En dépit des bonnes dispositions de l’Administration Biden par rapport au régime iranien, Téhéran s’est livré depuis fin janvier à une escalade politique, en s’opposant notamment aux initiatives françaises au Liban
Michel TOUMA
C’était prévisible à la lumière du changement d’Administration à Washington. Les grandes manœuvres censées précéder la relance du dialogue entre les Etats Unis et la République islamique iranienne ont commencé à poindre à l’horizon. Au stade actuel, l’on assiste à une escalade iranienne qui se manifeste à plus d’un niveau, tandis que parallèlement des signaux contradictoires, ou tout au moins confus, parviennent de la capitale fédérale américaine, reflet sans doute de la phase de transition qui n’a évidemment pas permis encore de trancher les grands choix stratégiques de l’équipe Biden en ce qui concerne l’Iran et le Moyen Orient.
Reprise du dialogue Washington/Téhéran
Dans un souci évident de décrisper l’atmosphère pour paver la voie à une reprise du dialogue, la nouvelle Administration a entrepris jeudi quelques petits gestes positifs à l’égard de Téhéran. Elle a ainsi informé la délégation permanente de l’Iran à l’Onu qu’elle allait « atténuer » les restrictions de voyage imposées aux diplomates iraniens. Parallèlement, elle a annoncé le retrait de la décision du président Donald Trump de renouveler toutes les sanctions des Nations Unies contre l’Iran (à ne pas confondre avec les sanctions américaines).
Enfin, un haut responsable US a indiqué à l’agence Reuters que Washington acceptera l’invitation de l’Union européenne à entreprendre des pourparlers avec l’Iran de manière à « mettre un terme aux pressions extrêmes et à retourner à la diplomatie » avec Téhéran.
Il reste que nous n’en sommes qu’à un simple prélude de forme qui ne fournit encore aucune indication sur les termes et le cadre des futures négociations. Pour l’heure, les dirigeants iraniens ont fait fi, d’entrée de jeu, des bonnes dispositions de principe que l’équipe démocrate US manifeste à leur égard après les dures années qu’ont été pour eux l’ère Trump. Dès les premiers jours du mandat du président Joe Biden, ils ont ainsi haussé les enchères en affirmant qu’ils excluaient d’inclure le dossier des missiles balistiques ainsi que la question de la politique régionale de l’Iran dans les nouvelles négociations sur le dossier nucléaire.
Or ces deux points ont été soulevés à plus d’une reprise aussi bien par les Etats-Unis que par la plupart des pays de l’Union européenne, et ils constituent une priorité pour Israël et les pays du Golfe, Arabie Saoudite en tête.
Actions sécuritaires partielles
Au fil des jours, les hauts responsables iraniens ont d’emblée multiplié les prises de position en flèche. A la fin du mois de janvier, soit une dizaine de jours à peine après l’entrée en fonction du président Biden, le chef des Gardiens de la Révolution iranienne (les Pasdarans), Hussein Salameh, a déclaré que l’Iran « n’est pas pressé de relancer l’accord sur le nucléaire », soulignant sur ce plan que son pays « peut continuer à vivre à l’ombre des sanctions » américaines. Cette position n’est pas surprenante en soi, les Pasdarans ayant dès le départ, à l’époque du mandat Obama, exprimé de sérieuses réserves au sujet de l’accord sur le nucléaire.
Et dans ce cadre, les Pasdarans ont rapidement joint l’acte à la parole en se livrant à des actions militaires, certes ponctuelles mais significatives car reflétant une volonté d’escalade contrôlée, ou tout au moins un durcissement dans le contexte d’une relance du dialogue avec l’Occident. Lundi dernier, une milice irakienne inféodée au régime des mollahs iraniens a ainsi lancé une salve de roquettes en direction d’une base militaire américaine à Erbil, dans le kurdistan irakien. Il s’agissait de l’attaque la plus grave dans cette région depuis plus d’un an.
Par ailleurs, au début du mois, les houthis yéménites pro-iraniens ont lancé, à deux jours d’intervalle, des drones contre l’aéroport international d’Abha, dans le sud de l’Arabie saoudite, et des missiles contre une ville saoudienne du sud également, Khamis Mushait, qui abrite une importante base militaire aérienne. Ces deux attaques ont été lancées en dépit de la décision de l’Administration Biden de retirer la milice des houthis de la liste des organisations terroristes, une mesure qui avait été prise par le président Donald Trump à la fin de son mandat.
Autre indice de l’escalade initiée sur le terrain par l’Iran et ses milices alliées dans la région : l’assassinat le 4 février au Liban-Sud, dans une région contrôlée par le Hezbollah libanais pro-iranien, de la principale personnalité chiite libanaise hostile à la politique des Pasdarans et du Hezbollah, Lokman Slim, très respecté dans les milieux diplomatiques occidentaux. Un message adressé sans doute aux Etats-Unis et aux pays européens, ainsi qu’à l’opposition libanaise anti-iranienne (notamment chiite) pour leur « rappeler » en quelque sorte que la tête de pont des Pasdarans au Liban (le Hezbollah) possède encore une grande capacité de nuisance.
L’escalade politique de Téhéran
Cette escalade à caractère sécuritaire s’accompagne parallèlement d’un durcissement politique. A la fin du mois de janvier, le chef de la diplomatie iranienne, Mohammed Jawad Zarif, a ainsi critiqué, lors d’une visite à Moscou, l’initiative française au Liban, affirmant que le président Emmnuel Macron « n’avait pas le droit » d’intervenir au Liban, notamment pour ce qui a trait à la formation du nouveau gouvernement libanais. L’initiative française, visant à aider le Liban à sortir de la crise dans laquelle il se débat depuis plus d’un an et demi, avait été lancée au lendemain de la double explosion cataclysmique du 4 août dernier au port de Beyrouth.
Se faisant l’écho de la position du ministre iranien des Affaires étrangères, le leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a prononcé au début de cette semaine un discours fiévreux dans lequel il s’est prononcé fermement contre tout projet de conférence internationale consacrée à un règlement de la crise libanaise, comme le propose le patriarche maronite, le cardinal Béchara Raï.
Ces deux attitudes en flèche adoptées par Zarif et Nasrallah reflètent la volonté de l’Iran de consolider ses positions au Liban par le biais du Hezbollah, le dossier libanais étant l’une des principales cartes régionales que détiennent encore les Pasdarans au Moyen Orient. Une telle ligne de conduite de la part du régime iranien n’est pas sans rappeler l’attitude similaire adoptée par la Syrie au Liban durant les différents épisodes de la guerre libanaise. Damas s’employait en effet à considérer le Liban comme sa chasse gardée, torpillant systématiquement toute tentative d’un pays arabe ou occidental d’apporter un soutien au Liban pour l’aider à surmonter les crises dans lesquelles il se débattait.
Les signes d’un durcissement iranien se multiplient ainsi en amont des nouvelles négociations avec l’Occident. Leur portée dépendra dans une large mesure de la stratégie que le président Biden et son équipe définiront concernant le dossier iranien et la situation dans l’ensemble du Moyen Orient. La donne à cet égard pourrait toutefois ne pas se décanter de manière significative avant l’élection présidentielle en Iran, prévue en juin prochain.