Malgré la trêve estivale, l’annonce de la nomination de Jean Pierre Chevènement, pressenti depuis juin, à la tête de la nouvelle Fondation de l’Islam a provoqué un véritable tollé en plein mois d’août. Comme du temps de sa compétition avec Lionel Jospin, qui s’était soldée par un certain 21 avril 2002 par l’élimination du candidat socialiste au premier tour des présidentielles, tout le passé trouble de Chevènement fut rappelé à la jeune génération qui l’ignorait : son passage en 1957-1958 à « Patrie et Progrès », un groupuscule maurassien, son passage dans une SAS de l’Oranie, sa collaboration avec le général Katz, un militaire à la réputation douteuse pendant la guerre l’Algérie, son hommage rendu récemment en Franche-Comté au colonel Jeanpierre, un des tortionnaires de la bataille d’Alger, sans oublier son soutien à Eric Zemmour affiché à l’occasion des procès en islamophobie intenté au médiatique provocateur.
Proche de l’armée, tout proche
C’est Jean Pierre Chevènement qui aurait convaincu Bouteflika de limoger l’éphémère ministre de la Culture, Nadia Labidi, qui avait le tort, à ses yeux, d’avoir pris la place de Khalida Messaoudi. Celle-ci ainsi que Réda Malek et Saïd Saadi, font partie du groupe des « éradicateurs » que Chevènement, notamment lors de son passage à l’Intérieur, avait érigé en interlocuteurs privilégiés en Algérie. Encouragé par une bonne entente avec Alger, il se serait même cru en mesure de choisir un successeur à Sellal, Premier ministre algérien. Un colloque destiné à faire connaître les capacités d’homme d’Etat de Bouchouareb, l’ami de la France et de Chevènement, fut organisé à Paris. Mais ce ministre algérien un peu gourmand eut droit à de désagréables révélations qui contrarièrent ses ambitions.
Le Che, comme l’appellent ses amis admiratifs, ne cache plus sa préférence pour Ouyahia comme successeur de son ami Boutéflika qu’il rencontrait durant l’été 1962 à Tlemcen. Plus récemment, il a présidé un colloque sur l’Algérie à l’IRIS, le think tank de Pascal Boniface, l’ami du Qatar et de la Palestine. Les intervenants avaient été invités la veille, par l’ambassade d’Algérie et même, semble-t-il, par des membres de l’association France-Algérie, présidée par le Che; à s’en tenir à un politiquement correct.
La vivacité des réactions à la création de la Fondation et à la nomination de Chevènement, renseignent aussi sur les nouvelles ambitions nées chez une nouvelle catégorie d’acteurs qui se croient compétents sur l’Islam, au vu des échecs des « organisateurs » traditionnels de cette religion en France. C’est le cas notamment de Pascal Blanchard à qui un travail universitaire sur le contrôle colonial de l’immigration rapporta une mission au ministère de la Ville. Cet homme de réseaux qui écrit ses livres plus vite que son ombre se croit légitime à s’occuper de tout ce qui touche à l’Immigration, à l’intégration, à l’Islam et à la mémoire coloniale, sur le modèle des officiers des Bureaux Arabes du Second Empire, au vu des retards du PS en matière « politique musulmane ». Et en effet, il y a une place à prendre. Pour s’exonérer d’une réflexion approfondie sur l’Islam, tout bon socialiste cède au réflexe consistant à faire sous-traiter ces questions complexes par …SOS-Racisme. Cette règle se trouve confirmée par la faillite de l’Institut des Cultures d’Islam, ce fleuron de l’ »Islam de France », ouvert par la mairie de Paris dans le 18° arrondissement et dont la mosquée fut entièrement financée à hauteur de 3 millions d’euros par… l’Algérie.
Pour lui éviter la fermeture, Anne Hidalgo décida de renvoyer tous les anciens de SOS-Racisme nommés par Bertrand Delanoé, pour nommer présidente Bariza Khiari, la sénatrice fabiusienne d’origine algérienne, et néanmoins membre du groupe d’amitié France-Maroc du Sénat, ce qui lui vaut des invitations répétées à l’émission dite islamique par Abderrahim Hafidi, pour qui la monarchie alaouite serait la seule habilitée à former, pour « l’Islam de France », des imams « républicains » et francophones, et peut-être même… radicaux-socialistes.
