La guerre au Sahel et le départ des troupes françaises du Mali, après neuf années de présence, ont été enfouis sous le tapise de la campagne électorale en France
Une chronique de Leslie Varennes
La volonté de ne pas nuire à l’armée, en ces temps troublés de conflit en Ukraine, a étouffé tout débat comme si les candidats avaient oublié l’importance de la décision politique dans la conduite des opérations. Pourtant, dix ans après le début des combats, la région est toujours un grand théâtre de désolation. Les tueries de Moura au Mali et celles de la région de l’Oudalan au Burkina Faso démontrent qu’aucun enseignement de cette décennie n’a été tiré et que les mêmes logiques sont toujours à l’œuvre.
Retour à la case départ
Entre le 17 et le 31 mars les forces armées maliennes, secondées par le groupe Wagner, ont assiégé la localité de Moura, selon les différentes sources entre 300 et 500 personnes ont été tuées. Début avril, les militaires burkinabè ont pris d’assaut plusieurs villages de l’Oudalan, d’après les notables de la région cette attaque aurait engendré une centaine de morts.
Le ministère de la Défense du Mali évoque une opération antiterroriste qui aurait conduit à la neutralisation de 300 djihadistes. Les Burkinabè, eux, revendiquent d’avoir tué plus de 130 terroristes entre le 15 mars et le 15 avril et ont publié un démenti en rappelant « qu’ils accomplissent leurs missions avec une conscience élevée des droits humains. »
Quels que soient les chiffres et les allégations des uns et des autres, il est indéniable que les forces de défense de ces deux pays ont frappé sans discernement. Le fait que les localités ciblées soient peules ; le fait qu’aucun militaire ne soit tombé ou blessé au champ d’honneur prouve qu’il n’y a pas eu de combat mais une opération au cours de laquelle des villageois sans distinction ont été présumés terroristes et condamnés à la peine capitale sans procès.
Se pose alors le problème central et ancien de la lutte contre le terrorisme : comment identifier l’ennemi ? Qu’est-ce qui fait de vous l’ennemi ? Avoir un frère appartenant au JNIM ? Vendre du riz à un combattant d’une katiba ? Porter la barbe et un pantalon court pour vivre en paix dans une zone où règnent les hommes d’Hamadou Kouffa ? Apparemment les militaires ne se sont pas posé autant de questions.
Dans les deux cas, ces opérations correspondent aux même logiques. Il s’agit pour les deux gouvernements de montrer que les forces de défense et de sécurité reprennent l’ascendant, obtiennent de meilleurs résultats qu’avec Barkhane ou qu’avec l’ancien président Kaboré.
Au passage, il s’agit probablement aussi de créer la terreur au sein d’une population qui, faute de présence de l’Etat, n’a eu d’autre choix que de collaborer d’une manière ou d’une autre avec les groupes djihadistes.
Cette politique du chiffre et de l’amalgame est suicidaire et contreproductive, elle entretient la spirale de la violence. Sans compter les représailles des djihadistes comme le montrent les quatre attaques simultanées du 24 avril 2022 revendiquées par la Katiba Macina. Trois ont eu lieu au Mali, à Sévaré, Niono et Bapho et une au Burkina Faso contre le contingent de Gaskindé. Ces méthodes ont par ailleurs déjà été largement expérimentées, notamment au cours de l’année 2019. Les effets en sont donc connus. Il est pour le moins curieux que ces nouvelles autorités qui sont arrivées au pouvoir à la suite de coup d’Etat, pour redresser les torts et panser les maux, reproduisent les vieilles recettes de leurs prédécesseurs qui ont conduit à la catastrophe. Les mêmes causes produisant les mêmes effets…
Les couteaux dans les plaies
Il est tout aussi surprenant que les militaires au pouvoir n’aient pas, dès leur arrivée, dissous les groupes d’autodéfense et les milices à caractère ethnique. Elles sont pourtant la plaie du Sahel, elles concourent à l’augmentation effrénée du niveau de violence. Elles sont aussi, comme les exactions des armées, le meilleur recruteur des groupes djihadistes.
