La liquidation judiciaire de Brandt, prononcée le 11 décembre 2025, met un terme à une aventure industrielle commencée avec enthousiasme en 2014 grâce aux liens tissés entre Issad Rebrab, le milliardaire labyle historiquement proche des services alagériens et Emmanuel Macron, alors ministre de l’Industrie de François Hollande et achevée dans les tensions politiques et l’épuisement financier. Ce naufrage raconte autant l’histoire d’un modèle économique défaillant que celle d’une relation franco-algérienne minée par la méfiance et les calculs de pouvoir.
Lorsque Cevital reprend FagorBrandt le 15 avril 2014, la France y voit la preuve qu’un investisseur étranger peut contribuer à préserver l’industrie nationale, tandis que l’Algérie glorifie l’ascension d’un champion privé capable d’acquérir un industriel européen. Derrière ces discours, les fragilités de l’électroménager français sont déjà présentes, tout comme les limites d’un partenariat économique entre deux États dont la relation reste marquée par des tensions récurrentes.
L’argent afflue, les pertes aussi
Cevital investit massivement durant la décennie suivante. Le groupe débourse environ cinquante millions d’euros pour la reprise, puis près de cinquante millions supplémentaires pour relancer les usines françaises, avant de consacrer plus de deux cent cinquante millions à la construction du complexe de Sétif en Algérie.
Malgré ces efforts, Brandt ne parvient jamais à retrouver un modèle viable. Le bilan arrêté au 31 décembre 2023, le dernier publié par le groupe Brandt, affiche une situation nette négative et une trésorerie insuffisante face à des dettes dépassant les deux cents millions d’euros. L’entreprise survit grâce aux avances intragroupe, signe d’une dépendance croissante et d’une absence de redressement structurel.
Une entreprise défaillante pendant de dix ans
Pourquoi Cevital est parti dans cette galère industrielle, Cette question s’impose comme l’une des zones d’ombre les plus dérangeantes du dossier. Les montants investis par Cevital dépassent largement ce que justifiait la performance réelle de Brandt. Pourquoi maintenir sous perfusion une filiale déficitaire pendant plus d’une décennie ? Pourquoi prolonger une stratégie qui ne fonctionne pas, sans jamais en expliquer le sens ?
Les explications officielles évoquent le prestige international, le soutien à un projet transméditerranéen ou la volonté d’alimenter l’usine de Sétif en volumes européens. Mais ces arguments ne suffisent pas à éclairer un engagement financier aussi disproportionné.
Dans les milieux économiques, un autre questionnement émerge, plus direct et plus sensible. Brandt a-t-elle servi à autre chose qu’à produire des réfrigérateurs et des machines à laver ? Une filiale structurellement déficitaire peut-elle devenir un outil pratique pour faire circuler des flux intragroupe qui ne pourraient transiter par les circuits algériens ?
Certains observateurs évoquent, sous forme d’hypothèse, l’idée d’un possible usage de Brandt comme mécanique de recyclage financier. Aucun élément factuel ne permet de confirmer un dispositif de blanchiment ou de manipulation comptable. Mais l’absence d’explication claire de Cevital, l’ampleur du soutien accordé malgré l’échec industriel et l’opacité des flux financiers intragroupe alimentent un doute légitime. Une telle incohérence constitue un signal d’alarme qui appelle des réponses. Elles n’ont jamais été fournies.
L’effondrement final en 2024 et 2025
Le recul du marché européen en 2024 accélère la chute. Les ventes baissent, les banques se retirent et Cevital, engagé dans une recomposition interne, cesse de financer la filiale française avec la même intensité. Le 1ᵉʳ octobre 2025, Brandt est placé en redressement judiciaire. Le 11 décembre, faute de repreneur crédible, le tribunal prononce la liquidation. Environ sept cents salariés perdent leur emploi.
Les projets de reprise en coopérative échouent malgré leur sérieux, car aucune banque n’accepte de soutenir une entreprise que Cevital lui-même ne défend plus.
Le pouvoir algérien et la nouvelle ligne de Cevital
La faillite de Brandt s’inscrit dans un contexte politique algérien profondément transformé. Depuis l’accession d’Abdelmadjid Tebboune au pouvoir, l’État exige des grands groupes économiques une loyauté sans ambiguïté. Issad Rebrab, fondateur de Cevital, devient progressivement une figure trop indépendante.
À partir de 2022, son fils Malik Rebrab prend en main la direction opérationnelle du groupe. Il écarte son père et son frère Omar des centres de décision et renforce ses liens avec l’entourage du président Tebboune. Cette consolidation interne s’accompagne d’un recentrage sur les activités jugées stratégiques pour l’Algérie. Brandt France, structure déficitaire et politiquement inutile, est abandonnée dans ce virage.
À l’image des relations franco-algériennes
Les années 2023-2025 voient les relations entre Paris et Alger traverser une zone de turbulences : désaccords sur les visas, divergences au Sahel, tensions mémorielles et concurrence d’influence en Afrique. Aucun climat de confiance n’encourage la consolidation d’un projet industriel franco-algérien.
La France laisse Brandt s’effondrer sans intervention significative. L’Algérie n’a aucune raison politique de soutenir une filiale étrangère en perte chronique. La faillite devient alors le reflet d’une relation bilatérale qui peine à dépasser les crispations diplomatiques.
Les bassins industriels de Vendôme et d’Orléans paient le prix fort. Les suppressions d’emplois frappent des territoires déjà fragilisés, tandis que les sous-traitants locaux s’effondrent. Les élus dénoncent une désindustrialisation devenue systémique et l’incapacité de la France à protéger les chaînes de production encore présentes sur son sol.
Quand l’économie s’efface devant la politique
La disparition de Brandt résulte d’une combinaison étroite de fragilités industrielles et de calculs politiques. La recomposition du pouvoir au sein de Cevital, les priorités du régime algérien et la méfiance persistante entre Paris et Alger ont créé un environnement où la survie d’une filiale française déficitaire n’avait plus aucune justification stratégique.
Brandt s’éteint en France tandis que son usine de Sétif poursuit son activité, confirmant le basculement d’un projet présenté comme transnational vers une logique strictement nationale. L’histoire retiendra qu’au-delà des bilans comptables, c’est le politique, en France comme en Algérie, qui a façonné le destin de cette entreprise.



























