Dans l’entretien accordé à Mondafrique, le Ben Laden français, Djamel Beghal, évoque son séjour à Kaboul où il croisa le chef d’Al-Qaida et ses tortures à Abou Dhabi. Ce doctrinaire (en prison) qui cherche désormais les voies d’un islamisme européen s’oppose à l’incurie de Tareq Ramadan
« La France, un pays que j’aimais », confesse Djamel Beghal dans cet entretien exclusif qu’il donne à Mondafrique. Cette tendresse pour la patrie supposée des droits de l’homme n’est plus de mise. Celui que les services ont surnommé « le Ben Laden français » a été en effet condamné à dix ans de prison en raison d’aveux extorqués à Abou Dhabi sous la torture, Comme l’explique Jacques Marie Bourget, auteur de cet entretien, dans un éditorial ( « Pourquoi Mondafrique donne la parole à un proche d’Al-Qaida »), le juge anti terroriste qui a instruit son dossier, Jean François Ricard, a lui même reconnu dans un entretien avec des diplomates américains révélé par Wikileaks, que la condamnation de Beghal reposait sur un dossier quasiment vide. « En novembre 2010, feuilletant Internet de façon machinale, écrit Bourget, je tombe soudain dans le Monde sur une information aussi incroyable qu’un poisson d’avril. « Le 9 mai 2005, l’ambassade narre une rencontre avec le juge Jean-François Ricard. Celui-ci explique que les magistrats tels que lui, spécialisés dans l’antiterrorisme, bénéficient du « bénéfice du doute ». Il prend comme exemple le dossier Djamel Beghal, arrêté en 2001 et soupçonné d’un projet d’attentat contre l’ambassade américaine à Paris. « Ricard dit que les preuves [contre lui et ses complices] ne seraient pas suffisantes normalement pour les condamner, mais il estime que ses services ont réussi grâce à leur réputation. »
Ce déni de justice justifie à lui seul que « Mondafrique » évoque la situation de Djamel Beghal, privé aujourd’hui de papiers d’identité après un procès tronqué et frappé d’interdit dans le monde entier. Son engagement passé en faveur d’Al-Qaida va de pair aujourd’hui avec le refus clair et net de franchir des lignes jaunes non négociables. Qu’il dénonce « Daech » et les GIA algériens s’en prenant aux populations civiles ou qu’il refuse avec vigueur toute forme d’antisémitisme.
Même si Beghal n’a jamais approuvé l’attentat des « twin towers » en 2001, il ne le condamne pas clairement. Ce que l’on condamne. Pour le reste et même s’il s’agit de combattre sa vision du monde, son propos clair et structuré mérite d’être entendu.
La Rédaction de Mondafrique
L’ENTRETIEN AVEC DJAMEL BEGHAL
Jacques Marie Bourget. Aujourd’hui en France, le mouvement de l’Union des Organisations Islamqiues de France (UOIF), imprégné par l’idéologie des Frères Musulmans et soutenu par le Qatar, est devenu l’interlocuteur privilégié des pouvoirs pubics et semble dominer l’organisation de l’Islam en France. Cette influence vous semble-t-elle positive? Et le représentant le plus médiatique de ce courant, Tariq Ramadan, squi vit entre Paris, Lodres et Doha joue-t-il un role utile ?
Djamel Beghal. Je serai bref, je n’ai aucune affinité avec ce personnage. Le grand-père et la grand-mère de Tariq Ramadan ont marqué l’histoire de la renaissance de l’Islam politique sous anesthésie coloniale. Son grand père, Cheikh Hassane Al-Bana’, a été la première étincelle après l’extinction du Califat du sultan Abdel Hamid en Turquie (1909-1924). Al-Bana’ a payé très cher sa bataille contre les sionistes. Nasser a su utiliser la naïveté légendaire des Frères Musulmans. On ne peut pas reprocher cette candeur aux premiers Frères, on ne peut avoir la même indulgence pour leurs successeurs.
Dans les années 90, j’enseignais le dogme à des jeunes tout en préparant avec eux l’action d’une association pour « Une immigration inversée ». Il s’agissait, auprès d’adultes, de faciliter l’acquisition des connaisssances sur une durée de 5 à 10 ans, tout celà afin de les préparer à retourner dans les pays où sont leurs racines, A fuir le racisme français, celui du Front National et autres. Politiquement ce projet était une « bombe », et le comportement des policiers des Renseignements Généraux d’Evry a failli me coûter la vie.
« Tout le propos de monsieur Ramadan baigne dans l’ignorance, la manipulation, le mensonge »
Quelques membres de notre groupe s’occupaient de la vidéothèque de Monsieur Ramadan. J’ai donc assisté à une de ses conférences… Une catastrophe sur le plan théologique. En contradiction profonde, manifeste et dangereuse, avec les fondamentaux de la religion. Tout son propos baignait dans l’ignorance criante et la manipulation par le mensonge. J’ai été révolté. J’ai pris Ramadan à part pour discuter de ses avaries intellectuelles et morales. Tout cela avant de me rendre compte, très vite, que son islamité était avariée. Le mal était profond.
Tout en étant convivial et magnanime avec lui, je lui ai proposé un débat « en interne » sur très nombreux litiges. A cette demande il a répondu en me tendant sa carte de visite avec son téléphone en Suisse…. Plus tard, étant en vacances à Saint Gervais, je suis parti en Suisse voisine où je n’ai pas pu le rencontrer. De son téléphone je n’ai jamais entendu qu’un éternel Biiiiiiiip Si je précise tout cela c’est qu’en 2002 le « Nouvel Obs » a publié un article me présentant comme celui qui écrivait des conférences pour le compte de Ramadan… C’était archi faux. Dès le départ nous étions opposés. Point être clair, Ramadan est un philosophe sophiste, ambigu, jouant sur les mots, jamais clair, jamais très franc. Il trompe ses interlocuteurs. Et cela est une attitude contraire à l’Islam qui se veut véridique, clair et honnête.
