Au début du mois de mars 2025, la 1ère Base aérienne des Forces Royales Air à Salé, aux abords de la capitale Rabat, a accueilli une cérémonie d’importance stratégique majeure : la réception officielle du premier contingent de 6 hélicoptères d’attaque Apache AH-64E, première livraison d’une commande globale de 36 appareils. Pour marquer l’importance de l’événement, le Général d’Armée Michael Langley, à la tête du Commandement américain pour l’Afrique (US AFRICOM), avait fait le déplacement, accompagné d’Aimée Cutrona, chargée d’Affaires de l’Ambassade américaine au Maroc.
Mohammed El Abbouch

Lors de son allocution, le Général Langley a souligné le rôle critique des nouveaux Apache dans l’architecture défensive marocaine : « L’intégration de ces hélicoptères Apache représente une avancée considérable en matière de capacités opérationnelles, consolidant ainsi la sécurité du royaume et sa position géostratégique régionale». Il a également rappelé le statut privilégié du Maroc en tant qu’allié non-membre de l’OTAN des États-Unis.
Le général américain a fait d’une pierre deux coups en évoquant le Maroc comme site prioritaire et stratégique pour la maitrise des changements de la région saharo-sahélienne sans s’étendre sur ce qui est un retour en force des Etats-Unis en Méditerranée. Alors que l’administration Trump réduit les effectifs militaires en Europe exposée à un renouveau de la menace russe, elle réinvestit la Méditerranée. Bien sûr la flotte américaine veille sur Israel et le Liban et elle ne souhaite pas voir ses mouvements menacés par les navires russes ni être restreinte pour passer le détroit de Gibraltar.
La fin du flanc Sud de l’OTAN ?
Le flanc Sud de l’OTAN dont l’Espagne et l’Italie étaient les boucliers semble oublié au profit de la façade atlantique et méditerranéenne du Maroc et d’un déplacement vers le Sahel des objectifs des Etats-Unis. D’ailleurs les Espagnols ne s’y sont pas trompés. Les publications espagnoles EL INDEPENDIENTE (6 mars) et LA RAZON (7 mars), réputées proches des cercles militaires et conservateurs, ont rapidement analysé cette livraison comme un défi stratégique pour Madrid, mettant en lumière la faiblesse espagnole en matière d’hélicoptères de combat équipés de missiles équivalents à la livraison au Maroc.
Le Général de Corps d’Armée Mohammed Berrid, Inspecteur Général des Forces Armées Royales et Commandant de la Zone Sud, a insisté lors de la cérémonie de remise des matériels aéronautiques sur la dimension partenariale de l’acquisition : « L’arrivée de ce premier lot d’hélicoptères Apache AH-64 constitue une étape déterminante dans la consolidation de l’alliance stratégique et de la collaboration militaire entre le Royaume du Maroc et les États-Unis d’Amérique.» Mais ce n’était pas une révélation pour Madrid que la fourniture de ces hélicoptères de combat participait d’une africanisation méditerranéenne de la stratégie américaine.
En effet, dès le 1er février 2025, LA RAZON révélait l’administration Trump envisagerait de transférer le commandement de l’AFRICOM, actuellement basé à Stuttgart (Allemagne), vers la ville marocaine de Kénitra. Des évaluations sur site auraient déjà été réalisées par les forces américaines. Initialement, la base espagnole de Rota figurait parmi les options, mais cette alternative aurait perdu de sa pertinence avec la nouvelle présidence américaine. Il convient de rappeler que le territoire marocain accueille régulièrement des exercices militaires multinationaux, notamment « African Lions », l’une des manœuvres les plus significatives du continent africain, coorganisée par les forces américaines et marocaines. La 21ème édition de cet exercice se tiendra du 12 au 23 mai 2025 dans plusieurs localités : Agadir, Tan-Tan, Tiznit, Kénitra, Benguerir et Tifnit.
En parallèle, des manœuvres militaires conjointes franco-marocaines sont programmées pour septembre 2025 à Errachidia, à proximité de la frontière algérienne. L’exercice Chergui, anciennement nommé « Tafilalet », s’inscrit dans une tradition de longue date. Cette opération aéroterrestre revêt une importance cruciale tant pour les Forces Armées Royales que pour l’Armée française dans l’harmonisation des tactiques de combat en environnement désertique.
