Le Niger pleure un patriote, Mamadou Tandja

Les Nigériens ont accompagné jeudi à sa dernière demeure, dans son village natal de l’est du pays, l’ex- Président Mamadou Tandja, décédé à 82 ans mardi.

Mamadou Tandja avait disparu de la scène publique nigérienne depuis dix ans, depuis le coup d’Etat qui avait sanctionné le 18 février 2010 sa tentative de se maintenir au pouvoir au-delà des deux mandats prévus par la Constitution. Mais sa mort a réveillé la nostalgie d’un dirigeant proche du peuple, jaloux des ressources et de la souveraineté de son pays, aux antipodes de Mamadou Issoufou, qui atteindra lui aussi la fin de ses deux mandats présidentiels dans quelques semaines.

La louange qui revient le plus souvent, sur les réseaux sociaux, dans la bouche des  leaders politiques et à travers les témoignages rapportés par les media, c’est son patriotisme. Car la vie de Tandja fut, de bout en bout, dédiée au drapeau de son pays.

Né en 1938 d’un père commerçant mauritanien soninké marié à une Peule de la région de Diffa, Tandja grandit en milieux kanouri et haussa, deux langues dans lesquelles il s’exprimait volontiers avec verdeur, en plus du fulfulde maternel.

Une vie dédiée au drapeau

Il fut d’abord un militaire. De sa formation, alors panafricaine, comme tous ses frères d’armes de l’empire colonial, à Katibougou (Mali), Tananarive (Madagascar) puis Bouaké (Côte d’Ivoire), jusqu’à sa carrière tout-terrain, Mamadou Tandja servit longuement sous l’uniforme : au groupement nomade de Tahoua, au centre d’instruction de Tondibia, au détachement motorisé de Dirkou, à la troisième compagnie parachutiste de combat à Zinder, à la compagnie du Génie de la mythique Route de l’Unité.

Puis, comme tant d’autres aussi dans sa génération, il arrive au pouvoir par un régime d’exception, poussé par le vent de l’histoire aux côtés de Seyni Kountché, ancien combattant de l’armée française. Le 15 avril 1974, la junte renverse le Président Diori Hamani du Rassemblement Démocratique Africain (RDA), fidèle allié de la France, dont le régime ploie sous la corruption et surtout, l’une des pires sécheresses de l’histoire.

Seyni Kountché est le leader charismatique des années suivantes, craint mais respecté, jusqu’à sa mort d’une tumeur au cerveau en 1987, pour son intégrité de fer, son tempérament de bâtisseur et son nationalisme exigeant. Avec lui, le parti indépendantiste Sawaba, pourchassé sans relâche par Diori et le RDA dans les premières années de l’indépendance, connaît une éclaircie. Il n’est pas au pouvoir, mais ses idées, à travers les enfants de militants du Sawaba ou des sympathisants du mouvement disparu, retrouvent droit de cité.

Mamadou Tandja devient cadre de commandement. Les militaires gouvernent. Il est nommé préfet à Maradi, ministre de l’Intérieur, préfet à Tahoua. Dans la poigne de Kountché, le Niger développe son économie, notamment grâce à l’exploitation de l’uranium, diversifie ses partenaires et tente de tenir à distance le bouillant Mouammar Khadafi soupçonné d’avoir des visées sur une partie du territoire et d’armer les Touaregs du nord.

En 1991, le vent de l’histoire souffle à nouveau. Le temps des régimes d’exception est passé. Le parti –Etat créé par Seyni Kountché devient le Mouvement National pour la Société de Développement – Nassara. Et Mamadou Tandja le préside, incarnant l’héritage le plus direct de son aîné colonel-président. Il participe à la Conférence nationale souveraine qui accouchera bientôt de la démocratie, sous les coups de boutoir de la jeunesse, des syndicats et des mouvements de gauche.

Un politique têtu et habile

Le militaire s’est mué en politique, têtu et habile. Si en 1993, son rival du jeune parti démocratique de Zinder, la Convention démocratique et Sociale, le bat au deuxième tour, à l’occasion des premières élections démocratiques du pays, les deux hommes scelleront par la suite une alliance extrêmement solide, qui permettra à Mamadou Tandja de gouverner de 1999 à 2009 sans crise majeure. L’alliance se brisera finalement sur son refus de quitter le pouvoir et son éphémère sixième République, à la toute fin de son deuxième mandat.

Jusqu’en 2007, son Premier ministre fut Hama Amadou, l’actuel chef de file de l’opposition, qui formait avec lui un attelage solide de l’est et de l’ouest, jusqu’à ce que les ambitions politiques du Premier ministre ne précipitent sa chute judiciaire et politique.

