Le procès en appel dans l’affaire dite du « complot » se tiendra, le lundi 17 novembre, en l’absence des accusés malgré la protestation des prévenus. Quatre d’entre eux ont entamé une grève de la faim, dont Jawhar Ben Mbarek, l’un des accusés qui a été animateur après juillet 2021, date du cout d’État de Kaïs Saïed, d’un Front de salut réunissant différents partis d’opposition
Par Selim Jaziri
Jaouhar Ben Mbarek en 2014.
Ce lundi 17 novembre s’ouvre à Tunis le procès en appel dans l’affaire dite « du complot », après une audience reportée le 27 octobre dernier. En première instance, le 18 avril, 37 condamnations à des peines de quatre à soixante-six ans de prison, avaient été prononcées pour « complot contre la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat », « appartenance à un groupe terroriste » ou « tentative de changer la nature du régime ». Ce procès réunit dans l’accusation d’une machination concertée visant à renverser le régime, un ensemble hétéroclite des personnalités du monde politique et de la société civile qui ont en commun d’avoir contesté la légitimité de Kaïs Saïed depuis son coup de force du 25 juillet 2021.
Le premier procès avait frappé par ses irrégularités de procédure et le caractère expéditif de son déroulement. L’examen sur le fond n’avait pas dépassé la lecture des premières lignes de l’acte d’accusation, et les accusés avaient été contraints de comparaître à distance, depuis leur prison, via un dispositif de vidéo-conférence. Ils avaient refusé de se prêter à ce « simulacre ».
Or, malgré les demandes des avocats qui réfutent les « risques » invoqués pour justifier ce procédé exceptionnel, le procès en appel se tiendra dans les mêmes conditions, interdisant en pratique aux prévenus de participer aux débats.
Grèves de la faim
Tunisie, Jaouhar Ben Mbarek entame une grève de la faim
Pour protester contre cette décision arbitraire, Jawhar Ben Mbarek, l’un des principaux dirigeants de l’opposition condamné à 18 ans de prison, a entamé une grève de la faim « sauvage » (c’est-à-dire, sans manger ni boire) depuis le 29 octobre. Son état de santé est préoccupant. Il a été admis à l’hôpital de Nabeul, hier matin pour l’heure sa famille est sans nouvelles. Déjà hospitalisé pour la nuit, le 13 novembre, les médecins avaient constaté la présence d’une substance toxique au niveau des reins, liée à la déshydratation sévère, et les conséquences de la dénutrition. Il pu recevoir un apport nutritif, mais de retour en prison, le lendemain, il a poursuivi sa grève de la faim.
Sa sœur, elle-même avocate de la défense, Dalila Msaddek, avait dénoncé dans une vidéo publiée le 12 novembre, l’agression dont son frère aurait été victime : emmené dans une zone sans caméra de surveillance, il a été passé à tabac par six détenus de droit commun et cinq gardiens. Les traces de cette agression ont été constatées le 12 novembre par son avocate Hanane Khemiri : « les traces de coups sont visibles sur son flanc avec des ecchymoses. Ils l’ont frappé jusqu’à ce qu’il perde connaissance ».
Trois de ses co-accusés, Issam Chebbi, secrétaire général du parti Al Joumhouri, Ridha Belhaj, membre fondateur du parti Nidaa Tounes en 2012, et Abdelhamid Jelassi, ancien cadre du parti Ennahdha, ont également entamé une grève de la faim, respectivement les 7, 8 et 10 novembre dernier.
Dans une lettre rendue publique le 14 novembre, Ridha Belhaj a estimé que « le but derrière ces pratiques ne consiste pas seulement à briser notre volonté en tant que prisonniers d’opinion, mais [à] soumettre toutes les forces sociales et civiles, et à diffuser la peur et la terreur parmi les militants ».
Douze des prévenus sont actuellement en détention (les autres ont été jugés par contumace ou laissés en liberté). Depuis le mois de juin, ils ont été dispersés dans différentes prisons du pays, éloignées du lieu de résidence de leurs familles. Une brimade sans justification. Comme pour le procès en première instance, ils refuseront de comparaître dans les conditions imposées par la Justice.
Appel à l’unité
Le 10 novembre, Rached Ghannouchi s’est joint au mouvement de protestation. « La Tunisie est en danger tant qu’un militant intègre comme Jawhar Ben Mbarek saigne et meurt sous nos yeux, après des procès dépourvus du minimum d’indépendance et de justice », a-t-il alerté dans une lettre de soutien, dans laquelle il a appelé à l’unité les opposants à Kaïs Saïed : « Il existe une cause plus grande que les divergences idéologiques : la liberté, qui nous concerne tous en Tunisie ».
S’il n’est pas concerné par cette affaire, l’ancien président d’Ennahdha et du Parlement, cumule les condamnations : 40 ans dans une autre affaire de « complot », 22 ans dans l’affaire dite Instalingo, et même 2 ans, la semaine dernière, pour infraction douanière après avoir reçu et reversé au Croissant rouge, , en novembre 2016, un prix de la Fondation indienne Jamnalal Bajaj, pour la promotion des valeurs gandhiennes.
Démenti et poursuites
Le Comité général des prisons, rattaché au gouvernement, a démenti les déclarations des accusés : « l’allégation de grève de la faim de la part de certains détenus est infondée, car des examens et des témoignages documentés ont prouvé le contraire, notamment compte tenu de leur refus de se soumettre à des examens médicaux pour la prise de leurs constantes vitales et du fait que certains d’entre eux ont consommé des aliments et des boissons ». La ministre de la Justice, Leila Jaffel, a réfuté elle aussi, devant l’Assemblée, le 15 novembre, les grèves de la faim et les accusations d’agressions.
Le parquet a d’ailleurs ouvert, le 12 novembre, une enquête à l’encontre de trois avocats, Dalila Msaddek, Hanane Khemiri et Ayachi Hamami, suite à une plainte de l’administration pénitentiaire pour diffusion « de rumeurs et fausses informations » concernant les grèves de la faim.
Tunisie, Mondafrique décrypte le rapport d’instruction du procès pour complot qui débute le 4 mars






























