L’aide militaire américaine à Israel n’est pas éternelle…

US Vice President Joe Biden and Israeli Prime Minister Benjamin Netanyahu shake hands while giving joint statements at the prime minister's office in Jerusalem on March 9, 2016. Biden implicitly criticised Palestinian leaders for not condemning attacks against Israelis, as an upsurge in violence marred his visit. / AFP / POOL / DEBBIE HILL (Photo credit should read DEBBIE HILL/AFP via Getty Images)

Les Etats Unis doivent-ils remettre en question l’aide militaire qu’ils apportent à Israel ? La question surgit des quatre coins de la sphère politique aux Etats Unis et l’écho qu’elle reçoit est l’indice d’une crise profonde des relations entre l’Etat hébreu et les élites du parti Démocrate.

« Ne serait-il pas temps de supprimer progressivement l’aide militaire à Israël » demande Nicolas Kristof dans le New York Times ? Et il n’est pas le seul. Aaron David Miller , ex-analyste et négociateur du Département d’État pour le Moyen-Orient, (qui) plaide lui pour la suppression de l’aide à toute unité militaire qui commettrait de graves violations des droits de l’homme ». Quant à Martin Indyk, ex-ambassadeur des Etats Unis en Israël, il affirme qu’ « Israel peut se passer d’aide et que la relation avec les Etats Unis serait plus saine ».

Ces interrogations surgissent aux Etats Unis en raison du combat sans merci qui a lieu en Israël entre la gauche progressiste et la droite nationaliste au sujet de la réforme du système judiciaire. Simultanément, le gouvernement de droite emmené par Benjamin Netanyahou a annoncé qu’il allait utiliser l’aide financière américaine pour acquérir  25 chasseurs-bombardiers F-35 d’une valeur de plus de 3 milliards de dollars.

100 milliards de dollars

Selon l’Institut national des études sur la sécurité (INSS), Israël avait reçu des Etats Unis en 2019, une aide à la défense cumulée de plus de 100 milliards de dollars depuis la création de l’Etat d’Israël en 1948. Le 15 septembre 2016, les États-Unis et Israël ont signé le troisième protocole d’accord (MOU) d’aide militaire pour la période 2019-2028. Ce protocole a fixé une enveloppe globale de 38 milliards pour dix ans, soit une aide annuelle de 3,8 milliards de dollars.

Ces chiffres révèlent-ils une aide financière et militaire extravagante ? Pas forcément : depuis le début du conflit Russie-Ukraine, soit un peu plus d’un an, l’Ukraine a reçu une aide américaine cumulée supérieure à 75 milliards de dollars. En 2020, quand Israël a consommé 3,3 milliards de dollars d’aide militaire américaine, l’Afghanistan en consommait 4 milliards, la Jordanie 2,6 milliards, l’Egypte 1,5 milliards, l’Ethiopie et l’Irak 1,2 milliards chacun.

Selon le SIPRI, le budget militaire d’Israel a représenté en 2022, 4.5% du Produit intérieur brut ce qui est plus du double de ce que la France ou l’Allemagne consacrent à leur défense. L’aide militaire américaine a représenté au bas mot 1% du PIB israélien et 15% du budget de la défense. Si Israel avait dû investir lui-même ce budget, nul doute que d’autres secteurs de la société en auraient souffert.

Un engagement politique, forcément

L’aide des Etats Unis a représenté et continue de représenter un engagement sans compromis envers la sécurité d’Israël. Cet adossement a pu avoir un effet dissuasif sur les nombreux ennemis de l’Etat d’Israël. Les Etats Unis ont également toujours veillé à ce que leurs avancées technologiques profitent d’abord – mais sur une période limitée – à Israel et plus tardivement aux Etats arabes par exemple. Le soutien politique américain, l’avantage technologique et l’excellence militaire israélienne ont contribué à forger l’image d’invulnérabilité de l’Etat d’Israël.

