Le Burkina Faso a demandé cette semaine le départ des troupes françaises de son sol dans un délai d’un mois, ont indiqué samedi soir l’Agence d’information burkinabè (AIB) et une source proche du gouvernement.k «Cette dénonciation faite le 18 janvier 2023, donne selon les termes de l’accord du 17 décembre 2018, un mois aux Forces armées françaises pour quitter le territoire burkinabè», poursuit l’agence nationale. Selon une source proche du gouvernement, les autorités ont demandé «le départ des soldats français dans un bref délai». «Ce n’est pas la rupture des relations avec la France. La notification concerne uniquement les accords de coopération militaire», a-t-elle précisé.
Leslie Varenne
Le nouveau pouvoir burkinabè joue avec le feu. Ses forces civiles supplétives, les Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP) commettent sur toute l’étendue du territoire des exactions graves et répétées. Ces drames qui s’ajoutent à une situation sécuritaire et humanitaire alarmante font non seulement courir un risque pour la survie même du Burkina Faso mais ils représentent aussi une menace pour la stabilité des pays voisins.
Le 30 décembre à Nouna, une ville située dans la région de la Boucle du Mouhoun, les VDP se sont livrés à des assassinats ciblés, en représailles à une attaque perpétrée par les djihadistes du JNIM. Le communiqué du gouvernement burkinabé fait état de 28 victimes, mais selon l’enquête d’Amnesty international publiée le 10 janvier, ce sont à minima 86 personnes qui ont été exécutées sommairement dans les secteurs 4 et 6 de la ville. Habituellement lorsque des ONG institutionnalisées comme celle-ci annoncent des décomptes macabres aussi importants, les condamnations internationales pleuvent. Dans ce cas précis, il n’en est rien. Seul le Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme s’est exprimé en demandant une enquête « rapide, complète, impartiale ». Cette omerta est d’autant plus gênante que Nouna n’est que l’acmé d’un mal beaucoup plus profond. Depuis quelques semaines de partout dans le pays remontent des informations selon lesquelles des Peuls sont arbitrairement enlevés, parfois relâchés, mais souvent exécutés sans autre forme de procès par les VDP. Le fils d’un leader communautaire tué à Nouna a été kidnappé le 11 janvier à Bobo Dioulasso et ce n’est qu’un exemple parmi des dizaines d’autres. Des sources burkinabè font état de scènes terribles où des hommes sont assassinés devant leurs proches avec interdiction faite à la famille d’enterrer les corps.
Depuis le vote en janvier 2020 à l’Assemblée Nationale portant création des VDP comme auxiliaires armés des Forces de Défense et de Sécurité, de nombreuses exactions ont déjà été commises et les auteurs de ces faits sont toujours restés impunis. Une des premières décisions prises par le président de la transition après son coup d’Etat de septembre 2022, a été de porter le nombre de ces Volontaires à 50 000. La nouvelle liste des enrôlés n’est pas encore officialisée mais force est de constater que déjà les crimes se multiplient. Dès lors, une question se pose : est-ce le fait de groupes d’individus pas encadrés par leur hiérarchie ou est-ce une volonté politique de cibler les Peuls ? Quelle que soit la réponse, légalement la responsabilité des autorités civiles et militaires est engagée.
