Le procès historique du clan Bongo débute à Libreville (1)

La photo de Sylvia et Nourredine Bongo présentée comme récente et en détention à la Prison centrale de Libreville.

À Libreville, le procès de l’ancienne Première dame, Sylvia Bongo Ondimba, et de son fils, Noureddin Bongo Valentin, s’est ouvert le lundi 10 novembre. Pendant une semaine, la justice gabonaise prévoit d’examiner les rouages et le basculement présumé d’un système de fraude et d’accaparement du pouvoir qui aurait été à l’œuvre depuis l’AVC d’Ali Bongo, survenu en 2018. Un procès pour solder un règne

Réfugié à Londres, Ali Bongo qui était totalement diminué à la fin de son rëgne, avait laissé l’essentiel du pouvoir à sa femme et à son fils

Douze personnes doivent comparaître devant la cour criminelle spéciale : l’ex-Première dame, son fils et neuf anciens cadres de la présidence, la « Young Team ». Tous sont accusés d’avoir détourné des centaines de milliards de francs CFA à travers un maillage de sociétés écrans, de comptes offshore et de placements occultes.

Sylvia, la Régente de Libreville

Noureddin Bongo Valentin répond de « détournements de fonds publics », « corruption active », « concussion », « faux et usage de faux », « contrefaçon des sceaux de la République » et « blanchiment ». Sa mère, Sylvia Bongo Ondimba, est poursuivie pour « faux » et « blanchiment de capitaux ».

Tous deux, installés à Londres depuis mai, sont jugés par contumace et nient les faits, dénonçant un « procès-spectacle ». Mais à Libreville, le procureur Eddy Minang assure : « La justice va dorénavant s’exprimer avec rigueur, sans préjugés et sans qu’il n’y ait de passe-droits », déclare-t-il, cité par RFI.

La partie émergée de l’iceberg

Ce lundi 10 novembre, l’audience s’ouvre par l’appel des prévenus. Parmi les présents : Ian Ghislain Ngoulou, ex-directeur de cabinet de Noureddin Bongo Valentin ; Jessye Ella Ekogha, ancien porte-parole de la présidence ; Cyriaque Mvourandjiami, Steeve Nzegho Dieko, Gisèle Yolande Mombo, Abdoul Oceni Ossa, Jordan Camuset, Kim Oun et Otha Ndooumba. Un seul absent : Mohamed Ali Saliou, ex-directeur adjoint du cabinet présidentiel, également jugé par contumace.

Le procès se déroule en deux temps : les deux premiers jours sont consacrés aux absents – Sylvia et Noureddin – avant le réquisitoire attendu mardi 11 novembre, puis l’examen des autres dossiers à partir de mercredi.

Lundi, la lecture du renvoi d’appel, la décision qui convoque les prévenus devant les juges, a révélé l’ampleur des détournements en cause. Pendant plus d’une heure, la Cour a égrené les accusations : Noureddin Bongo Valentin, Mohamed Ali Saliou et Ian Ngoulou auraient perçu des bonus pétroliers versés par des sociétés installées au Gabon, ainsi que d’importantes sommes d’argent en espèces provenant du Trésor public – des millions, parfois des milliards de francs CFA.

Ils sont également poursuivis pour blanchiment de capitaux : ces montants auraient alimenté de nombreux comptes bancaires au Gabon et à l’étranger. Un système financier complexe permettant l’enrichissement personnel d’une partie de la famille Bongo. Sylvia Bongo est accusée de s’être constituée frauduleusement un patrimoine immobilier et devra répondre des chefs de « faux et usage de faux ».

Une défense hyperactive médiatiquement

Depuis Londres, dans les jours précédant ce procès historique, la famille Bongo s’est employée à nier toute responsabilité. Noureddin Bongo Valentin a cherché à prendre l’opinion française et anglophone à témoin, en délivrant sa version des faits à travers plusieurs interviews accordées au magazine Le Point, à Brut Afrique et au London Standard. Il a également diffusé des vidéos tournées en caméra cachée, censées illustrer l’absence d’indépendance de la justice gabonaise.

En réaction, le pouvoir dénonce une « campagne d’influence » visant à perturber la transition engagée depuis le 30 août 2023 et le bon déroulement du procès. « On est dans une tentative de déstabilisation qui ne prospérera pas », a affirmé Théophane Nzame Nze Biyoghe, porte-parole de la présidence.

   Noureddin Bongo Valentin

Joanna Boussamba, soutien du nouveau chef de l’État, l’ancien patron de la garde présidentielle, accuse sur TV5MONDE : « Quelle indécence de croire que les Gabonais vont avaler cette pilule-là ! Tout le monde sait que le nom de la famille Bongo signifie dictature. »

Dans ses déclarations, Noureddin Bongo Valentin se présente comme un « bouc émissaire », un simple « assistant » auprès d’un père affaibli, répétant avoir « vécu la plus grande partie de [sa] vie en Europe ». Mais les critiques adressées à la justice gabonaise résonnent avec une forme d’ironie : elles visent une institution et des magistrats que le régime d’Ali Bongo a lui-même nommés, habitués pendant quatorze ans à confondre pouvoir et droit.

Un procès, symbole d’une transition achevée ?

Au-delà des personnes, ce procès vient sanctionner le basculement survenu en 2018 et ouvre une page inédite de l’histoire récente du Gabon. Jamais le pays, indépendant depuis 1960 et peuplé de moins de trois millions d’habitants, n’a traduit devant ses tribunaux les protagonistes accusés d’avoir confisqué le pouvoir et les richesses publiques entre 2018 et 2023. Sous le regard d’une opinion publique en quête de vérité.

Ce procès ne juge pas seulement une famille : il interroge le rapport d’un pays à lui-même et met à l’épreuve la promesse d’un État de droit renaissant. Alors que la transition politique s’achève – après le dialogue national, la nouvelle Constitution et l’installation de la Cinquième République –, le Gabon avance avec prudence, mais aussi avec une certaine forme d’orgueil, sur la voie de sa propre justice.

« Premières dames africaines » (volet 3), Sylvia Bongo, la dame de fer 

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)