JMB Néanmoins les Frères Musulmans, un courant auquel appartient Ramadant, sont dans l’histoire récente la seule force religieuse ayant accédé au pouvoir, en Egypte et en Tunisie. La majorité qui gouverne en Turquie s’abrite sous la même bannière…
Pour comprendre il faut remonter le temps. Après l’extinction du Califat Ottoman, l’Angleterre après les avoirs trahis, a réussi à endormir les dirigeants et monarques arabes. La division de la Oumma et son déclin étaient tels qu’aucun espoir ne pouvait exister. Pourtant Cheikh Al Bana’ a fait surface avec son étendard, celui de la première expérience politico religieuse conduite, il faut le préciser, sous influence occidentale. Mais il a évolué. J’ai étudié ses épitres, conférences et pensées et constaté l’évolution politique dont je parle. Une évolution positive « islamiquement » parlant, une avancée politique et sociale. L’histoire lui accordera pardon et indulgence dus au novice. Lorsqu’il a commencé à prêcher un contenu nouveau, des idées auxquelles j’adhère aujourd’hui, il a été assassiné. Miséricorde à son âme.
Pour moi Sayi Qotb représente la maturité dogmatique et stratégique chez les « Frères ». Des lacunes sont décriées aujourd’hui, mais elles sont insignifiantes. Le patrimoine qu’il a écrit est un océan de savoir. Mais la machination de Nasser a décapité le mouvement. Et Sayid Qotb a été pendu ainsi que plusieurs cadres. Puis la Confrérie s’est divisée, c’est un moment capital de l’histoire. Est apparue Takfir wal Hijra, sous la guidance de feu Mustafa Chokri. Autre tendance celle qui prône la lutte politique pure sur une base de réforme et d’aides sociales. C’est cette branche qui est la plus forte aujourd’hui. Hélas elle a basculé dans une forme d’organisation structurelle semblable, poil par poil, à celle de la franc-maçonnerie ! Et cela perdure jusqu’à Mohamed Badia et Mohamed Morsi. Encore une fois honteusement condamnés à mort… comme leurs aïeux.
Cette tendance, celle qui a été au pouvoir après les « printemps » arabes, a perdu l’esprit, l’âme, le dogme et la distinction de tout ce qui « est » l’Islam. Ils ont pris des décisions contraires à l’islamité de base. D’un côté ils ont agi correctement en pénétrant le tissu social, mais tels des francs-maçons, ils ont visé à s’introduire aussi au cœur des sources des influences politique, financière, économique et universitaire. Au pouvoir, ils ont fait les mêmes erreurs que celles commises par leurs ancêtres. Ça tourne au ridicule ! Combien de fois se feront-ils jeter dans les geôles après avoir été bernés, laminés ? Ces Frères sont-ils sado masochistes ?
En retardant le retour de l’Islam à la gouvernance, ils sont beaucoup plus un frein qu’un accélérateur. Là-dessus il faut lire le livre du Docteur Dhawahiri, « La Moisson amère ». J’ai jadis discuté avec lui à Kaboul avant qu’il ne rejoigne Al-Qaëda, il était alors l’Emir du « Jihad Islamique » et avait une analyse très sévère sur la Confrérie. En tout cas, les Frères Musulmans à la Badia ou à la Morsi, et leur constellation d’intellectuels comme Cheikh Al-Qaradawi et ses semblables, ou leurs orbites politiques et confessionnelles à travers le monde, sont bons à combattre plus qu’à rallier, pour qui souhaite un redressement de l’Islam.
JMB. Pourquoi avez-vous jugé bon d’émigrer vers Londres, où au nom de l’islam, se développait un discours très profondément radical ?
Lorsque j’étais en Grande Bretagne j’ai toujours vécu à Leicester, une ville magnifique à 90 miles de Londres. J’ai émigré pour fuir les oppressions sociales et professionnelles que nous subissons quotidiennement en France. Je voulais aussi sauver l’éducation de mes enfants. Mon épouse et moi étions convaincus que Coventry était le bon choix. Aujourd’hui l’épanouissement des miens montre que nous avons eu raison, même si mon emprisonnement nous impose une séparation.
Cet exil est la preuve que nous n’avions pas l’intention de « convertir » la France. Lassé de faire des concessions, j’ai quitté un pays que j’aimais: la France. Avant cela j’avais fait des incursions en Allemagne et aux Pays-Bas… ce n’était pas concluant. La Belgique ? Déprimant. En Grande Bretagne j’ai trouvé plus d’équité et de compréhension face aux différentes confessions.
JMB. En quoi la capitale anglaise vous est apparue comme un hâvre de paix?
Côté militant, il est vrai que tous les courants islamistes étaient représentés à Londres. Pour autant, ce n’était pas l’anarchie, comme c’est le cas maintenant dans l’Europe, surtout en France. Cet ordre est important puisqu’il est facteur d’équilibre et de sécurité. Moi, ce qui m’intéressait sur place, ce sont les Oulémas, les Erudits, les intellectuels. Tout au moins ceux qui étaient en quête de savoir. Par exemple au sujet de la compatibilité de l’Islam avec la Démocratie, ou la séparation de la religion et de la politique, ces études n’étaient pas les moindres.
JMB. Quels sont les théologiens et les savants qui vous ont marqué?
Depuis l’âge de 10 ans, en 1975, j’ai acquis un niveau, qu’on dit « considérable », notamment dans le domaine des sciences politiques islamiques. Avant d’en arriver à ce point, je manquais d’outils idéologiques, l’Ijtihad, l’étude et la recherche pour atteindre le jugement et le statut d’un cas donné selon la théologie islamique. Malgré mon lien permanent, pour étudier, avec les Oulémas de toute la planète, un seul se distinguait par son savoir, son expérience, son courage, son éloquence et sa bonté : Cheikh Omar Ben Mahmoud Abou Omar. Celui que l’on nomme plus communément Abou Qatada Al Falestini.
