Lourdement sanctionnée pour la chute d’une grue à La Mecque le 11 septembre 2015, la société Saudi Binladin Group a bénéficié d’un non-lieu en 2006 concernant ses liens avec Oussama. Toutefois, la justice française laisse en suspens des questions embarrassantes
Le 11 septembre dernier, la multinationale Saudi Binladin Group a perdu le quasi-monopole qu’elle possédait sur la construction en Arabie Saoudite depuis plus de quatre-vingts ans. Originaire du village d’Al-Ribat, au Yémen, Mohammed Ben Laden avait débarqué en 1930 à Djedda. Dynamique fondateur d’une société de travaux publics, il séduisait rapidement le roi Ibn Saoud, patriarche de la dynastie des Al Saoud, qui en fait son ministre des Travaux publics. Les deux hommes collectionnent les épouses. Ibn Saoud aura plus de 70 enfants, Mohammed Ben Laden 55. C’est l’un des fils d’Ibn Saoud, le roi Salmane, qui a décidé de sanctionner lourdement Saudi Binladin Group pour la chute d’une grue provoquant la mort de plus de cent personnes dans la Grande Mosquée de La Mecque. L’entreprise, dirigée par Bakr Ben Laden, fils de Mohammed, était chargée d’agrandir de 400 000 m2 la superficie de la Grande Mosquée. Non seulement Saudi Binladin Group se voit dorénavant exclu de tous les appels d’offres et des nouveaux projets publics, mais ses dirigeants ont interdiction de quitter le royaume…
Les paradis fiscaux ne répondent pas
C’est la première fois que cette multinationale, implantée aux Emirats arabes unis, en Egypte, au Yémen, dans de nombreux pays africains et asiatiques, est sanctionnée. Elle était passée entre les gouttes après le 11 septembre 2001, malgré l’implication dans les attentats d’un des fils de Mohammed Ben Laden, Oussama, né en 1957 d’une mère d’origine syrienne. Officiellement, Yeslam Ben Laden, frère aîné d’Oussama, installé à Genève, et indirectement toute la famille Ben Laden, ont été blanchis le 27 décembre 2006 par une ordonnance de non-lieu signée par Renaud Van Ruymbeke, alors premier juge d’instruction au tribunal de grande instance de Paris. Dans un document de 17 pages, le magistrat écrit en conclusion : « les investigations menées n’ont pas permis de caractériser des opérations de blanchiment ou de financement d’activités ou de réseaux liés à Oussama Ben Laden à partir des sociétés analysées ». mais il ajoute aussitôt : « ordonnons le dépôt au greffe pour y être repris s’il survenait des charges nouvelles ». Renaud Van Ruymbeke ne blanchit pas les frères et sœurs de fondateur d’Al-Qaida, il déplore seulement que des paradis fiscaux et des banques n’ont pas répondu à ses commissions rogatoires internationales.
Aucune obligation d’information
Tout démarre le 20 novembre 2001, lorsque Tracfin porte à la connaissance du parquet de Paris des faits de blanchiment. Une information judiciaire est ouverte le 5 décembre. Dans cette ordonnance de non-lieu, dont Mondafrique a pris connaissance, les investigations portent sur la société Moree Investments Ltd, dont le siège social est aux îles Vierges britanniques, mais qui est domiciliée auprès de la Saudi Investment Compagny SICO, à Genève, présidée par Yeslam Ben Laden. Il s’agit de savoir si « des opérations de placement suspectes, en relation avec les attentats commis le 11 septembre 2001, ont été réalisées ». Renaud Van Ruymbeke découvre que Yeslam Ben Laden ne dit pas la vérité. Alors qu’il prétend ne plus avoir aucun lien avec Saudi Binladin Group, SICO n’est, en fait, qu’une filiale du groupe saoudien. Mais comment en savoir davantage ? Suivant la législation saoudienne, l’entreprise n’est soumise « à aucune obligation d’information, qu’elle soit économique, juridique ou financière. De ce fait, il n’existe aucune transparence financière en ce qui concerne ses transactions financières », constate le juge.
Une holding dans les îles Caïmans
Par ailleurs, « l’essentiel des sociétés contrôlées par Yeslam Ben Ladin sont implantées dans des paradis fiscaux, permettant ainsi d’occulter toutes les transactions financières et les liens personnels s’y référant », écrit-il. Par ailleurs, Yeslam Bien Laden a transformé SICO au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, « n’apparaît plus que comme actionnaire minoritaire ». Le frère d’Oussama a pourtant prétendu que « la société SICO ne possède pas de filiales, ni en Suisse ni à l’étranger, encore moins dans des paradis fiscaux ». Grâce à sa pugnacité, Renaud Van Ruymbeke découvre que SICO est elle-même détenue par une holding, Falken, dont le siège est aux îles Caïmans. Moree Investments Ltd est aussi détenue par Falken. Seulement voilà, le mensonge n’est pas un délit. Et il n’est pas interdit de monter des opérations complexes. On peut juste se demander pourquoi des Saoudiens, qui ne payent pas d’impôts dans leur pays, se compliquent la vie en planquant leurs économies dans la Caraïbe…
La Suisse ne donne pas de noms
Yeslam Ben Laden possède aussi à Panama la société Celta Finance, qui a reçu entre 1999 à 2001 la somme totale de 6,2 millions de francs suisses (6 millions d’euros) de la société Colmar Limited, gérée par Goldman Sachs. Mais le magistrat, impuissant, ajoute : « La demande de renseignement transmise le 2 septembre 2003 à Interpol Londres concernant cette société restait sans réponse ». Il n’a guère plus de chance avec la Suisse. Sa commission rogatoire internationale du 2 novembre 2004 lui permet d’établir l’existence de comptes ouverts à la Deutschbank à Genève au nom de Bellerive Holding et de Cambridge Engineering Systems Limited. Mais l’info s’arrête là : « les bénéficiaires de ces comptes n’étant même pas dévoilés par la banque »… Dans ces conditions, comment aller plus loin ? D’où cette ordonnance de non-lieu du 27 décembre 2006.
Carmen, l’ancienne belle-sœur d’Oussama, et ancienne épouse de Yeslam Ben Laden, auteur du livre Le Voile déchiré, paru en 2002, affirme que « la famille Ben Laden vénère le fondateur d’Al-Qaida (…) Tout le monde l’aimait, y compris mon mari. C’était un peu la conscience religieuse de la famille ».
Il serait intéressant de rouvrir aujourd’hui le dossier. Plusieurs paradis fiscaux, et notamment la Suisse, se sont engagés à collaborer et à répondre sérieusement aux commissions rogatoires. Berne ne l’a-t-il pas fait pour Jérôme Cahuzac, l’ancien ministre socialiste du Budget, en possession d’un compte non déclaré à Genève, transféré ensuite à Singapour ?
(*) Selon les documents, Ben Laden est parfois écrit Binladin. Le frère d’Oussama, Yeslam, orthographie son nom Bin Ladin.