À l’adresse du public non arabophone, nous proposons une synthèse du lexique itératif dans l’univers du jihadisme en Afrique, sur la base d’une collecte de communiqués et d’oraisons, à la fois du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (Gsim-Alqaïda) et des multiples enseignes de l’Etat islamique (Ei).
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La présente note répond au souci de familiariser les lecteurs, chercheurs et journalistes à une meilleure maîtrise du registre rhétorique de l’insurrection et des soubassements de la pensée qui l’irrigue. Au demeurant, même déclinées selon le contexte du Sahel, les phrases, expressions et tournures se retrouvent, sous toutes les latitudes de l’islamisme et relèvent d’un usage plutôt mondialisé.
- Repères doctrinaux
– Al-Tamkîne (التمكين) : la « Consolidation du pouvoir islamique », comporte une succession d’avancées dans le champ social dans le but d’asseoir, au travers des esprits et des pratiques, la prééminence du projet Califal, en vulgariser les finalités indiscutables et aboutir, dès lors, à une succession d’acquis mentaux où se forge l’opinion de la Umma. Le Tamkîne est la mise en œuvre douce de l’utopie totalitaire.
– Al-Walâ’ wa-l-Barâ (الولاء والبراء) : Loyauté envers les croyants et indifférence aux mécréants/apostats. La tournure permet de délégitimer la collaboration avec l’Etat impie.
– Al-Nikâya (النكاية) : Stratégie d’attrition, d’usure, aux dépens de la cible par le moyen des embuscades, poses d’engins explosifs improvisé (Eei) et attaques brèves, de nature à frapper les esprits et conférer, aux combattants, le sentiment de l’invincibilité, derrière la bannière de Dieu.
– Al-Ridda / Pluriel du sujet Murtaddûn (الردّة / المرتدون) : Qualificatif attribué eux forces armées, autorités civiles et milices favorables à l’ordre établi.
– Al-Tâghût (الطاغوت) : Désigne l’Etat « injuste », la tyrannie ou le despote dont l’action ou l’intention prend sa source dans les des lois profanes, c’est-à-dire hors du périmètre moral de la religion. Al-Tâghût s’étend à la démocratie, à la laïcité, aux droits humains et couvre la parité homme-femme.
– Al-Hakimiyya (الحاكمية) : Affirmation de la « primauté du commandement divin » contre la déviance de la législation conçue hors du cadre de la Charia et, généralement, en marge des standards du monothéisme, que l’Islam complète et achève.
– Ṭalab al-Amān (طلب الأمان) : Demande de protection. Une personne ou une communauté sollicite, en échange de sa soumission aux normes du protecteur, la garantie ponctuelle de sa sécurité. Le bénéficiaire n’est pas contraint à la conversion. Son statut, temporaire, diffère de la qualité de Dhimmi, le monothéiste humilié.
– Al-Ta’zīr (التعزير) : Punition disciplinaire — sanction morale, physique ou symbolique aux fins de redresser une attitude d’inconvenance, d’immodestie, à l’intérieur des espaces sous contrôle. L’acte et l’intensité du Ta’zir, laissés à la discrétion du juge, s’exercent notamment à l’encontre des femmes non voilées ou des hommes en tenue indécente. L’opprobre démonstratif tend à produire la dissuasion.
- Justification de la violence de sédition
– Daf’ou al-Sâ’il (دفع الصائل) : Repousser l’agresseur devient injonction d’autodéfense face à un protagoniste qui a pris l’initiative de l’hostilité (France, Russie, troupes régulières, polices, milice, espions).
– Nafîr (النفير) : Appel à rejoindre le front, engager son corps et sa vie, dans la mêlée de la belligérance.
– Thughûr / al-Ribât (الثغور / الرباط) : Dénomination générique des zones de guerre ou de contact martial où la présence des Moujahidine s’enracine par le temps long et la densité des raids et représente, ainsi, une emprise durable, un fief.
- Organisation militaire
– Saraya / Kata’ib, pluriel (سرايا / كتائب) : Unités tactiques, telles les « Katiba Macina » et « Katiba Gourma ».
– Inghimâsî (انغماسي) : Assaillant qui mène un assaut rapproché. Le mot traduit, à sa racine, l’immersion dans l’eau.
– Istishhâdî (استشهادي) : Auteur d’un attentat-suicide, martyr. Son geste est toujours volontaire et cherche à contenter le Tout-puissant pour recueillir sa rétribution au Paradis.
- Terminologie factuelle
– Embuscade maîtrisée, mine, Kamin Muhkam, Ouboua Nassifa (كمين مُحكَم / عبوة ناسفة) : Exemples courants de mise en scène du harcèlement asymétrique.
– Neutralisation / destruction / incendie d’un véhicule (تحييد / تدمير / إحراق آلية ): Valorisation des résultats matériels de l’engagement sur le théâtre des opérations.
– Repli / fuite de l’ennemi, Tarajou’e, Houroub Al- Adou (تراجع / فرار العدو): Affirmation de la supériorité acquise au détriment d’un adversaire démoralisé et lâche.
– Convoi / Colonne, Ratl (الرتل): Déplacement groupé de véhicules, terme souvent attribué au mouvement de la cavalerie combattue quand elle subit un dommage par l’explosion d’une mine ou un assaut avec effet de surprise ou n’importe quel procédé de déception.
- Mise en scène du butin
–Ghanâ’im (غنائم), singulier Ghanima : Armes qu’elle qu’en soit la dimension, munitions, motos, pick-up, radios, téléphones, bétail et le moindre bien non-humain que le vaincu abandonne. L’exposé des images sert le narratif du succès et stimule le recrutement.
–Hasad al-Amaliyât (حصاد العمليات) : Bulletin périodique des attaques, décliné en bilan, sans mention des pertes éprouvées.
- Dénomination des civils armés qui servent les objectifs du tyran
Ṣaḥawât (الصحوات) : Vocable péjoratif, infamant, qui s’applique aux milices pro gouvernement : Volontaires pour la défense de la patrie (Vdp) au Burkina, Dozos et ex-Groupe autodéfense touareg Imghad et alliés (Gatia) du Mali…Ils sont pourchassés car « supplétifs des apostats ».
- Supports de propagande
-Fondation al-Zallāqa, littéralement terrain glissant (مؤسسة الزلاقة) : Organe médiatique principal du Gsim, en référence à la victoire féroce des Almoravides, sur le Roi de Castille Alphonse VI, le 23 octobre 1086. Les flots de sang sur le sol célèbrent l’ampleur du sacrifice.
–Minbar al-Bayân (منبر البيان), chaire de l’éloquence : Canal de communication du Gsim, en dialectes locaux.
–A’mâq (أعماق), pluriel de Oumqh, profondeur : Porte-voix de l’État islamique, en ses diverses provinces.
- Récurrences stylistiques
– Validation religieuse de l’affrontement, y compris offensif : « Défense des musulmans », « respect des décrets du Seigneur ».
-Insistance sur le harcèlement, la guérilla, célébration des actes de bravoure individuelle, rupture des chaînes logistiques de l’ennemi.
-Importance de la preuve visuelle et recours systématique aux photographies des saisies d’équipement, des prisonniers et des cadavres de belligérants tués.
– Minimisation des pertes internes suivant des formulations allusives, comme le « retrait tactique » et le « souci de la sécurité des combattants ».
– Adresse directe aux communautés locales en vue de les influencer puis de favoriser leur alignement, grâce aux vertus de l’appel à la justice et à l’égalité, dans la piété et l’obéissance aux prescriptions impératives du Créateur.



