« Si un de nous avait envisagé de frapper la Grande Bretagne, nous aurions su l’en empêcher. »
En dehors de la caricature faite de lui par des esprits malveillants, ses détracteurs liés au système Occidental, cet homme reste méconnu. Tout en restant indépendants, mon entourage de Leicester et moi-même, profitions jusqu’à plus soif des conférences, des débats et des recherches de ce Cheikh. Il n’y avait rien de secret et tout se tenait les portes ouvertes. Il nous arrivait d’avoir avec lui des divergences, mais exprimées dans les convenances. Ainsi nous pouvions passer une succession de nuits et de jours à étudier un sujet ou un détail théologique et en débattre.
Dans ce monde éclairé personne ne pouvait se permettre d’agir ou de réagir avant d’avoir acquis un certain potentiel scientifique, de consulter l’expérience et de mesurer avec une balance d’orfèvre les conséquences de ses actions… Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Reconnaissons que les anglais avaient une conception de la liberté d’expression et d’action plus respectueuse des musulmans que partout ailleurs, y compris dans nos pays d’origine.
Nous n’étions pas obligés de nous cacher, de vivre en clandestins ou de nous justifier auprès des autorités, de mentir pour aider nos frères palestiniens, bosniaques, tchétchènes, afghans… Il y avait un respect tacite et mutuel jusqu’à ce que Tony Blair s’aplatisse aux pieds de George Bush, l’empereur des ignares.
Nous pouvions donc nous réunir, débattre, manifester, aider, avoir des écoles privées, des mosquées. Célébrer nos fêtes religieuses. Travailler sans stress. Nous pouvions vivre et respirer profondément. Nul ne nous demandait d’être des musulmans selon la norme anglaise (si elle existe). Et je suis certain, à l’époque, que si un de nos semblables avait jamais envisagé de frapper la Grande Bretagne, sans le dénoncer, nous aurions su l’en empêcher. Quant aux vrais intérêts des anglais, idéologiques, économiques, nous n’étions pas dupes, mais l’important était de ne pas rompre l’équilibre, celui d’un compromis intelligent.
JMB. Les discours extrémistes existaient à l’époque. Quel jugement portez vous sur ces appels à la violence?
Ils constituaient un remède, une thérapie au traumatisme provoqué le sempiternel refoulement vécu par la sphère « islamiste » militante, partout dans le monde. Les discours « violents » purgeaient les frustrations. Rien de plus. Les services spéciaux britanniques savaient cela, et le comprenaient. En plus, en interne, il y avait toujours des voix pour appeler à la retenue, à plus de sagesse et à la modération dans les actes. Le pire moment de l’irrédentisme s’étant produit quand cet « islamisme radical » a été décapité par des emprisonnements arbitraires, des actions des services secrets et autres actes illégaux après les attentats du 11 septembre 2001. Il suffit de se référer à Guantanamo pour comprendre. Chaque entité a été livrée à elle-même sans aucun « berger ». Cette situation, qui a prévalu après les attentats de New York, vaut aujourd’hui pour la France et l’Europe où plus aucune autorité islamique n’a été laissée en place par le « système ».
« Sans direction morale face à l’islamisme radical, c’est l’imprévu et le chaos »
Cela peut sembler paradoxal à certains, mais une direction morale et intellectuelle est indispensable à quiconque entend traiter avec « l’islamisme radical ». Sans quoi c’est l’imprévu et le chaos. Où sont aujourd’hui les « guides » de ceux qui, en France se radicalisent ? En Irak, en Syrie, en Libye au Yémen… Et on constate ce qui se passe.
Ainsi, quand le GIA en Algérie a complètement dévié de son combat contre la junte militaire pour s’en prendre aux citoyens, toute la représentation de « l’islamisme » dit « radical » a non seulement condamné ces crimes, mais aussi rompu les liens avec ces groupes. Ce rejet n’était pas un opportunisme fait pour satisfaire l’Occident, mais pour rejeter officiellement ce que l’Islam rejete. C’était en tout cas la situation tant que l’Emir Djamel Zitouni a été vivant. Sous la période Antar Zouabri, le fossé s’est creusé et plus aucun soutien ne subsistait. Et c’est l’une des raisons de l’extinction de ce courant et de ses multiples menaces.
JMB. Puisqu’il s’agit de changer le monde, de l’améliorer ou de le sauver avec pour doctrine la lecture que vous faites du Coran, et que votre engagement est total, on peut en déduire que vous vous êtes engagés dans des stratégies et des actions politiques. Quelle place avez-vous tenu, ou tenez-vous, au sein de cette Oumma lancée dans sa reconquête au nom de Dieu ?
Le champ de bataille politique déborde nécessairement des frontières du monde islamique. Car, trop longtemps, nous avons vécu en souffrance de deux cancers incurables. Le premier, ce sont ces générations de vieux croutons de la politique, ces juntes militaires sanguinaires, ces monarchies illégitimes qui s’accaparent le destin de notre Oumma et ses richesses. Les « Bouteflikistes » et « Benalistes » qui s’enfuient par la porte pour revenir par la fenêtre. Les Nasser, Sadate, Moubarak et Sissi qui s’imposent par les armes, dans le sang, le fouet et la potence. Des rois et des émirs qui dilapident des milliards alors que « leurs » sujets croupissent dans la pauvreté et l’ignorance. Dans un monde juste, ils devraient être mis sous tutelle comme mentalement irresponsables…. A moins de les « évacuer ». Tout ça avec la bénédiction et le soutien d’un Occident donneur de leçons de liberté, de dignité humaine et des Droits qui vont avec… Cette oppression doit disparaitre… et elle disparaitra.Le second cancer provient des sionistes (je ne dis pas des juifs). Leurs impératifs, leurs idées folles sont autant de métastases qui ont pénétré l’organisme de leurs indéfectibles alliés. La Palestine est une plaie ouverte, une honte et une tache de l’histoire, tout cela est l’héritage cumulé des trahisons successives de nos gouvernants, avec leur infamie.
