Le président Kaïs Saïed se tourne vers l’Iran et la Russie

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Kaïs Saïed qui fut un des trois chefs d’état présents à Téhéran aux obsèques du Président Raïssi multiplie les gestes d’ouverture vers la Russie de Vladimir Poutine. Mais les nouvelles orientations diplomatiques du président tunisien n’ont pas forcément le  soutien des hauts gradés de l’armée qui entretiennent d’excellentes relations avec les Américains, leurs partenaires et financiers traditionnels.

Le président de la République Kais Saied a exprimé, lors d’un entretien début mars avec son homologue iranien Ebrahim Raïssi, aujourd’hui décédé, la volonté de raffermir les liens de fraternité et de coopération avec l’Iran.

Le 22 mai dernier, Kaïs Saïed participait à Téhéran aux funérailles du président iranien Ebrahim Raissi décédé dans un crash d’hélicoptère. Seuls les chefs d’état de la Tunisie, du Qatar et du Tadjikistan se sont déplacés en Iran. La dernière visite d’un Président tunisien, Habib Bourguiba, dans l’ancienne Perse date de 1965. Marque de considération, le Guide suprême de la République islamique, l’ayatollah Ali Khameini, a reçu en personne le chef d’état tunisien. N’avait-il pas qualifié Kaïs Saïed, lors de son élection en 2019, de « personnalité universitaire vertueuse »? La vertu à Téhéran, on en connait un rayon.

Héritier du nationalisme arabe ou de ce qui en reste en Tunisie où ce courant politique est resté marginal et adepte d’une idéologie anti impérialiste dans un pays francophone et ouvert sur l’Europe, l’improbable Kaïs Saïed est aussi à la recherche de financements pour boucler ses fins de mois. Le pays est au bord de la banqueroute en raison du refus du Président de signer l’accord proposé par le FMI d’un montant de 1,8 milliard d’euros. Pour l’instant, les fins de mois du gouvernement sont bouclées par quelques coups de pouce des Algériens dont l’influence est grandissante.

Vers qui se tourner? Les Saoudiens posent comme préalable l’accord avec le FMI. Le Qatar a  pris ses distances avec un régime qui a emprisonné bon nombre de dirigeants islamistes du mouvement Ennhadha dont l’Émirat était très proche. Quant aux Émiratis qui ont mis la main à la poche voci quelques années, ils sont tenus à distance par les Algériens en désaccord avec cette monarchie pétrolière sur la plupart des dossiers brulants (Libye, reconnaissance d’Israel, relations avec le Maroc). 

« Le Monde » (23/05) rappelle que le propre frère du chef de l’état, Naoufel Saïed, conseiller de l’ombre influent, est issu du courant de « la gauche islamique », un courant marqué par les écrits d’Ali Shariati, un des précurseurs de la Révolution iranienne de 1979.

Le général Rachid Ammar, un des acteurs clé du renversement de l’ex Président Ben Ali en 2011, était en relation constante avec ses interlocuteurs de Washington qui l’ont encouragé à prendre le pouvoir

L’ombre de Poutine

Longtemps la présence russe en Tunisie se limitait à un afflux massif de touristes slavec séduits notamment par l’ile de Djerba où des Tunisiens inventifs fabriquaient pour leurs hôtes une vodka locale. Le 19 mai dernier, un article du quotidien « la Republica » faisait état d’avions militaires russes ayant atterri sur la même ile. Autant d’informations démenties à Moscou et à Tunis. D’après le Monde citant des sources sécuritaires, il s’agirait de charters et de cargos et non d’avions militaires.

Il n’empêche, le ministre russe des Affaires Etrangères, Serguei Lavrov, a été reçu à Tunis les 20 et 21 décembre derniers. Des contrats ont été signés, notamment en matière de céréales. Depuis l’invasion de l’Ukraine, la Tunisie a importé plus de pétrole russe que pendant les neuf dernières années. 

Cet entrisme russe, pour l’instant, bute sur les liens très forts qui existent entre le Pentagone américain et l’armée tunisienne. Il faut se souvenir comment en 2011, les États Unis ont participé à la déstabilisation de l’ex Président Ben Ali, en encourageant des hauts gradés, dont le général Rachid Ammar, le très pro américain chef de l’armée de terre, à renverser le régime. L’aide militaire américaine a fortement diminué l’année qui a suivi le coup de force de Kaïs Saied en 2019, mais s’est maintenue depuis. Le département d’État a demandé pour la Tunisie 45 millions de dollars pour 2024 dans le cadre du programme de financement militaire étranger (FMF), des fonds destinés à l’achat d’armes américaines, soit le même montant que l’année dernière. D’après la lettre confidentielle « Africa Intelligence », l’amiral Abderraouf Atallah, conseiller principal du président Kaïs Saïed à la sécurité et membre du Conseil national de sécurité, la plus haute instance décisionnelle du pays, était encore en visite cet hiver à Washington où il était reçu à haut niveau.

Or depuis son accession au pouvoir, Kaïs Saïed sait qu’il a pu compter sur le soutien d’une grande partie de la hiérarchie militaire à qui il a offert de nombreuses sinécures au sein de l’appareil d’état. Pas question pour lui de heurter de front ces militaires qui travaillent en bonne intelligence avec les Américains

« Des ingérences inacceptables » 

Le rapprochement de la Tunisie avec la Russie tient beaucoup de la posture! Le plus cocasse dans cette idylle est le mémorandum de coopération qui a été signé par l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) tunisienne et la commission électorale russe. C’est ainsi qu’au mois de mars dernier, une délégation tunisienne s’est déplacé en Russie pour étidier le processus électoral qui a permis la réélection de Vladimir Poutine … avec 87% des voix.

À l’égal d’un Poutine, Kaïs Saïed ne décolère pas, ces dernières semaines, contre les chancelleries occidentales accusées « d’ingérences inacceptables » dans la vie interne de la Tunisie. Il aura suffi que le département d’État, le quai d’Orsay ou l’Union Européenne protestent bien mollement contre l’arrestation de l’avocate Sonia Dahmani. Le terrorisme verbal de Kaïs Saïed laisse les Occidentaux, les Français notamment, totalement désemparés.