Alors que le Mali était une chasse gardée de l’Algérie et de la Libye pendant les années qui vont de 2000 à 2010, la politique africaine du Maroc s’affirme avec force dans ce pays. Et ce n’est pas seulement parce que le monarque marocain a offert un joli avion au président malien IBK, élu cet été aux forceps grace à l’appui des militaires français
Le 6 février, la Présidence du Mali annonçait sur son compte Twitter la visite de Mohammed VI entre les 12 et 14 février. Ce voyage, dont la date a depuis été repoussée au 18 février selon la presse malienne, fait suite à l’accueil à Marrakech, le vendredi 31 janvier dernier par le roi du Maroc, de Bilal ag Cherif, secrétaire général du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA).
Volontarisme marocain
Cette rencontre et cette visite ne sont pas les premières interventions du Maroc pour trouver une issue à la crise malienne. En 2012, alors membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, le Maroc s’est engagé à plusieurs reprises dans ce dossier, étant par exemple l’un des principaux co-auteurs de la résolution 2056[1]. Durant l’année 2013, plusieurs signaux ont témoigné d’une poursuite du volontarisme marocain alors que la diplomatie algérienne se trouvait empêtrée dans l’échec de la solution prônée jusqu’alors de règlement sahélien aux violences dans le nord du Mali, et dans la fragilisation du pouvoir du fait de l’état de santé du président Abdelaziz Bouteflika. Suite aux inondations ayant touché le Mali en août 2013, le Maroc n’a en effet pas lésiné sur l’aide : rotations aériennes, mission médicale assistée, hôpital militaire de campagne, distributions de vivres et de médicaments. De même, le 14 novembre, le Maroc accueillait à Rabat une Conférence sur la sécurité des frontières dans la zone sahélo-saharienne, destinée à renforcer la coordination sous-régionale face, entre autre, au « terrorisme » et aux trafics.
Parallèlement à cet engagement, l’influence du Maroc au Mali s’est accrue. Début septembre, l’ambassadeur malien dans le royaume, Toumani Djimé Diallo, était nommé secrétaire général de la présidence à Bamako, un rôle clé de par les liens directs avec le Président et son influence sur la vie politique. Quelques jours plus tard, le 19 septembre 2013, Ibrahim Boubakar Keïta accueillait le roi Mohammed VI à l’occasion de son investiture pour une visite revêtant un aspect particulier, puisqu’il s’agissait de la première fois, depuis son couronnement le 30 juillet 1999, que le roi du Maroc assistait à la cérémonie d’entrée en fonction d’un chef d’État africain[2]. Durant celle-ci, deux projets de coopération étaient d’ailleurs annoncés : la construction d’un hôpital temporaire dans un quartier de Bamako et la formation de 500 imams maliens au Maroc[3].
Une simple lutte d’influence ?
Plusieurs grilles de lectures peuvent être invoquées pour expliquer cet activisme marocain. La première renvoie bien évidemment à la lutte d’influence que se livrent l’Algérie et la Maroc au Sahel. Depuis le déclenchement de l’opération Serval et la marginalisation de la diplomatie algérienne dans le pays – du moins avant un retour début 2014 avec le lancement d’une tentative de médiation entre le pouvoir malien et certains groupes rebelles –, le royaume chérifien est en effet engagé dans une stratégie de renforcement de sa présence au Mali, considéré à Alger comme relevant de sa zone d’influence. Profitant de l’affaiblissement de la présence algérienne, Rabat place ses pions.
De même, il est possible d’analyser la politique marocaine au Mali à travers la question du Sahara occidental, suivant une double perspective. D’abord, le Mali reconnaît la République arabe sahraouie démocratique depuis le 4 juillet 1980, et un renforcement du poids du Maroc pourrait s’accompagner d’un abandon de cette reconnaissance, comme l’on déjà fait plusieurs pays d’Afrique dans les années 1990 et 2000, encore qu’un tel scénario soit très peu probable du fait des répercussions qu’une telle décision pourrait avoir sur les relations entre le Mali et l’Algérie. Ensuite et surtout, tout comme d’ailleurs son voisin oriental, le Maroc ne peut que voir d’un très mauvais œil des revendications sécessionnistes et indépendantistes dans son environnement proche. Bien au contraire, alors que les autorités marocaines sont engagées dans un processus de régionalisation du Sahara occidental dans la droite ligne de la Constitution de juillet 2011, il s’agit pour elles de ne pas renforcer des discours et postures pouvant nourrir une remise en cause des frontières sur cette partie du continent et, ce faisant, les critiques du Polisario à l’égard de leur politique dans le sud marocain.