Contrairement à Blanchard, Jean-Pierre Filiu ne veut plus entendre parler de mémoire coloniale. Car il reste traumatisé par sa malheureuse tentative de l’utiliser à des fins électorales. C’est lui qui conseilla à Jospin d’utiliser la tribune offerte par le dîner du CRIF pour dénoncer la pratique de la torture en Algérie. Le premier ministre, suivit son conseil, en croyant que cela allait rapporter au moins les voix de la « gauche morale » à l’élection présidentielle de 2002, mais il ne tarda pas à le regretter. Car Jospin a été forcé de battre en retraite quand la publication du livre d’Aussaresses révéla le rôle de Mitterrand, alors garde des Sceaux dans le gouvernement Guy Mollet, dans l’élimination de Larbi Ben M’hidi. En voulant mettre à contribution la mémoire coloniale dans la pêche aux voix, Filiu contribua à sa manière au 21 avril 2002, que les jospinistes persistent encore à imputer au seul Chevènement.
Le retournement de Dalil Boubakeur
C’est Dalil Boubakeur qui contesta avec le plus de vigueur la nouvelle Fondation, surtout quand lui furent rapportés les propos ministériels interdisant aux membres du bureau de l’ancienne Fondation de sièger dans la nouvelle.Mais sa fronde ne dura que quelques jours. Elle prit fin quand Alger lui recommanda de rentrer dans le rang. Il s’exécuta d’autant plus rapidement qu’on lui expliqua que les bonnes relations de Chevènement avec l’Algérie pourrait faire renoncer à lui trouver un remplaçant. Et quand on créa pour lui un strapontin dans le « Conseil d’orientation » de la nouvelle Fondation, il a montré que la contestation lui est beaucoup moins naturelle que les louanges dont il s’est empressé d’abreuver Chevènement…
Le « Che »lâcha du lest pour se faire accepter par les musulmans dont la nouvelle génération lui reproche notamment son soutien à Milesovic, et n’apprécia guère ses jugements à l’emporte-pièce sur l’ensemble des intellectuels de cette communauté qui seraient incapables, selon lui, de faire fonctionner une telle structure. Le musulman idéal pour lui reste sans doute son ami, et protégé, Sami Naïr, mais celui-ci s’est exclu de lui-même en prêchant un laïcisme assimilationniste outrancier, et son soutien inconditionnel aux éradicateurs algériens, comme Réda Malek et ses protecteurs parmi les généraux du DRS. Il n’a pas la capacité d’adaptation de Chevènement qui osa déclarer « révolue l’ère Bélaïd Abdesslem»,dont il avait approuvé le dirigisme industriel avant de soutenir le « libéralisme » d’Amara Benyounès, puis celui de Bouchouareb qu’il voyait déjà premier ministre de Boutéflika.
Chevènement fit appel au romancier marocain Tahar Bendjelloun, caution marocaine du projet, dont on ne voyait pas bien le rapport avec le financement du culte musulman. Puis pour faire bonne mesure et éviter la relance des querelles algéro-marocaines, il fit entrer Ghaleb Bencheikh, en négligeant ses grandes difficultés de cohabitation avec Dalil Boubakeur dont il convoite le fauteuil de recteur de la mosquée de Paris. Chevènement est déjà interpellé sur cette dernière nomination qui néglige le bilan très négatif de Ghaleb Bencheikh à l’émission islamique de France 2, qui fut créée par Jacques Berque avant de sombrer dans la médiocrité, l’affairisme et le service des généraux algériens mis à la retraite par Boutéflika.
Pour faire taire les critiques, Chevènement expliqua à plusieurs reprises que sa Fondation n’aura que des « objectifs profanes ». Apparement rien de plus « sacré » que la prochaine élection présidentielle qui risquerait de faire vivre un nouveau 21 avril au candidat socialiste François Hollande. Du moins si un Chevènement, allié au souverainiste Dupont-Aignan, captait un nombre de voix suffisant au premier tour.
Il était temps de trouer à occuper cette grande gueule de Chevènement. Et tant pis si l’organisation de l’islam en France ne trouve pas en lui le messie attendu.