L’Occident ne m’inquiète pas trop. C’est un monde pragmatique qui tourne avec le vent.
L’Occident ne m’inquiète pas trop. C’est un monde pragmatique qui tourne avec le vent de ses intérêts immédiats.Regardez ce qui se passe dans les relations entre les USA et l’Iran. Le « Grand Satan » est en train de reprendre pied à Téhéran au nez et la barbe de ses alliés. Business oblige. A l’ONU et dans tous les organismes internationaux, c’est le rapport de force qui entraine les décisions et la rédaction des résolutions.
JMB. Quels sont les grands défis que vous devez relever aujourd’hui?
Le premier défi est chez nos frères l’ignorance de l’essentiel des sciences islamiques appliquées à la réalité, à l’actualité. Cette ignorance marche main dans la main avec l’absence d’analyse sur l’évolution du monde. Même si cette absence de clairvoyance et de savoir évolue lentement vers un mieux.
L’autre défi est de surmonter la fragmentation de notre Oumma, une source d’inimitié entretenue à la fois par la gouvernance mondiale et les gouvernances locales. Que ce que l’équivalent de ce que représentait, au XIXe siècle, « L’homme malade de l’Europe », ce morceau d’empire ottoman « intégré » dans l’Occident, tombe dans le coma ou mieux la mort. Il y a un énorme travail à faire pour réveiller un monde « musulman » dépouillé de sa personnalité et dilué dans la culture dominante d’une pseudo « civilisation » matérielle mondiale. Il y a donc un travail de recherche à faire pour trouver des solutions qui nous soient propres, c’est-à-dire conformes au crédo de l’Islam. Toutes les expériences humaines, passées ou présentes sont les bienvenues si elles entrent dans la conformité religieuse. Dans la longue marche qui nous attend il nous faut préparer les solutions de rechange aux échecs que nous pourrions rencontrer. Il faut rassembler, c’est à dire empêcher les dérives, agir dans l’équilibre et éviter la précipitation et l’euphorie.
Le progrès, grand argument de la soumission, revendique une liberté effrénée, elle aussi asservissante.
Rien n’a changé avec le temps, l’homme asservit l’homme et l’éternel combat est de ses dégager de ce joug. L’homme, oubliant Dieu, s’approprie de destins des autres. Le système fonctionne aussi bien dans les pires dictatures que dans les démocraties avancées. Seule change le mode de « persuasion ». Et le progrès, grand argument de la soumission, revendique une liberté effrénée asservissante. Autant se livrer aux commandements et messages de celui qui a laissé à cette humanité un chemin à suivre : Dieu unique et exclusif ! Un Dieu qui n’est pas une Eglise ou un Ayatollah. Qui n’est pas davantage Al Baghdadi ou feu Ben Laden… On ne connait Dieu, ses commandements, son objectif dans la création de ces mondes et le sens de cette vie, qu’en versant dans la lecture de son dernier message, corrigé et rectifié de toutes les falsifications rajoutées par la main de l’homme. C’est la Raison qui conduit à cela, à condition de lire avec profondeur et réflexion son dernier livre (« Livre de Dieu »).
L’Occident a été traumatisé par les Eglises chrétiennes et leurs terribles hégémonies. Puis, en se libérant de ses injustices et en les jetant dans l’abîme des oubliettes, il a injustement traité l’Islam de la même façon. Sans jamais se pencher sur ses sciences et leurs contenus. Et là je ne parle pas de la calligraphie, de la poterie ou des arabesques. Le déclin civilisationnel qui a frappé la Oumma depuis qu’elle s’est éloignée de la lettre a contribué à la méfiance dont souffre l’Islam en Occident.
Le chantier est immense et ma génération risque de ne pas vivre la reconquête !
JMB. Quel est votre projet au début des années 2000 lorsque vous gagnez le Pakistan et l’Afghanistan ? Pourquoi choisir de tels pays, ceux des Talibans et de Ben Laden ?
Dans l’Islam il y a l’obligation de « l’Al Hijra », émigrer vers une terre d’Islam, ou, tout au moins, tolérante avec lui. Les Afghans ne sont pas tous des Talibans comme l’imaginent les occidentaux. Et les Talibans ne sont que des étudiants. Meurtris de voir leurs frères, le Pachtoune Gub Eddine Hekmetyar ,et le Tadjik Massoud s’étriper pour le pouvoir en prenant le pays en otage, les étudiants ont délaissé les livres pour les armes et ils ont réussi, en quelques mois, à rendre la paix à 98% du pays. Mais à quel prix ! Les meilleurs des Talibans ont été tués durant leur avancée vers Kaboul. Installés dans la capitale, ils ont déclaré, non pas un « Califat », mais un Emirat. Fini les coupeurs de routes et les bandits, plus de pédophilie ni de mariages d’enfants. Plus de drogue, et j’ai été le témoin de l’éradication du pavot. Un succès miraculeux puisque ce commerce était protégé par au moins 125 000 hommes armés ! Convaincre tout ce monde sans tirer un coup de feu ! C’est un résultat unique dans l’histoire.
Pourtant, dès 1996 un blocus total a été instauré sans aucune protestation des « progressistes » et autres « humanistes » et « pacifistes ». Des dizaines de milliers d’enfants moururent de faim et de manque de soins. Quand l’ONU assassine, le crime est invisible. Partout les démocraties tuent dans le monde des centaines de milliers de musulmans, tout cela dans le silence des blocus, comme ce fut aussi le cas en Irak. Les chiffres sont là, abstraits classés dans une statistique sans intérêts.
« Un Clinton hystérique accusait Ben Laden des attaques contre les ambassades américaines du Kenya et de Tanzanie.
