Le Maroc a volontairement assoupli ses contrôles aux frontières, lundi 17 mai, pour laisser des milliers de demandeurs d’asile débarquer sur l’enclave espagnole de Ceuta, en guise de représailles contre l’Espagne qui accueille sur son sol le chef du Front Polisario, Brahim Ghali, soigné pour Covid-19 dans un hôpital de la Rioja.
Chef du Polisario et à ce titre théoriquement protégé au plus haut niveau par le régime algérien, Brahim Ghali était soigné sous une fausse identité en Espagne bien qu’il y soit mis en cause pour des accusations de viol et de torture. Mais le patron des réfugiés sahraouis a été victime de fuites dans la presse espagnole. Ce qui a mis l’allié de l’État algérien dans de sales draps.
Le degré de précision de ces informations hautement sensibles semble montrer que seuls les dissidents au sein des services algériens ont pu être à l’origine de telles fuites. Histoire de piéger leur hiérarchie. Ce qui montrerait, si l’hypothèse se vérifiait, que la dégradation du climat au sein de l’armée algérienne est préoccupante.
Volte face de la Justice espagnole
Brahim Ghali n’a pas été finalement convoqué, le 5 mai, comme cela avait été annoncé, par « l’Audience nationale », le tribunal espagnol à vocation nationale qui siège à Madrid. C’est ce qu’a affirmé le porte-parole de la haute juridiction pénale espagnole. Il a néanmoins confirmé dans une déclaration à l’AFP que « le juge a demandé à la police qu’elle fasse les vérifications nécessaires pour certifier que cette personne que l’on dit hospitalisée à Logroño (nord de l’Espagne) est bien lui ». Une façon de botter en touche!
Quelques jours auparavant, de nombreux médias internationaux, citant une source judiciaire espagnole, avaient assuré que le chef du Polisario avait été cité à comparaître suite à la réactivation d’une plainte pour « torture » déposée en Espagne par Fadel Breika, dissident du Front Polisario. Cette première plainte devait ouvrir la voie à la justice espagnole pour interroger Brahim Ghali sur d’autres plaintes, déposées entre autres par l’Association sahraouie de défense des droits de l’Homme (Asadeh), l’Association canarienne des victimes du terrorisme (Acavite) ainsi qu’à titre individuel, par la sahraouie Khadijatou Mahmoud qui accuse que Brahim Ghali de l’avoir violée en 2010.
Arrangements et désagréments diplomatiques
Ce volte-face de la justice espagnole n’a pas été évidemment apprécié par Rabat, car il réconforte la thèse d’un arrangement entre les gouvernements algériens et espagnols permettant au chef des séparatistes d’être épargné de poursuites judiciaires. « Il est considéré comme acquis que l’arrivée de Ghali en Espagne, dans un aéroport où, en théorie, il pouvait passer inaperçu, et son admission à l’hôpital dans la capitale de La Rioja, ont été négociées au plus haut niveau entre l’Espagne et l’Algérie, le pays qui accueille le front Polisario sur son territoire », avait d’ailleurs indiqué le quotidien La Razon, quelques jours après la divulgation de l’hospitalisation, le 21 avril, de « l’ennemi public n°1 du Maroc » sous une fausse identité et un vrai – faux passeport algérien, pour se faire soigner de la Covid-19.
Le Royaume a d’ailleurs exprimé officiellement sa déception à l’égard de « cet acte contraire à l’esprit de partenariat et de bon voisinage et qui concerne une question fondamentale pour le peuple marocain et ses forces vives », via un communiqué des Affaires étrangères qui a convoqué l’ambassadeur d’Espagne à Rabat pour demander des clarifications. Dans une interview accordée à l’agence espagnole EFE, le ministre marocain des Affaires étrangères a enfoncé le clou. Nasser Bourita se demandait si l’Espagne «souhaite sacrifier sa relation bilatérale (avec le Maroc, ndlr.) à cause du cas de Brahim Ghali». Pour lui, cette affaire « constitue un test de fiabilité des relations et de leur sincérité ou de savoir si elles ne sont qu’un simple slogan ».
La ministre espagnole des Affaires étrangères, Arancha Gonzalez Laya, s’est contentée de répondre que l’Espagne a fourni des « explications opportunes au Maroc sur les circonstances qui nous ont conduits à accueillir (Brahim Ghali) pour des raisons strictement humanitaires ». Mais en précisant tout de même que « quand ces raisons humanitaires prendront fin, M. Ghali quittera évidemment l’Espagne ». En attendant, les victimes du chef de séparatistes n’en démordent pas.
Après l’annulation de sa comparution devant l’Audience nationale, plusieurs dizaines de Marocains, affiliés à des collectifs associatifs en Espagne, ont manifesté leur mécontentement devant le siège du ministère espagnol de la Justice.