Les obsèques de Hassan Nasrallah ont prouvé la capacité du Hezbollah à contrôler la rue. Mais derrière cette maîtrise se cache un double discours, celui d’un soutien au gouvernement libanais d’un côté, et de la défense d’un arsenal militaire autonome de l’autre. Une stratégie ambiguë aux conséquences multiples.
Le 23 février 2025, des centaines de milliers de personnes se sont réunies à Beyrouth pour rendre un dernier hommage à Hassan Nasrallah, leader emblématique du Hezbollah. Malgré l’ampleur de l’événement, aucun incident majeur n’a été signalé, prouvant une fois de plus que le Hezbollah peut, lorsqu’il le souhaite, encadrer ses partisans et maîtriser totalement l’espace public. Cette démonstration de force a mis en lumière le contrôle absolu du mouvement sur sa base, contrastant avec l’image d’une organisation parfois présentée comme incapable de freiner des éléments incontrôlables dans certaines circonstances.
Une démonstration de force lors des funérailles de Nasrallah
La cérémonie funéraire de Hassan Nasrallah s’est déroulée dans une atmosphère d’une rare discipline, démontrant la capacité d’organisation du Hezbollah et la loyauté indéfectible de ses partisans. Le cortège funèbre a investi le stade Camille Chamoun Sports City, un lieu hautement symbolique de Beyrouth, rassemblant une foule impressionnante venue rendre un dernier hommage à celui qui dirigeait le mouvement depuis plus de trois décennies.
Malgré l’émotion et la ferveur populaire, aucun débordement n’a été observé. Les images des obsèques ont montré une foule ordonnée, encadrée par le service de sécurité du Hezbollah, illustrant la discipline quasi militaire qui régit le mouvement. Cette organisation tranche avec d’autres manifestations qui, au Liban, dégénèrent parfois en affrontements violents. Le Hezbollah a ainsi prouvé que lorsqu’il le veut, il peut parfaitement maîtriser ses partisans et éviter tout chaos.
Cette capacité de contrôle interroge sur le rôle du Hezbollah dans les violences qui éclatent ponctuellement au Liban, notamment lors des crises politiques ou sociales. Lorsque des heurts surviennent, notamment dans les quartiers sous son influence, le mouvement évoque souvent la présence d’éléments incontrôlables. Pourtant, la rigueur avec laquelle les funérailles de Nasrallah ont été gérées démontre que ces mêmes éléments peuvent, en réalité, être parfaitement encadrés.
Le double jeu du Hezbollah
Depuis la formation du nouveau gouvernement libanais en février 2025, le Hezbollah adopte une stratégie d’apaisement sur la scène politique. Il a accordé hier sa confiance au gouvernement Salam, signalant une volonté d’assurer une certaine stabilité institutionnelle. Une posture qui s’inscrit dans une dynamique plus large où le parti cherche à maintenir son ancrage dans les institutions étatiques.
Toutefois, en parallèle, le mouvement continue de défendre bec et ongles son arsenal militaire, refusant catégoriquement toute discussion sur un éventuel désarmement. Ce double discours pose une question fondamentale : le Hezbollah cherche-t-il réellement à se conformer aux règles étatiques ou joue-t-il simplement la carte de la diplomatie pour mieux préserver son autonomie ?
La résolution 1701, adoptée après la guerre de 2006 et réaffirmée comme un élément central de l’accord de trêve entre Israël et le Liban en novembre 2024, établit que seules les forces armées libanaises sont autorisées à porter des armes non seulement au sud du Litani mais sur l’ensemble du territoire libanais.
Mais son application reste en suspens, d’autant plus qu’Israël a déclaré aujourd’hui son intention de maintenir indéfiniment sa présence dans la zone tampon qu’il a instaurée sur la frontière libano-israélienne.
En parallèle, les frappes israéliennes sur le Liban se poursuivent, visant des dépôts d’armes ou des responsables présumés menaçants pour Israël. Ces attaques, présentées par l’État hébreu comme des frappes préventives, viennent alimenter un climat de tension qui ne cesse de s’intensifier. Le Hezbollah, de son côté, exploite ces attaques pour légitimer son maintien en tant que force militaire indépendante, dénonçant ce qu’il considère comme des violations de la souveraineté libanaise. Mais ces justifications trouvent leurs limites face au fait qu’Israël justifie systématiquement ses opérations par des impératifs sécuritaires.
Le Hezbollah évolue donc sur une ligne de crête, cherchant à ménager son influence politique tout en conservant sa force militaire. Mais cette position devient de plus en plus difficile à tenir, aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale.
Sur la scène intérieure, le débat sur les armes du Hezbollah reste une source de division majeure. De nombreux Libanais, notamment au sein des forces politiques opposées au parti chiite, considèrent que son maintien en tant que milice armée nuit à la souveraineté de l’État. Ils dénoncent également l’usage politique que le Hezbollah fait de ses armes, notamment en période de crise.
Sur le plan international, le Hezbollah reste dans le viseur de nombreuses puissances, notamment les États-Unis et certains pays européens, qui le considèrent comme une organisation terroriste. Néanmoins, cette pression extérieure n’a jusqu’ici eu que peu d’impact sur le statut militaire du mouvement, qui s’appuie sur la réalité du terrain pour justifier son arsenal.
En parallèle, la normalisation entre Israël et certains pays arabes change la donne géopolitique. Le Hezbollah, qui justifie son arsenal par la menace israélienne, voit peu à peu certains de ses arguments fragilisés. Pourtant, tant qu’Israël poursuivra ses opérations militaires au Liban et maintiendra sa présence dans la zone tampon à la frontière, le risque d’une escalade ne pourra être écarté.
La question qui se pose désormais est de savoir si le Hezbollah et Israël sont engagés dans une nouvelle phase de tensions sous contrôle, ou si le feu couve sous la cendre.