Le coup d’État manqué révèle révèle la nouvelle guerre d’influence qui oppose désormais les juntes militaires aux régimes traditionnels de l’ Afrique de l’Ouest
Le 7 décembre 2025, Cotonou s’est réveillé sous le fracas des armes. Une tentative de putsch rapidement étouffée, mais dont la portée dépasse largement les frontières béninoises. Derrière cette opération improvisée se dessine un affrontement plus vaste : la bataille d’influence qui oppose désormais les États côtiers aux régimes sahéliens.
Une attaque éclair et une guerre de récits
À l’aube, un groupe de militaires menés par le lieutenant-colonel Pascal Tigri a pris d’assaut la télévision nationale. Un geste symbolique, hérité de décennies de putschs africains, où contrôler l’écran revient à s’emparer du récit.
Sur les réseaux sociaux, des relais proches des régimes sahéliens ont aussitôt annoncé la chute du pouvoir béninois. Une communication précipitée, révélatrice d’une stratégie hybride : mêler action militaire et offensive médiatique pour donner à une mutinerie l’apparence d’un soulèvement populaire.
L’illusion n’a duré que quelques heures. L’intervention rapide du Nigeria et de la France a mis fin à la tentative de renversement. Mais l’épisode expose une dynamique plus profonde : une poussée idéologique et stratégique venue du Sahel, qui avance par touches, teste les défenses et cherche à étendre son influence sans confrontation directe.
Une influence diffuse, sans uniforme
Les signaux s’accumulent : financements discrets, réseaux numériques actifs, discours anti‑CEDEAO amplifiés depuis des mois. Aucun ordre formel n’a besoin d’être donné. Le terrain avait été préparé en amont, dans les esprits.
Le Sahel n’envoie plus de troupes ; il diffuse des récits, instille la défiance et exploite les fragilités internes. Une stratégie de pénétration lente, où les acteurs locaux croient agir pour la souveraineté nationale tout en s’inscrivant dans un axe géopolitique opposé aux partenaires occidentaux.
Pour les régimes sahéliens, l’enjeu est clair : un coup réussi offrirait un accès stratégique à la mer. Un échec, lui, ne coûte rien — mais permet de mesurer les lignes de défense adverses.
Le Bénin, maillon d’un corridor vital
Si le Bénin est ciblé, c’est aussi pour son rôle dans un dispositif énergétique crucial : le pipeline reliant les champs pétroliers d’Agadem, au Niger, au terminal béninois de Sèmè‑Kpodji.
Cette infrastructure constitue la seule ouverture du Niger vers l’océan. La sécuriser est devenue un impératif vital pour les États sahéliens regroupés au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES). Installer un pouvoir favorable à Cotonou serait, pour eux, un atout stratégique majeur.
Failles internes et frontières poreuses
Au nord du Bénin, la menace est déjà présente. Des groupes armés venus du Burkina Faso progressent, des soldats tombent dans l’indifférence, et une partie de l’armée se sent abandonnée. Un terreau idéal pour les opérations d’influence.
La frontière avec le Niger est devenue une zone grise où circulent idées, armes et agents. À l’ouest, le Togo entretient une ambiguïté stratégique qui facilite les mouvements transnationaux.
Dans le même temps, la CEDEAO se fragilise. Depuis la rupture avec le Mali, le Niger et le Burkina Faso, l’organisation n’est plus un médiateur : elle est devenue un champ de confrontation entre deux visions du continent. Le Bénin se retrouve au cœur de cette ligne de fracture.
Le golfe de Guinée, nouvelle ligne de front
L’échec du putsch ne met pas fin à la confrontation. L’AES semble jouer la carte de l’usure : multiplier les provocations, tester les réactions, recommencer jusqu’à épuiser les États côtiers.
Chaque tentative accroît la pression sur Abuja et Paris, alimentant le ressentiment populaire contre leurs interventions. Le Nigeria, affaibli par ses crises internes, peine à assumer son rôle de puissance stabilisatrice. La France, elle, se retrouve enfermée dans une posture défensive qui nourrit les discours hostiles.
La bataille qui s’annonce ne se jouera pas seulement sur le terrain militaire, mais dans les récits, les alliances et la capacité à tenir dans la durée. Le 7 décembre n’était qu’un avertissement.
Le Sahel a compris que contrôler l’accès à la mer, c’est maîtriser les routes, les ressources et les symboles. Et qu’un empire — même moderne — étouffe sans ports.
Le golfe de Guinée s’impose désormais comme la nouvelle ligne de front de la guerre d’influence qui redessine l’Afrique de l’Ouest.
