En 1998-99, Bill Clinton envoya une soixantaine de missiles mer-terre sur l’Afghanistan. De très nombreux civils sont morts et des villages ont été rasés. L’opinion mondiale, qui n’existe que pour les évènements qui touchent l’Occident, n’a pas bronché. Heureusement 45 missiles Tomawaks n’ont pas explosé. Clinton était hystérique, accusant Cheikh Oussama Ben Laden d’être à l’origine des attaques contre les ambassades américaines du Kenya et de Tanzanie. A ses accusations les Talibans répondaient : « OK, mais fournissez les preuves de vos accusations à la justice afghane… » . En réponse Clinton a continué de raser des villages. Je crois que peu d’humains se rendent compte que Clinton et ses semblables, costumés, parfumés peuvent, eux, tuer des milliers de leurs semblables sans jamais apparaitre comme des criminels ou des barbares. Ils n’ont jamais à rendre de comptes. C’est rageant ! Mais c’est ce qui gonfle les rangs des troupes combattantes. Le système occidental est les meilleurs recruteurs pour le cause islamiste, été il le restera. Hypocritement, trois pays conservèrent alors des représentations diplomatiques en Afghanistan : le Pakistan, l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis.
Juste avant 1996 Cheikh Oussama Ben Laden a échappé à, au moins, deux tentatives d’assassinat. Il était alors au Soudan où il s’était engagé corps et âme (et argent) pour établir un état islamique moderne dans cette région d’Afrique. Un jour « Carlos », qui était à Khartoum au temps de Ben Laden, m’a fait une demi-confidence alors que nous étions en prison : c’est lui qui était derrière cette chasse à l’homme…
Avant même les attaques contre les ambassades, toutes les infrastructures construites par le Cheikh avaient été bombardées par les avions US. Il a donc été contraint de se réinstaller, lui et Al Qaëde (la Base). Il trouvait inutile de construire ce que les Etats Unis détruisaient. L’idée du repli sur l’Afghanistan est de Sayid Qotb qui théorisa le concept de la « Base solide » (Al Qaëda Assalba), et cela en Egypte dès 1953. Puis, entre 1979 et 1989, à Peshawar au Pakistan, le Cheikh Abdallah Azzam, un Palestinien réfugié de Jordanie, docteur dans les fondements de la jurisprudence de l’Islam, avait redynamisé ce concept de « Base ». En octobre 1989 son assassinat dans un attentat comparable à celui qui a frappé Hariri, est venu mettre fin, momentanément, à l’organisation. Dans ses conférences, ce Cheikh ne jurait que par la libération de la Palestine. Dans le monde musulman, très tôt, les cassettes de ses conférences circulaient sous le manteau sous peine d’être arrêté et torturé par nos gouvernants arabes….
Le but de l’organisation Al Qaëda était de s’attaquer aux pouvoirs corrompus dans nos pays supposés musulmans…par le biais des armes puisque les processus politiques et pacifique étaient définitivement obstrués. Ce qui se passe aujourd’hui confirme ce réalisme. Le sujet fédérateur d’alors était la libération de la Palestine, trahie et délaissée par tous les hypocrites de la planète. La Palestine ? Une princesse endormie qui attend toujours que soit repris le flambeau qui est passé d’Azzam à Ben Laden…
JMB. La cause palestinienne était aussi la votre?
Naturellement. En 1983, à la demande de l’Union Nationale des Jeunes Algériens, nous avons été quelques uns à être exclus de notre classe de Première scientifique au lycée. Accusés d’être « manipulés par une main étrangère ». Ensuite, nous avons eu toutes les peines du monde à trouver un établissement afin de passer le Bac. Moi, je me suis retrouvé dans un lycée de filles… dans une classe de 38 lycéennes toutes folles de Gisèle Halimi. A la fin de l’année, les larmes aux yeux, ce sont ces mêmes filles qui se sont cotisées pour me payer un billet afin d’aller combattre en Palestine, via la France.
A mon arrivée en Afghanistan en tant que « mouhajir » (émigrant), je me suis installé à Jalalabad. L’organisation Al-Qaëda avait son QG à Kandahar la capitale politique du nouvel Afghanistan. Mais une antenne et une maison d’accueil, une « madhafa », existaient à Kaboul. A cette époque les anciens combattants liés à Hekmetyar formaient un groupe inactif dont le fief, lui aussi, était à Jalalabad et j’avais d’excellentes relations avec eux. Ces hommes-là jouissaient toujours du respect de la population. Toujours dans cette même ville on trouvait aussi des groupes indépendants formés autour d’une nationalité d’origine ou d’une vision doctrinale commune. Par exemple, les ancien communistes Afghans sont restés impliqués dans la fonction publique et dans les postes vitaux qu’ils géraient à l’époque de Najibullah, le président communiste exécuté. A Jalalabad la willaya était aux mains de Haji Kabir, le leader des soufis (Qadarites) qui était également recteur de l’université.
N’en déplaise à ceux que je vais faire hurler, Oussama Ben Laden était d’une grande rigueur et rectitude morale.
L’opposition armée dirigée par Haji Qadir se trouvait à une dizaine de kilomètres de la ville et une simple montagne partageait les deux camps. Un tir de mortier pouvait tous nous atteindre. Mais, en attendant une solution définitive, un pacte de paix avait été conclu avec les Talibans. En dépit de sollicitations multiples, je me suis acharné à comprendre la situation sur place. Finalement j’ai opté pour le point de vue de ceux qui prônaient de « re» construire ce pays à neuf. Tout était à inventer et c’était une chance historique.
En même temps, je comprenais parfaitement l’option d’Al-Qaëda, celle de vouloir à tout prix attirer les Etats-Unis à mettre le pied ici, pour les embourber comme les soviétiques le furent, pour les saigner et les mettre à genoux jusqu’à la signature d’un vrai accord ! L’échec de Ben Laden au Soudan était à l’origine de cette fermeté radicale.