Cependant, lire l’activisme de la diplomatie marocaine au Mali à travers les seuls prismes des relations algéro-marocaines et du Sahara occidental – étroitement liés – ne saurait suffire. D’une part, l’engagement en faveur de la paix au Mali renvoie à une analyse stratégique selon laquelle, comme le rappelait Mohammed VI le 30 juillet 2004, l’Afrique de l’Ouest et le Sahel sont un « prolongement naturel du Maroc ». D’autre part, pour les dirigeants marocains, la sécurité du Maroc se joue sur le reste du continent africain et nécessite à la fois une coordination entre les États concernés par une même menace et une consolidation de la sécurité régionale à travers une double approche : un engagement militaire dans le cadre de l’ONU, comme en Côte d’Ivoire et en République démocratique du Congo au sein de l’ONUCI et de la MONUC, et des médiations pour mettre fin aux conflits. Ainsi, entre 2002 et 2005, le Maroc est intervenu dans le conflit du fleuve Mano entre la Guinée, la Sierra Leone et le Liberia. Le 27 février 2002, Mohammed VI réunissait à Rabat les chefs d’État de ces trois pays, obtenant de leur part un engagement à renforcer la sécurité frontalière, à améliorer la situation des réfugiés et à réactiver le secrétariat de l’Union du fleuve Mano. Deux mois plus tard, ce sommet était suivi d’une réunion à Agadir durant laquelle les ministres des Affaires étrangères guinéen, libérien et sierra-léonais examinaient et validaient le rapport du comité conjoint de sécurité sur la mise en œuvre des mesures arrêtées par les trois présidents en février. En juillet 2005, lors du sommet des chefs d’Etat de l’Union du fleuve Mano, le Maroc plaidait pour la mise en place de programmes d’aides pouvant soutenir le processus de paix[4].
Visions marocaines
L’implication du Maroc au Mali renvoie donc à plusieurs fils entremêlés et ne se réduisant pas aux relations avec l’Algérie. Certes, elle a pour conséquence le renforcement de l’influence du royaume dans un pays considéré par Alger comme sa « chasse-gardée ». Certes également, elle contribue à consolider, autour de la thématique de la sécurité, la position diplomatique de Rabat sur le continent africain et auprès de ses partenaires occidentaux engagés au Mali. Mais elle s’inscrit plus largement dans une analyse stratégique des autorités marocaines selon laquelle l’espace sécuritaire du royaume ne s’arrête pas à ses frontières. Quoi qu’il en soit, pour des autorités maliennes n’ayant pas intérêt à choisir entre Rabat et Alger, une médiation marocaine est complémentaire du retour de l’Algérie dans les négociations avec les rebelles, ne serait-ce qu’en raison du refus de nombre d’entre eux de négocier avec un État considéré comme responsable de la non-application des accords de 1991 et de 2006. Et, comme le rappelait lucidement le 10 janvier dernier un proche de Bert Koenders, le chef de la Minusma, « on a besoin de toutes les bonnes volontés pour faire repartir le processus » de paix au Mali[5].
PAR ANTONIN TISSERON
[1] Direction de la Diplomatie Publique et des Acteurs non Étatiques (Maroc), Le Maroc au Conseil de sécurité. Revue quotidienne, édition du 6 juillet 2012 (en ligne sur http://www.diplomatie.ma/).
[2] Sarah El Kohen, « Les dessous de la visite de Mohammed VI au Mali », Afrik.com, 20 septembre 2013.
[3] « Mali : Mohammed VI et IBK lancent deux projets de coopération », RFI, 21 septembre 2013.
[4] Abdelaziz Barre, « Les nouveaux axes de la diplomatie marocaine », in Mansouria Mokhefi et Alain Antil (dir.), Le Maghreb et son Sud : vers des liens renouvelés, Paris, CNRS éditions, 2012, pp. 41-58, p. 50.
[5] « Mali : l’Algérie propose sa médiation dans les négociations avec les groupes armés », RFI, 15 janvier 2014.