafrique. La rumeur dit que de nombreux intermédiaires douteux vous ont proposé leurs services pour résoudre cette crise. Est-ce vrai ?
Miguel Oyono Ndong Mifumu. Oh que oui… Nous avons été contactés par tout un tas d’avocats et de barbouzes qui affirmaient être capables de nous aider. Il y a notamment cet avocat français, proche de François Hollande, qui, en septembre 2016, nous a pris 145 000 euros en nous promettant de trouver une solution à l’amiable auprès des autorités politiques françaises. Nous attendons toujours son intermédiation… Ou cet autre avocat qui nous a promis que, moyennant 10 millions d’euros, il résoudrait la crise des BMA. Nous lui avons ironiquement répondu que nous payerions en cas de succès. C’était une tentative d’escroquerie de plus.
Mondafrique. Les relations de la Guinée équatoriale avec la France sont notoirement exécrables depuis les BMA. Mais comment ces relations ont-elles débuté ?
Miguel Oyono Ndong Mifumu Elles ont débuté à notre indépendance, en 1968. Elles ont longtemps été excellentes et en tout cas meilleures qu’avec l’ancienne puissance coloniale espagnole. La France était le seul pays à avoir un ambassadeur plénipotentiaire en Guinée équatoriale.
Mondafrique. Les premières crispations sont intervenues autour du pétrolier Elf…
Miguel Oyono Ndong Mifumu. Entre 1980 et 1990, Elf a mené des explorations en Guinée équatoriale pour voir si, comme nos voisins, nous avions du pétrole. Mais Elf nous a fait savoir qu’ils n’ont pas trouvé de réserves significatives. Nous étions désespérés car le sous-sol de nos voisins en regorgeait ! En 1990, grâce à l’ambassadeur des Etats-Unis, on a fait venir une petite société texane qui a mené des explorations. En un an à peine, elle a découvert un immense gisement. Comme elle n’avait pas la capacité de l’exploiter, nous sommes tombés d’accord pour nous tourner vers la major Mobil.
Mondafrique. Comment expliquez-vous que Elf n’ait pas trouvé de pétrole ?
Miguel Oyono Ndong Mifumu. La Guinée équatoriale n’était pas la priorité d’Elf, contrairement au Gabon, au Congo ou à l’Angola. Mais pour autant on n’a pas renvoyé les Français chez eux. On a rejoint le franc CFA en 1985 puis la Francophonie en 1989. On a aussi fait venir la Société Générale, Orange, Sogea, Vinci… Quant à Total, ils ont aujourd’hui le monopole de la distribution pétrolière.
Mondafrique. Comment ont été les relations politiques avec les différents présidents français ?
Miguel Oyono Ndong Mifumu. Valéry Giscard d’Estaing, nous l’avons peu connu puisque le Président Obiang est arrivé au pouvoir en 1979. Avec François Mitterrand, les relations ont été excellentes et il a reçu à plusieurs reprises le Président Obiang. En 1985, il l’a même invité à la cérémonie du 14 juillet.
Avec Jacques Chirac, tout s’est aussi très bien passé. Les problèmes ont commencé avec Nicolas Sarkozy. Certes il a reçu le Président Obiang en 2007 à l’Elysée. Nous lui avons dit que nous ne voulions pas d’aides mais un partenariat gagnant-gagnant.
Mondafrique. Qu’est-ce qui a enrayé la machine avec Nicolas Sarkozy ?
Miguel Oyono Ndong Mifumu. Les problèmes ont commencé en 2011 lors de l’intervention en Libye. Obiang était alors le Président en exercice de l’Union africaine et il n’a pas validé les frappes en Libye. Il a même parlé avec le colonel Kadhafi et lui a dit qu’il lui envoyait une équipe de cinq chefs d’Etats africains, dont Jacob Zuma d’Afrique du Sud, pour trouver un accord de paix. Mais Nicolas Sarkozy s’y est opposé et les frappes ont, de toutes les façons, débuté.
Par la suite, Sarkozy a même menacé de s’en prendre aux « dictateurs« d’Afrique centrale en mentionnant le nom d’Obiang. Puis, le fameux dossier dit des biens mal acquis, qui cible des dirigeants d’Afrique centrale, a débuté en impliquant la Guinée équatoriale.