Moi, j’ai nourri d’autres espoirs. Avec deux autres cadres j’ai formé un rassemblement ouvert à tous, afghans ou immigrants. On trouvait-là des algériens, tunisiens, saoudiens, koweïtis, marocains, bosniaques… L’idée ? Celle de la construction d’un pays nouveau, avait fait son chemin et créé un appel d’air. A tel point que des membres d’Al-Qaëda ont rompu leur allégeance au Cheikh Ben Laden pour nous rejoindre dans cette entreprise passionnante. Et le Cheikh ne s’est pas opposé à ces départs. Il disait comprendre ce choix et se montrait disposé à aider ses fidèles qui s’éloignaient de lui. Personne n’a été puni pour forfaiture ou trahison. N’en déplaise à ceux que je vais faire hurler, cet homme, dans sa gouvernance, était d’une grande rigueur et rectitude morale.
J’ai noué d’excellentes relations avec de hauts responsables politiques Talibans, ainsi qu’avec le commandement militaire à Jalalabad et Kaboul. Ce lien permettait à nos requêtes de passer rapidement par Kandahar avec, très souvent, des retours positifs. La collaboration avec les anciens « seigneurs de la guerre » nous était très favorable. Et, même si le wali Hadji Kabir, le préfet, ne nous portait pas dans son cœur, il n’était pas désobligeant. Bien sûr, nous avions notre aile militaire et nos camps d’entrainement, pour se faire respecter et se défendre en cas de besoin.
JMB. par quels moyens cherchiez vous à construire un payx neuf, différent?
En premier lieu nous nous sommes attaqués à l’éducation. Les Talibans nous avaient facilité la tâche : terrains gratuits et aucune interférence dans le fonctionnement des études. Où les filles étaient tout aussi présentes que les garçons. A ce sujet je n’ai jamais eu la moindre remarque alors que j’étais administrateur de l’Ecole Abdallah Ibn Al Moubarak à Jalalabad. Le bâtiment était neuf, moderne et l’établissement ouvert à tous, nous avions même une élève venue du Pakistan. En attendant des jours meilleurs, nous avons mis nos ordinateurs à la disposition des professeurs et élèves. Là aussi, chez les enseignants, on rencontrait des hommes de toutes nationalités assurant les cours et l’élaboration des programmes. Cette école, sur des images diffusées en 2002 par FR3, je l’ai vue en ruine. Jamais je n’oublierai le zoom de la caméra sur un pan de mur où était inscrit le nom de mon fils cadet. C’était terrible ! D’autant qu’à ce moment, j’ignorais si ma femme et mes enfants, restés en Afghanistan, étaient toujours en vie… Les avions américains avaient tout rasé, donnant ainsi raison à Cheikh Oussama Ben Laden. Quelle haine !
Parallèlement à l’école, nous avons démarré un programme d’installation de puits équipés de pompes à la fois mécaniques et électriques. Tout avançait. Des fonds venus de l’étranger ont permis de financer l’achat de brebis avec la distribution d’une trentaine de bêtes par familles regroupées dans une coopérative. Cette dernière, à son tour, finançant d’autres projets. Sous l’impulsion d’un groupe belge, implanté sur place, avec des associations et des entreprises d’Europe, un projet important allait voir le jour. Il consistait à soutenir les artisans et entrepreneurs afghans en leur allouant du matériel afin de former des jeunes de 15 à 25 ans, par exemple en mécanique auto. Les Afghans sont travailleurs et inventifs et cette dernière aventure était motivante. Nous ne manquions pas de projets, d’idées et de volonté.
Les femmes, nos épouses, avaient aussi leur part et étaient très actives. Elles enseignaient aux adultes afghanes et ouvraient de nombreux ateliers. Il y avait aussi une formation de sages-femmes et d’infirmières de bon niveau. En parallèle, les laboratoires d’analyse, ceux dépistant par exemple la malaria manquaient de tout. Parfois il fallait servir de chauffeur, un jour, alors que je conduisais une sœur vers un atelier, Malika El-Aroud (ndlr : dont le premier mari a participé à l’attentatcontre Massoud), elle m’a demandé avec une grande vigueur d’obtenir plus de moyens pour developper son action en faveur des femmes afghanes… Voilà notre vie à Jalalabad. Mais les projets à Kaboul, Herat, Kandahar avançaient si vite qu’il était nécessaire de partir hors du pays afin de faire la tournée de différents pays où des ministères étaient capables de nous financer, le tout légalement et officiellement !
Chargé de cette mission, dans une première étape, j’ai programmé un voyage aux Emirats, au Koweït, l’Arabie Saoudite étant prévue lors d’un second voyage. Nous voulions demander une aide en nature, du genre matériel, outillage, médicaments à nos investisseurs. Pour joindre l’utile à l’utile, j’ai fait un voyage accompagné d’une mère et de ses trois enfants malades qui devaient être soignés au Maroc. Le but était de faire avancer notre projet d’Emirat Islamique en Afghanistan, rien de criminel mais tout d’humanitaire.
Ce voyage est devenu ma prison. Jusqu’à ce jour où je trace les lignes de cet entretien. Quatorze ans déjà. Passer d’une ambiance de travail et de projets, d’espoirs à une autre qui est celle de l’emprisonnement… C’est indescriptible.
JMB. Qui vous a arrêté, le 29 juillet 2001 lors d’une escale à Abou Dhabi ? Les services secrets Occidentaux étaient-ils impliqués ?