Au Mali, les Dozos, qui sont responsables des massacres d’Ogossagou en mars 2019 et février 2020 et qui n’ont jamais été inquiétés par la justice, sont devenus le pire cauchemar des habitants du Cercle de Niono. Selon des témoignages recueillis par l’IVERIS, au prétexte de traquer les terroristes, un certain Siné et ses hommes rançonnent, tuent, torturent, enlèvent, pillent sans raison et sans préalable : « Avant c’était les djihadistes qui semaient la terreur. Mais aujourd’hui les dozos font pire ». Les Peuls sont les premiers ciblés, mais toute personne qui ne rallie pas leur groupe où ne paye pas sa contribution est aussi sur la liste de leurs méfaits. La population demande expressément aux autorités de les désarmer. Elle attend toujours…
Au Burkina Faso, dès son investiture, le lieutenant-colonel Damiba a fait appel aux Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP) pour « la reconquête du territoire ». Or, ce groupe d’autodéfense, même s’il est légal, a été créé en 2020 sur des critères ethniques, les Peuls ont été exclus du processus de recrutement. Armer les civils a constitué une fausse bonne idée, cela a perpétué les violences communautaires et entraîné encore plus de bavures et exactions. C’était d’autant plus inutile qu’existaient déjà les Koglweogos, une autre milice composée majoritairement de Mossis qui remplissaient les mêmes fonctions. De nombreux VDP sont d’ailleurs d’anciens Koglweogos. Pour rappel, ces derniers sont responsables du massacre de 210 Peuls, le 1er janvier 2019 à Yirgou. Leur chef et 13 de ses hommes ont été arrêtés et ont purgé seulement un mois et demi de prison.
Dans ce domaine non plus le nouveau président du Burkina Faso n’a pas rompu avec son prédécesseur au risque d’être entrainé, lui aussi, dans la spirale de la violence. Ces milices ne sont pas seulement les meilleurs recruteurs des djihadistes, elles sont aussi responsables du déplacement de populations. Or, les déplacés qui représentent désormais 1,7 million de Burkinabè sont une véritable épine dans le pied des nouvelles autorités qui n’arrivent pas à gérer cet afflux vers la capitale.
Le 15 avril dernier, le gouvernement a créé par décret des comités locaux pour la restauration de la paix afin de mettre en place un mécanisme de dialogue avec les jeunes ayant rejoint les groupes djihadistes. Mais qui va oser venir parler tant que ces milices ne sont pas démantelées ? L’initiative louable au demeurant est vouée à l’échec.
Ces groupes ne sont pas seulement une plaie pour le Burkina Faso et le Mali, elles sont une menace pour toute la sous-région. De nombreux Dozos actifs au Mali, comme Youssouf Toloba ont combattu en Sierra Léone, au Libéria, en Côte d’Ivoire pendant la guerre de 2011. Idem pour Boureima Nadbanka, le chef Koglewogo responsable dans le massacre de Yirgou. Ce sont des mercenaires transnationaux qui se déplacent au gré des conflits. C’est un risque aussi pour Abidjan qui héberge la plus grande communauté de chasseurs qui a toujours été considérée comme un allié encombrant de l’Etat.
Une exception toutefois, le Niger. Un groupe d’autodéfense a été créé en fin d’année dernière dans la région de Tillabery pour se protéger de l’Etat islamique. Le président Mohamed Bazoum, a déclaré à cette occasion : « Je comprends que vous ne soyez pas satisfaits de notre rendement, de nos performances. Si vous pensez que vous pouvez assurer votre défense c’est légitime, mais celui qui doit assurer votre défense et sur lequel vous devez compter c’est l’Etat ». En tout état de cause et contrairement à d’autre pays, Niamey n’a pas fourni les armes.
La porte de sortie
Tant que ces groupes ne seront pas dissous, toute tentative de négociation avec les groupes djihadistes est vouée à l’échec. Or après dix années de guerre, tout le monde a désormais compris que le tout sécuritaire conduisait à la défaite. Le dialogue reste la seule porte de sortie de l’enfer que vivent les populations. Dans son dernier entretien, l’anthropologue Jean-Pierre Olivier de Sardan, l’un des meilleurs connaisseurs français du Sahel, qualifie d’« énorme erreur » l’opposition formelle de Paris à toute négociation entre Bamako et les djihadistes. Une autre de ses fautes majeures est de ne pas avoir conditionné l’aide de la France au désarmement de ces milices. En ces temps de bilan et de réflexions autour de la reconfiguration du dispositif français au Sahel, ces phénomènes sont à prendre en compte. Faute de quoi, immanquablement le Sahel retournera à la case départ.