 L’aide américaine n’est pas sans bénéfices secondaires pour le donneur. En tant qu’utilisateur sophistiqué des armements américains, Tsahal représente une formidable vitrine commerciale. La pioche israélienne dans l’arsenal américain représente donc un argument de vente exceptionnel pour les industriels américains de l’armement. Par ailleurs, lors de la signature des deux premiers MOU (30 milliards de dollars pour l’avant dernier), un quart de l’aide financière américaine pouvait être utilisée par les Israéliens pour financer leurs propres projets de recherche dans le secteur de la défense. Ce financement indirect de la recherche scientifique israélienne (notamment la recherche sur les missiles anti-missiles) a produit quantité d’innovations qui ont enrichi le catalogue militaire américain.

Le dernier MOU signé par Barack Obama a augmenté l’aide militaire de 8 milliards de dollars mais a supprimé progressivement cet avantage offert aux Israéliens d’utiliser les crédits pour financer une recherche à leur convenance : aujourd’hui les Israéliens ne peuvent que consommer le matériel américain, mais ne peuvent l’améliorer qu’à leur dépens.

La gauche américaine sur les freins

Les 3,8 milliards de dollars d’aide militaire à Israel représentent une épine dans le pied de la gauche américaine. Leurs arguments sont les suivants :

  • Israel est un pays riche qui n’a pas besoin de l’argent américain. Les Etats Unis « gaspillent des ressources rares et créent une relation malsaine dommageable pour les deux parties », écrit le New York Times. Vue ainsi, l’aide n’est pas considérée comme un soutien politique à un allié, mais comme une aumône indue qui profiterait mieux à des pays pauvres.
  • L’argent américain ne donne au gouvernement américain aucun moyen de pression sur Israel. Dès 2019, Bernie Sanders, sénateur du Vermont (la gauche de la gauche américaine) déclarait que s’il était élu, Israël devrait, pour continuer à percevoir de l’aide, « changer fondamentalement » ses relations avec la bande de Gaza, l’enclave palestinienne contrôlée par le groupe islamiste Hamas. « Ce qui se passe à Gaza est absolument inhumain, c’est inacceptable, c’est insoutenable » affirmait-il. À la même époque, Joe Biden, interrogé par le Wall Street Journal, réaffirmait son opposition aux « colonies », mais trouvait « scandaleux de retirer l’assistance militaire américaine à Israël pour l’obliger à changer de politique ». Devenu président, Joe Biden ne remet pas encore ouvertement en question l’aide militaire américaine mais il exerce des pressions multiples pour que la réforme judiciaire soit stoppée.
  • L’arrivée d’un gouvernement sioniste et sioniste religieux en Israel a exacerbé les tensions : Israel est perçu par la gauche israélienne et la gauche américaine comme un Etat « nationaliste », « fasciste », « raciste »… bref comme un pays dont les « valeurs » entrent en collision frontale avec celles des Etats Unis. Dans le Jérusalem Post, Douglas Bloomfield, ancien directeur juridique de l’AIPAC (American Israeli Public Affairs Committee), le principal lobby pro-israélien à Washington, regrette que « l’aide continue d’affluer alors que la « nature démocratique » d’Israel est érodée par son propre gouvernement, le plus extrême de l’histoire de la nation, et dirigé par un Premier ministre de plus en plus autocratique qui est jugé pour fraude, corruption, et abus de confiance ». Aaron David Miller , qui a été pendant de nombreuses années analyste et négociateur du Département d’État pour le Moyen-Orient, a plaidé lui pour l’interdiction de l’aide à toute unité militaire qui commettrait de graves violations des droits de l’homme. 

La droite israélienne méfiante 

 Dès 2016, Caroline Glick, journaliste et auteur américano-israélienne, lançait un cri d’alarme sur les dangers du dollar militaire. « Il s’agit d’un plan d’aide pour Lockheed Martin, pas pour Israel » alertait-elle dans le Jerusalem Post à la veille de la signature du renouvellement du plan d’aide par Barack Obama. Caroline Glick s’insurgeait de la disparition des 25% du plan d’aide qui étaient auparavant laissés à la libre disposition des Israéliens pour leurs recherches et l’industrialisation de leurs produits de défense. Mais surtout elle s’inquiétait de la quasi-obligation d’acheter le futur avion furtif F35. « Le F-35 est un désastre aux proportions épiques, pour les États-Unis d’abord et avant tout. Si Israël accepte de baser ses chasseurs de la prochaine génération sur le F-35, ce sera un désastre pour nous aussi. (…) À ce jour, le F-35 a coûté aux États-Unis 400 milliards de dollars. C’est le double de ce que cela devait coûter. Le projet a déjà quatre ans de retard et est toujours en développement. Il ne sera pas opérationnel avant mai 2018 – au plus tôt. »