Pour préparer mon voyage j’ai d’abord fait un long stop au Pakistan. Bizarrement les formalités si simples ont été longues et compliquées, comme si j’étais déjà dans je ne sais quel viseur. A Abou Dhabi, lors de mon arrestation, il n’y avait que des arabes. Deux ou trois habillés à l’occidentale et les autres en qamis blancs et lunettes noires. La présence physique et active d’un anglais est certaine et ce dès les premières nuits, les premières tortures. Un homme d’une rudesse et d’une froideur glaciale. Les français, eux, se sont manifestés au bout de quelques jours après le début des tortures. C’était généralement le soir. Ils me posaient des questions banales, cachés derrière une vitre sans tain. Ils me demandaient de compter en français, de décrire des endroits à Paris, à Corbeil… Comme s’ils voulaient vérifier ma « francialité ». Mais j’étais certains qu’ils me connaissaient très bien. Par ailleurs, une certitude, toutes les questions posées par mes tortionnaires ne pouvaient être formulées sans l’appui des services français, ce sont eux qui alimentaient mes bourreaux : les noms de mes amis en France, ceux des gens de ma famille, leurs lieux de vie, les évènements auxquels j’ai participé….
Je suis arrivé à Abou Dhabi à 7 heures du matin. Le douanier ma longuement mis en attente pour « vérifier sur son ordinateur »… Mais il recevait des ordres qu’il tentait de dissimuler sans trop de tact. Avec la famille de mon ami, qui m’accompagnait, nous étions seuls dans le hall. Soudain il nous a autorisés à aller à l’hôtel le temps de cette longue escale.
Le soir nous sommes revenus à l’aéroport et j’étais attendu. En fait cette embuscade avait été dressée dès mon débarquement puisque les policiers ou agents m’ont espionné. Une anecdote. En attendant qu’ouvre le service de police, j’ai fait un tour dans l’aérogare avec les enfants de mon ami. Devant le duty free il y avait une très belle Mercédès rouge, le gros lot d’une tombola et, sans envie, j’ai simplement regardé cette voiture. Et bien sachez que ce simple coup d’œil sur la belle allemande, je l’ai retrouvé dans un livre de Jean-Marie Pontault ancien journaliste à l’Express, et porte-paroles des délires du juge Bruguière sur les plateaux de télévision. Le bouquin, plus faux qu’une fiction, s’intitule « Ils ont tué Massoud ». Pontault allait jusqu’à décrire mes sentiments et mes impressions du moment… C’est fort ! D’où ce chroniqueur tenait-il que j’avais regardé une Mercédès si ce n’est de la bouche de ceux qui m’espionnaient dès cet instant ?
J’ai su plus tard que mon arrestation avait fait du bruit auprès de mes amis en Afghanistan, et que Cheikh Oussama Ben Laden lui-même était intervenu auprès les Emirats Arabes Unis. Un geste qui a pu me desservir plus tard mais que je ne renie pas. D’ailleurs une promesse positive avaient été donnée à mes amis.
C’était sans compter sur les évènements du 11 septembre à New York qui ont tout balayé, moi avec. Voilà que l’on m’accusait d’être un leurre d’Al-Qaëda, un combattant de « La Base » en opération, chargé de faire diversion, d’attirer sur moi l’attention des services secrets pendant que d’autres se mettaient en marche pour l’opération de Manhattan… Bien malgré moi je me suis retrouvé le personnage central d’un roman de John Le Carré. Voilà ce qu’a écrit à mon sujet, un autre journaliste, Roland Jacquard qui se revendique responsable de « l’Observatoire du terrorisme »… Dans son livre, « Les archives secrètes d’Al Qaïda », il consacre deux chapitres à mon aventure. Dévoile des « tractations au plus haut niveau entre le gouvernement Jospin ». Selon Jacquard, « la CIA voulait m’exfiltrer vers Israël où j’aurais été exécuté »…
« Des juges comme Jean Louis Bruguière ont monté en complots terroristes de simples manifestations politiques sur fond d’Islam.
En réalité, en 1999 et 2000, en France et en Europe des évènements anodins se sont produits. Mais, paranoïa ou justification du service, des gens comme Bruguière ont monté en épingle, c’est-à-dire en complot terroriste, de simples manifestations politiques sur fond d’Islam. Rien de plus. Cette folie « sécuritaire » avait conduit la France à demander l’aide de services amis, du genre CIA. Ces derniers avaient été convaincus qu’il était impératif de me « coincer » à la première possibilité… Au départ, je pense que ces gens-là voulaient obtenir de moi des « informations ». Mais, patatras, dans le contexte du 11 septembre est arrivé l’enfer.
La méthode pour obtenir je ne sais quelles « informations » de moi, c’est-à-dire la torture, était connue et approuvée par tous. Torturer à l’étranger ne représentait aucun risque pour la France… ou le monde « libre et civilisé ». Quant à cet anglais dont j’ai parlé, mon tortureur, je pense qu’il était en poste dans la région. Il parlait arabe même si, étrangement, il était habillé en afghan… J’ai été convaincu que les gens de la CIA étaient là dès le début de mon arrestation. En fait je me suis trompé, je suis sûr qu’ils n’ont rappliqués qu’après le 11 septembre, comme si j’avais quelque chose à voir avec cela ! C’est pourtant l’explosion des « twin towers » qui va me conduire là où je suis encore aujourd’hui, en prison. Sinon, j’aurais été libéré de ce cauchemar d’Abou Dhabi.
Votre dossier pénal indique que vous avez avoué un projet d’attentat contre l’ambassade des Etats-Unis en France. D’où vient cet aveux, et pourquoi le choix de la représentation américaine à Paris ?
En janvier 2001, à Jalalabad, un frère membre d’Al-Qaëda me fît la confidence, autorisée par son commandement, qu’un groupe leur appartenant était déjà en mouvement pour une opération contre « les Américains » ! Il insista sur le conseil d’éviter tout voyage hors d’Afghanistan car les services d’intelligence effectueraient probablement des arrestations élargies. J’ai appris que des « leurres » avaient été dépêchés ou allaient l’être… on évoquait de quarante à soixante opérations d’intox afin de brouiller les antennes des services d’espionnage.