Mondafrique. Et avec François Hollande ?
Miguel Oyono Ndong Mifumu. Le Président Hollande a vu le Président Obiang aux Nations Unies, en septembre 2014. Les deux hommes ont convenu de se revoir à Paris ou à Malabo. En tant qu’ambassadeur en France, j’ai présenté les lettres de créances au Président Hollande en octobre 2014. Au cours de notre entretien, il a réitéré la nécessité d’une rencontre entre les deux chefs d’Etat et, de surcroît, à Malabo. En janvier 2015, Annick Girardin, alors secrétaire d’Etat chargée du Développement et de la Francophonie, s’est rendue à Malabo pour préparer une éventuelle visite. Puis, plus rien. J’ai bien rencontré Hélène Le Gall, qui dirigeait la cellule Afrique de l’Elysée, mais elle est restée de marbre. Nous nous demandons ce que nous avons fait pour mériter pareil traitement.
Mondafrique. Est-ce que les choses s’arrangent avec Emmanuel Macron ?
Miguel Oyono Ndong Mifumu. Rien ne bouge pour le moment. J’ai été reçu au Quai d’Orsay et à l’Elysée pour leur dire que le Président Obiang sollicitait une rencontre avec le Président Macron mais je n’ai pas encore reçu de réponse.
Par ailleurs, la France tarde à coopérer dans l’enquête sur la tentative de coup d’Etat de 2017 alors que nous avons effectué une demande d’entraide judiciaire en bonne et due forme. Alors forcément, nous nous posons des questions mais nous gardons espoir.
Mondafrique. Il y a un autre sujet qui suscite la polémique en France : la succession du Président Obiang et la désignation de son fils, Teodoro, comme successeur…
Miguel Oyono Ndong Mifumu. Que les choses soient claires : d’une part, lors de la campagne présidentielle de 2016, le Président Obiang a manifesté sa volonté de prendre sa retraite à la fin de ce mandat qui s’achève en 2023 ; d’autre part, Teodoro Nguema Obiang Mangue ne sera pas intronisé par son père car nous ne sommes pas une monarchie. Et en cas de vacance du pouvoir, la constitution prévoit que ce soit le président du Sénat qui assume l’intérim. Après, croyez-moi ou pas, Teodoro Nguema Obiang Mangue est extrêmement populaire auprès des Equato-guinéens et des jeunes.
Mondafrique. Les ONG Human Rights Watch et Trial viennent de publier un rapport accablant sur des crimes commis par l’ancien président gambien Yahya Jammeh demandant à ce qu’il soit jugé. Or Jammeh est réfugié en Guinée équatoriale. Allez-vous l’extrader ?
Miguel Oyono Ndong Mifumu. Il faut revenir sur la crise gambienne de janvier 2017. Le Sénégal était prêt à attaquer la Gambie si Jammeh ne quittait pas le pouvoir. On était au bord d’un conflit armé ! Le président de Guinée Conakry, Alpha Condé, a effectué une mission de paix en Gambie au nom de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) mais aucun pays de cette organisation ne voulait accueillir Jammeh.
En pleine nuit, le Président Obiang a été contacté par le Président Condé qui lui a demandé avec insistance de prendre Jammeh. Obiang a accepté pour éviter une guerre. Le Sénégal n’a rien dit, ce qui montre que ce choix a mis fin à la crise. Pourtant, nous ne faisons pas partie de la CEDEAO, pas plus que nous n’étions partie prenante dans la crise gambienne.
Mondafrique. Et en ce qui concerne une éventuelle extradition de Yahya Jammeh ?
Miguel Oyono Ndong Mifumu. Le Président Condé qui était président en exercice de l’Union Africaine en janvier 2017 a été clair à l’époque : pas d’extradition pour Jammeh. A ce jour, la Guinée équatoriale n’a reçu aucune demande contraire d’un pays de l’Union africaine ou de la CEDEAO. Donc, nous ne comprenons pas pourquoi des ONG, non-africaines de surcroît, réclament son extradition alors que la Gambie ne le fait pas. Enfin, nous n’avons pas d’accords d’extradition avec la Gambie.
Propos recueillis par Nicolas Beau