Pas rancunier, ce dernier lui a rendu hommage mercredi. Les deux hommes avaient fait la paix. Hama évoque le souvenir de son « grand frère et compagnon politique », arrivé aux affaires en 1999 « dans un contexte extrêmement difficile. » En effet, les comptes du pays étaient dans le rouge profond, après des mois d’arrêt du versement des salaires des fonctionnaires, et l’ambiance tendue, l’armée ayant, pour la première fois, assassiné le Président en exercice, Ibrahim Baré Mainassara, un autre militaire arrivé par les armes et refusant, lui-aussi, de partir.

« Les ressources du Niger doivent profiter aux Nigériens »

A l’instar de beaucoup de Nigériens, Hama Amadou rappelle « le grand patriote » que fut Tandja, son attachement « à la souveraineté de notre pays et au bien-être de ses frères.  (…) Lui et moi avons été en cela à la même école de gouvernance, celle du Président Seini Kountché.  »

Car le leader que célèbrent les réseaux sociaux, c’est aussi celui qui tint tête à la France et, plus généralement, aux Occidentaux. Celui qui imposa à Nicolas Sarkozy une éprouvante visite dans la chaleur écrasante de mars, pour ordonner le lancement du chantier de la mine géante d’Imouraren. Celui qui imposa à Anne Lauvergeon l’augmentation du prix de l’uranium. Celui qui refusa l’implantation de bases militaires américaines. Celui qui arracha à l’Américain Exxon un permis pétrolier en sommeil, pour le donner à la Chine, qui exploite depuis lors le pétrole extrait dans l’est du pays et la raffinerie de Zinder. C’est avec Mamadou Tandja que le Niger est devenu un pays producteur de pétrole. C’est avec lui encore que la première capitale du Niger, Zinder, a réglé son problème de pénurie d’eau, grâce à des aménagements, là encore, fournis par la Chine.

« La ligne du Président Tandja, c’était que les ressources naturelles du Niger devaient être exploitées au profit des Nigériens. J’étais présente à la réunion avec le directeur d’Exxon, qui voulait le convaincre que ce n’était pas possible d’exploiter le pétrole du Niger. Le Président Tandja lui a dit : ‘Je suis déterminé à ce que le pétrole du Niger soit exploité au bénéfice des populations nigériennes et je ferai tout ce qui sera nécessaire.’  De la même manière, il a exigé la hausse du prix de l’uranium et le lancement de la mine d’Imouraren », raconte Aïchatou Mindaoudou, qui fut sa ministre des Affaires étrangères.

Le militant des droits humains Moussa Tchangari résume par cet écrit ce que chacun pensait sans le dire. « Le décès du président Tandja  (…) est peut-être un signe qui vient nous rappeler (…) que les enjeux du moment sont la reconquête de la souveraineté de notre pays, le relèvement des services sociaux de base, le contrôle de nos ressources naturelles : toutes choses qui ont été compromises depuis dix ans par le régime en place et que nous ne sommes pas encore sûrs de retrouver sur les étals du grand bazar aux suffrages qui va s’ouvrir dans quelques jours. »

« Il n’aimait pas s’éloigner du Niger »

Outre leur région d’origine, Tchangari et Tandja avaient en partage, malgré leurs divergences politiques, cette sourcilleuse indépendance à l’égard de Paris, que Mamadou Issoufou et son successeur désigné, Bazoum Mohamed, ont enterrée dès leur arrivée au pouvoir. Alors que Seyni Kountché avait obtenu le départ de l’armée française, Issoufou l’a fait revenir et installée dans plusieurs bases sur le territoire nigérien, s’assurant, par ce moyen, une protection indéfectible.

C’est pourquoi, ces derniers jours, sur les pages officielles du Président Mahamadou Issoufou et de ses amis, la mort du Président Tandja est devenue le prétexte à l’expression de la frustration et de la colère, la comparaison avec le Niger d’il y a dix ans ne semblant pas tourner à l’avantage des dirigeants actuels. L’ancien Premier ministre Mamane Oumarou, chargé de l’oraison funèbre officielle jeudi matin, l’a dit sans ménagement devant l’aréopage officiel : « avec ton rappel à Dieu, c’est tout un pays, pour qui tu es un patriote convaincu, qui devient orphelin. »

Mamadou Tandja participait rarement aux réunions internationales. Il n’a jamais pris part à l’Assemblée générale des Nations unies. Il envoyait plutôt Aïchatou Mindaoudou. « Il n’aimait pas s’éloigner du Niger et des populations rurales. Pour lui, les réunions internationales étaient une perte de temps, beaucoup de discours et peu d’actions, ce qui n’apporte rien au peuple », résume-t-elle.

Mamadou Tandja est mort à l’hôpital de référence de Niamey. Au Niger. Avec son grade de lieutenant-colonel.

Autre temps…