Ces manœuvres visent à optimiser la coordination opérationnelle face aux menaces terroristes dans la région sahélienne. Prévues pour fin septembre, elles mobiliseront des unités terrestres et aériennes des deux nations. Ces exercices conjoints s’inscrivent dans le cadre d’un partenariat militaire stratégique formalisé par l’accord de coopération militaire technique de 1994. L’Espagne, dotée d’un système sophistiqué de surveillance stratégique vis-à-vis de son voisin méridional, observe ces évolutions avec appréhension. La presse espagnole interprète ces développements comme une transformation fondamentale de la posture américaine envers Madrid.
Le 4 février 2025, EL INDEPENDIENTE titrait son article concernant la livraison d’avions F-35 américains : « Le F-35, l’instrument par lequel le Maroc consolide son alliance avec Trump au détriment de l’Espagne ». Le sous-titre précisait : « Le président américain s’est engagé à intensifier les relations avec Rabat au préjudice de l’Espagne, à qui il reproche ses dépenses militaires insuffisantes ». Effectivement, l’administration Trump semble déterminée à faire du Maroc un partenaire privilégié de son retour offensif en Méditerranée avec la livraison prochaine de 32 chasseurs furtifs F-35 Lightning II pourrait officialiser une alliance stratégique que Washington conçoit également avec les Émirats arabes unis et Israël. Cette transaction, estimée à 17 milliards de dollars, englobe l’acquisition et la maintenance sur une période de 45 ans. Ainsi le Maroc deviendra le premier pays africain et arabe à intégrer ces chasseurs de pointe fabriqués par Lockheed Martin, complétant ainsi sa flotte de F-16 de quatrième génération.
En définitive, la modernisation spectaculaire de l’arsenal militaire marocain transcende manifestement les simples impératifs de défense nationale ou les rivalités régionales. Nous assistons à l’émergence d’un nouveau paradigme géostratégique dont l’empreinte s’étend de la Méditerranée à l’Atlantique, englobant la bande sahélo-saharienne. Dans cette configuration, le Royaume chérifien formerait, aux côtés des Émirats Arabes Unis et d’Israël, le triangle fondateur d’une nouvelle alliance hors OTAN avec les Etats-Unis désintéressés du théâtre européen. Pour les Etats-Unis, aux côtés du Maroc, il s’agit à présent de privilégier le règlement de la question libyenne, de contrer la Russie et de remettre au pas les pays membres de l’Alliance des États du Sahel.
Langley, un général sahélien ?
Après sa visite en 2024 au général Haftar, le commandant d’Africom avait conclu que le seigneur de la guerre libyen ne voulait pas d’une solution négociées. Michael Langley souhaitait pourtant stabiliser avec Haftar l’instabilité au Sahel après le retrait des militaires français.
Dans une discussion avec la presse en septembre 2024, le patron du Commandement des États-Unis pour l’Afrique avait été interrogé sur l’évolution de la situation sécuritaire dans le Sahel . À cette question, le Général Langley avait répondu sans ambages. « Pour moi, le Sahel est devenu moins sûr ». «Il s’agit donc d’un phénomène qui a pris une ampleur considérable dans toute la région et qui est sur le point de se propager en l’Afrique de l’Ouest côtière », avait-t-il déclaré. En janvier 2025 la France a restitué sa dernière base aérienne au Sahel et clôt un chapitre de sa relation particulière avec les dictateurs tchadiens.
C’est donc une chaise vide qu’Africom entend occuper avec des bases où la France serait tolérée pour certaines opérations. Les sites sont déjà identifiés dans le sud marocain et le sud libyen.
La France quitte ses bases au Tchad
Pour les Etats-Unis, les batailles libyennes de 2011 nommée “Operation Odyssey Dawn” et“Operation Unified Protector” représentent la guerre de Sarkozy, mais aussi une campagne sans pertes américaines et d’un cout modique de quelques milliards d’USD. Ils entendent principalement utiliser l’arme aérienne ou aéroportée qui a permis ce bilan favorable pour dissuader les organisations insurrectionnelles considérées comme dangereuses et les alliés des Russes en Libye et au Sahel. L’AH-64 Apache couplé avec le système israélien de missiles Spike NLOS leur parait le vecteur adéquat pour des cibles individuelles comme pour la destruction de concentration de blindés ou de véhicules de transport. C’est un instrument qui donne aux Marocains un avantage tactique certain et une arme capable de gérer des actions urbaines comme le font les Israéliens.