La Guinée équatoriale a remplacé en catastrophe le Maroc comme pays organisateur de la CAN 2015, qui a débuté ce samedi. Le dictateur Teodoro Obiang serait-il le sauveur du grand show sportif africain? Pas vraiment
Le sauveur de la CAN et le sauveur de la CAF. Ainsi aime à se présenter Teodoro Obiang Nguema, le dictateur régnant sur la Guinée équatoriale, depuis que son pays a remplacé au pied levé le Maroc comme pays organisateur de la CAN 2015. « Teodoro Obiang Nguema a montré qu’il était un grand Africain », s’était alors félicité Issa Hayatou. Pour le président de la Confédération africaine de football (CAF), le rapide accord avec la Guinée équatoriale, intervenu après que les plans B imaginés par la CAF aient tous décliné, constitue un succès politique. La CAN ne sera pas annulée pour la première fois depuis la création du tournoi, en 1957. La troisième compétition de football au monde, après la Coupe du monde et l’Euro, peut aussi dire « the show must go on. »
Mais de quel show s’agira-t-il au juste ? Un gros fiasco est-t-il à prévoir ? Pour Claude Le Roy, qui s’apprête à disputer sa huitième phase finale en tant que sélectionneur sur le banc des Diables Rouges du Congo, aucune indulgence ne saurait être tolérée. « J’entends des gens très tolérants ou très laxistes dire « il faut se mettre à la place des Equato-Guinéens ». Non ! Ils ont voulu l’organiser, qu’ils assument » a prévenu le technicien français sur les ondes de RFI. C’était peu avant que le coach et ses joueurs ne s’aperçoivent que leur hôtel ne comportait pas le nombre de chambres demandé et ne pouvait loger toute la délégation congolaise…
Obiang achète 40.000 billets
L’avenir immédiat dira si ce couac reste isolé. En attendant, comme s’il voulait prévenir un flop organisationnel, Teodoro Obiang Nguema a décrété que cette CAN serait un événement populaire. A en juger par le manque d’effervescence dans les rues des villes hôtes, le pari ne semble pas gagné. Et pourtant… « Nous devons donner un caractère solennel à cet événement de la CAN, il faut donc acheter les places pour remplir les stades, a lancé le chef de l’Etat lundi soir à la télévision nationale, lors d’une rencontre avec les chefs de villages, autorités militaires et civiles de la région continentale du pays. Que ceux qui ont les moyens aident les démunis ! Moi-même, j’achète 40.000 entrées, à raison de 10.000 par région (quatre sites abritent la CAN). Ce sont des billets à 500 FCFA (75 centimes) ce qui donne 20 millions de FCFA (30.000 euros). »
Eviter que la CAN, comme c’est trop souvent le cas, ne joue devant des gradins déserts : l’intention est louable. Mais les arrière-pensées ne sont pas absentes. L’Etat équato-guinéen entend également profiter de cet événement rajouté au programme pour faire rentrer de l’argent dans ses caisses. Aussi, pour inciter les populations à aller au stade, Obiang a a-t-il réduit de deux heures les jours de match la journée de travail des fonctionnaires de l’administration publique dans les régions où se déroulent les rencontres (8h-14h au lieu de 8h-16h). Donner une bonne image de son pays est vital pour le vieux dictateur, arrivé au pouvoir par un coup d’Etat en 1979, et réélu en 2009 avec 95,37% des voix.
Deux nouveaux opposants emprisonnés
Troisième producteur de pétrole subsaharien, la Guinée équatoriale est considérée par l’ONG Transparency international comme l’un des pays les plus corrompus au monde (163e rang sur 175). C’est aussi l’un des plus fermés. « De la Guinée équatoriale, vous ne verrez que les pelouses des stades de foot, les joueurs qui les parcourent et le public enflammé dans les gradin. Vous n’entendrez que des encouragements, des scores et des interviews sportives. Vous n’apprendrez rien de la pauvreté, de la corruption et de la répression politique qui minent le pays, car la liberté de l’information n’existe pas en Guinée équatoriale, avait prévenu Reporters sans frontières au lendemain de l’attribution de la CAN au petit Etat d’Afrique centrale. Nous appelons tous les fans de football qui vont suivre cet événement fédérateur et porteur de valeurs à ne pas oublier que la Guinée équatoriale, malgré sa façade policée, est en réalité une dictature qui étouffe les libertés de ses citoyens. »
Les faits ne cessent depuis de rappeler la justesse de cet avertissement. Trois jours avant le coup d’envoi de la CAN, deux opposants politiques ont été arrêtés à Bata, capitale économique du pays, après avoir lancé des appels à boycotter la Coupe d’Afrique des nations. « Celestino Nvo Okenve a été arrêté à Bata par la police (…) mercredi parce qu’il distribuait des affiches et t-shirts demandant à la population de ne pas aller dans les stades comme l’a demandé le président », a déclaré Fulgencio Ondo, chargé de communication du parti d’opposition Union populaire (UP).
Militant du principal parti d’opposition Convergence pour la démocratie sociale (CPDS), Santiago Martin a aussi été arrêté mercredi. « Un proche du gouverneur de Bata l’a accusé d’organiser une manifestation pour le 17 janvier à l’ouverture de la CAN. Le commissaire de la police de Bata a décidé le détenir en cellule jusqu’à la fin de la CAN », a affirmé à l’AFP le secrétaire général de la CPDS, Andrès Esono Ondo. Regardons la CAN, apprécions là pour le spectacle sportif qu’elle a à offrir, mais n’oublions jamais la réalité du régime Obiang.