C’est dans ce climat lourd, pesant, avec des craintes de massacres à plus grande échelle, dans un pays où plus de 50% du territoire est contrôlé par les djihadistes et au lendemain des révélations d’Amnesty, qu’est arrivée Chrisoula Zachoropoulou. Cette ancienne gynécologue, spécialiste de l’endométriose, nommée en juin 2022 secrétaire d’Etat au développement, à la francophonie et aux partenariats internationaux, a rencontré pendant deux heures Ibrahim Traoré. Selon le Quai d’Orsay sa mission consistait à « réaffirmer l’engagement de Paris auprès de Ouagadougou, dans un contexte de relations dégradées.» En clair, elle est venue tenter d’éteindre l’incendie diplomatique entre les deux Etats, après que le gouvernement burkinabè ait demandé le remplacement de l’ambassadeur, Luc Hallade. Un départ, pour l’instant, refusé par le Quai d’Orsay qui continue à apporter son soutien à son représentant. Chrisoula Zachoropoulou a profité de cette brève visite pour donner le ton de la nouvelle doctrine de Paris en Afrique : la modestie. « La France est en mesure de faire moins ou de faire plus, elle est aussi et surtout capable de faire différemment, dans l’écoute, le respect, l’humilité. » a-t-elle déclaré. Et d’ajouter : « La France n’impose rien, elle est disponible pour inventer un avenir ensemble ». La peur que le Burkina Faso ne tombe dans l’escarcelle de l’ours russe, crée-t-elle des chocs psychiques ? Avec cette feuille de route, il n’était, bien entendu, pas question de parler de choses qui fâchent, Chrisoula Zachoropoulou n’a donc pas évoqué Nouna, à moins qu’elle n’en ait pas eu connaissance. Selon un journaliste burkinabè présent à sa conférence de presse, elle s’est montrée incapable de répondre à une question sur les VDP dont elle a paru ignorer l’existence.
Le lendemain, c’était au tour du président en exercice de la CEDEAO, Umaro Sissoco Embaló de se rendre à Ouagadougou pour s’entretenir avec Ibrahim Traoré. Le chef de l’Etat Bissau Guinéen, dans le même exercice que la Secrétaire d’Etat a apporté le soutien de son organisation aux autorités du Burkina Faso et a, lui aussi, omis de présenter ses condoléances aux familles des victimes et plus largement à tous les Burkinabè, une nouvelle fois endeuillés.
En décembre 2022, à l’issue de son 62ème sommet, la CEDEAO a adopté un projet de création d’une force militaire pour lutter contre le terrorisme et les changements anticonstitutionnels. Mais ce projet reste flou, ni la date, ni le nombre de militaires engagés, ni les contours de leur mission ne sont encore définis. En novembre, lors d’un autre sommet celui de l’Initiative d’Accra qui intègre sept pays de la sous-région, il avait été décidé de former un contingent de 10 000 hommes de sept nationalités différentes toujours pour faire face au terrorisme. Il était convenu que 2000 de ces militaires soient déployés au Burkina Faso, mais le Premier ministre Apollinaire de Tambèla avait à l’époque démenti ces informations. Depuis, plus rien.
Or, au vu de la situation sécuritaire qui se délite de jour en jour, il y a urgence. Après 6 ans de guerre et deux coups d’Etat, l’armée est exsangue, démotivée et divisée. Pour pouvoir lutter contre les groupes armés le Burkina Faso a effectivement besoin du soutien de ses partenaires régionaux et internationaux, tant en termes de ressources humaines, qu’en équipements, matériels, renseignements. Sauf que, sans un arrêt des exactions des VDP contre les civils peuls, tout effort sera vain. Car, d’une part, ces crimes sont les meilleurs recruteurs des groupes djihadistes et parce que d’autre part, ces derniers redoubleront leurs attaques. Ils auront, en outre, beau jeu de se présenter en défenseur d’une communauté opprimée. Agir ainsi consiste à les renforcer en leur offrant sur un plateau un argument politique supplémentaire et contribue à la dégradation sécuritaire.
Une plus grande déstabilisation du Burkina Faso impactera tous les pays côtiers, notamment le Bénin avec la création d’un corridor non contrôlé de l’Atlantique à la Méditerranée favorisant en prime tous les trafics illicites. Ses voisins ont donc des raisons légitimes d’être inquiets, au premier rang desquels la Côte d’Ivoire. Selon des chiffres officieux mais réalistes, cinq millions de Burkinabè y seraient établis, ce sera donc la première destination choisie par les réfugiés. Le choc sera difficilement absorbable pour cet Etat, qui, comme beaucoup d’autres du continent, est déjà confronté à de sérieux problèmes fonciers, sans compter les possibilités d’instrumentalisations du désordre à des fins politiques.
Dès lors, si avec les VDP le Burkina Faso flirte avec le bord du précipice cela ne relève pas seulement de sa souveraineté, toute la sous-région peut être entraînée dans sa chute.