Sept ans plus tard, en juillet 2023, dans un essai publié par Tablet Magazine et intitulé « En finir avec l’aide américaine à Israël », Jacob Siegel et Liel Leibovitz, rédacteurs en chefs, affirment sans détour que la « manipulation de l’Etat juif par l’Amérique met en danger Israël et les juifs américains ». La manipulation réside dans le fait que ces quatre milliards de dollars (d’aide militaire) ne sont en réalité qu’une « subvention aux fabricants d’armes du Pentagone » et que les assortir de valeurs morales et politiques relève de l’escroquerie.

Les dollars américains « minent l’industrie de défense nationale d’Israël, affaiblissent son économie et compromettent l’autonomie du pays, donnant à Washington un droit de veto sur tout, des ventes d’armes israéliennes à la stratégie diplomatique et militaire. Lorsque Washington s’immisce directement dans les affaires intérieures d’Israël, comme c’est souvent le cas ces jours-ci, les dirigeants israéliens qui ont fait pression pour obtenir ces financements – y compris l’actuel Premier ministre Benjamin Netanyahu – récoltent simplement les fruits de leurs efforts dérisoires » affirment sans détour les deux journalistes.

Siegel et Leibovitz ajoutent : « L’armée israélienne, souvent considérée comme la quatrième plus puissante au monde, est devenue un supplétif de la puissance américaine dans une région cruciale ou les États-Unis ont perdu l’appétit pour la projection de force. Les renseignements israéliens fonctionnent comme les yeux et les oreilles de l’Amérique, non seulement au Moyen-Orient mais dans d’autres théâtres stratégiques clés comme la Russie et l’Asie centrale et même certaines parties de l’Amérique latine. Contrôler l’accès au puissant secteur de haute technologie d’Israël est un avantage stratégique pour les États-Unis qui vaut à lui seul plusieurs multiples des crédits qu’Israël reçoit ». 

2028, l’échéance attendue

Nul ne sait qui gouvernera Israël en 2028, date à laquelle le prochain protocole d’aide militaire à Israël sera renouvelé. Nul ne sait non plus qui, à cette date, occupera le bureau ovale à la Maison Blanche. Il est toutefois probable que les tendances de fond qui travaillent le Parti Démocrate (progressiste, propalestinien, antisioniste…) ne vont pas aller en s’améliorant. Derrière le discours de façade sur l’ « amitié indéfectible » entre Israel et les Etats Unis, des réévaluations sont en cours et produiront leurs effets dans cinq ans.

Le dernier protocole d’aide (2019-2028) était déjà révélateur d’un changement d’attitude des Démocrates : l’aide était augmentée, mais la liberté laissée aux Israéliens d’utiliser une partie de ces fonds pour financer leur propre recherche avait disparue. Cette modification ne pouvait avoir qu’un but : rendre Israel plus dépendant de l’aide américaine. Le baiser de l’ours était en marche : l’amitié américaine se faisait plus manifeste, mais elle devenait également plus paralysante.

Le gouvernement actuel d’Israël aurait tout intérêt à préparer l’avenir en mettant en place une structure de réflexion chargée de répondre à la double question suivante : Israel peut-il se passer de l’aide militaire américaine ? Quel prix Israel accepterait-il de payer pour continuer d’en bénéficier ?

1 COMMENTAIRE

  1. Israël est invulnérable car l’occident le veut. En 1973 lors de la guerre du kippour des avions Français ont été repeint au couleurs d’Israël et envoyés au combat pour remplacer les avions israéliens perdus .Sans l’occident il perdait la guerre du kippour

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