Après l’évènement des Bouddhas de Bamyan, leur dynamitage, Al Mollah Omar et Cheikh Oussama Ben Laden convoquèrent tous les responsables des groupes « non affiliés » présent en Afghanistan. Avec deux sujets à l’ordre du jour. Appeler tous ceux qui n’ont pas prêté serment d’allégeance à la faire auprès du Mollah Omar (c’est à ce moment que Cheikh Docteur Aymane Dhawahiri a rejoint Al-Qaëda et Al-Mollah Omar, pas avant).
Deuxièmement, chaque groupe devait se préparer immédiatement à des mouvements stratégiques de ses troupes pour renforcer la ligne de front sur des points sensibles.
A ces impératifs, nous avons fait valoir notre volonté d’indépendance. Nous avions des arguments dogmatiques et pragmatiques. Il a été convenu que nous restions alliés et frères des commandements Afghans et Arabes de Kandahar, mais pas question d’allégeance. Dans ces circonstances on nous a demandé d’évacuer notre camp militaire de Darwanta pour « des raisons sécuritaires ». Les Talibans nous ont remboursé les sommes investies dans cette structure que nous avons quitté avec beaucoup d’amertume.
Au mois de mai 2001, Cheikh Oussama Ben Laden diffusa un communiqué ouvert à tous, conseillant à toute personne d’éviter de voyager à l’étranger, sous peine d’arrestation arbitraire par les services secrets. Tout m’incitait donc à rester tranquillement à Jalalabad. Mais voilà que le fils cadet de cet ami, avec lequel je partage une grande maison, tombe malade, tout contact avec un produit laitier peut entrainer sa mort. Il fallait que sa femme et ses enfants repartent pour le Maroc. Faute de papiers en règle, mon ami ne pouvait se charger d’accompagner sa famille… J’ai donc décidé de prendre sa place, profitant du voyage pour faire ma tournée d’aide au développement via le Pakistan puis les Emirats. Au Pakistan j’ai été contraint de faire un séjour de trois semaines, plus long que de raison, pour faire mes formalités de voyage. J’ai senti une atmosphère mauvaise, comme si j’étais dans je ne sais quel viseur. Et j’ai lu dans le « Charq al Awsate » que le Départrement d’Etat US avait demandé à son ambassade au Maroc de fermer et à ses ressortissants de quitter le pays ! A croire que les américains redoutaient je ne sais quoi, ou faisaient semblant de craindre une mystérieuse attaque….
JMB. Et c’est en arrivant à Abou Dhabi aux Emirats que vous êtes arrèté?
Exactement. Après des heures de tortures multiples, j’ai proposé un répit, d’accepter d’avouer quelque chose ressemblant à leur projet. Devant leur responsable, formé aux US, j’ai avoué que j’allais effectivement commettre un attentat contre l’ambassade à Paris… Je lui ai dit que les explosifs étaient sur un yacht, je crois à Ajaccio, en tout cas en Corse. Qu’ils étaient dans des emballages de makroutes, baklavas et autres gâteaux d’orient. Et je leur ai donné les noms de mes complices : Renaud Séchan, Enrico Macias, Charles Azenavour, Rabah Dariassa, Khalifi Ahmed…. Pour ces « terroristes » j’ai dû inventer des noms de guerre des « kounia » ou des noms de convertis avec des grades, des rôles et un organigramme L’instinct de survie a fait que j’ai pu répéter ma fable sans me tromper, faire du vrai avec du faux. Le chef, le « Mas Oul », jubilait. Disant à ses sbires « vous voyez, il n’y a pas de coffre impossible à ouvrir » ! Ils m’ont récompensé avec de la viande hachée des frites, de la salade et de la limonade.
Mais, quelques heures plus tard, après avoir fièrement communiqué leur scoop aux espions français, qui ont vite répondu que tout était du baratin et que je n’avais fait que citer des chanteurs, le « Mas Oul » est revenu vers mois furieux : « fils de chien, je vais te dépecer ». La vengeance a été atroce mais, au fond de moi, il y avait un tout petit éclat de rire, celui de m’être payé leurs têtes !
Le 2 octobre 2001, quand j’ai été transféré à Villacoublay puis dans le bureau du juge Bruguière, la surprise continuait d’être au rendez-vous, le roman digne de John Le Carré tournait un chapitre de plus. Tout de go le magistrat me propose un marché. J’accepte de reconnaitre le projet d’attentat contre l’ambassade US et Centre culturel Américain – j’ignore même qu’il existe- et, en retour, je « prends » une condamnation de cinq ans, avec une libération conditionnelle au bout de deux ans et demi, avec beaucoup d’argent et le prestige de l’informateur capital. J’ai refusé le beau projet. Donnant comme argument que je ne voulais commettre aucun attentat et ne souhaitais pas mentir. Le juge a insisté à ce que je considère mon propre intérêt…C’était toujours « non ».
Quelques mois plus tard le même magistrat sans doute avide de se présenter comme celui qui avait sauvé l’ambassade des Etats-Unis, renouvelait sa proposition… C’était encore « non ». Alors il a promis de me lyncher. Il l’a fait.
JMB Même si les magistrats et les services secrets ne semblent pas disposés à faciliter votre avenir, on peut imaginer qu’un jour vous allez sortir de prison… Que faire alors?
Il leur suffit de m’envoyer les « Seals », les Forces spéciales françaises et de m’offrir le martyr !!! Ça reste une option raisonnable. Non ? Ma situation, savamment étriquée par l’action du système que vous connaissez ici, pays de droit, est kafkaïenne. On m’inflige double, triple, quadruple peine sur la base d’une accusation jamais démontrée. Il est clair qu’on en veut à ma « religiosité », à ma foi et à mon insoumission à l’homme et à son aspiration à la déité !!!!
On m’invite à quitter la France après m’avoir dépouillé de tout document d’identité. On ignore les droits de mon épouse et de mes quatre enfants français. Et l’on m’assigné de démontrer pourquoi je ne parviens pas à quitter le pays ! Ce long traitement, d’une quinzaine d’années, est mille fois pire que les tortures subies à Abou Dhabi.