La déferlante chinoise au Maghreb

Tant sur le plan économique que sécuritaire, la Chine déloge les anciennes puissances occidentales dans les pays du nord de l’Afrique

Des trois pays du Maghreb central (Algérie, Maroc, Tunisie), l’Algérie occupe de loin la position de partenaire privilégié de la Chine, un partenariat scellé du temps des guerres de libération post coloniales. Le Maroc, également, d’une manière affirmée et enfin la Tunisie, d’une manière plus subtile, se rangeant dans le camp attentiste.

Un quatrième, la Libye, passerelle entre la Machreq et le Maghreb, faisait figure de tanker pétrolier capital pour la Chine, au même titre que le Soudan. Mais ces deux pays ont été soustraits à la prépondérance chinoise lors de la contre révolution qui a suivi le «printemps arabe». Personne ne note que cette sécession du sud Soudan, en 2011 est, avec l’intervention faussement humanitaire contre la Libye l’acte déclencheur de la révolte populaire de la Place Tarir au Caire.

Pays le plus riche, le plus développé économiquement, doté de l’armée la plus puissante à égalité avec l’Afrique du sud, son partenaire et frère d’armes dans le combat pour la libération de l’Afrique, le plus grand par sa superficie, de surcroit frontalier de sept pays (Maroc, Tunisie, Libye, Mali, Mauritanie, Niger et RASD), l’Algérie occupe une position centrale au Sahara et ambitionne d’être au centre du jeu d’autant plus impérieusement qu’elle est chez elle au Sahara et dispose d’une frontière commune de 1.800 km avec le Mali. De surcroit, l‘Algérie est avec la Russie l’un des deux principaux ravitailleurs en gaz de l’Europe occidentale, dépendance qui lui déplait et qu’elle entend réduire face à ces deux pays situés hors de la sphère atlantiste. Ultime survivant de l’ancien «front du refus arabe», flanquée désormais de deux régimes néo-islamistes, la Libye et la Tunisie, l’Algérie clouée au dossier du séparatisme du Nord du Mali.

Elle dispose toutefois a une expertise reconnue dans le domaine de la guérilla acquise durant sa guerre de libération nationale, doublée d’une expertise dans la lutte contre le terrorisme  acquise durant la décennie noire 1990-2000), mais aussi et surtout, mais cela les initiés en conviennent, sous la houlette soviétique lors de la guerre d’Afghanistan (1980-1990). De ce fait, l’Algérie n’est redevable à aucun état occidental du moindre soutien logistique ou financier dans sa guerre contre le terrorisme et apparait de ce fait comme le pays arabe le moins dépendant.

Avec 250 milliards de dollars de réserve, l’Algérie est le second état arabe par l’importance de ses devises, derrière l’Arabie Saoudite. Elle constitue de ce fait le point d’articulation majeur de la Chine dans la zone. Leur partenariat est à l’image de la qualité de leurs relations politiques :

Le montant des marchés accordés aux Chinois dépassent 20 milliards de dollars dont la grande mosquée d’Alger au milliard d’euros. Trente mille chinois vivent en Algérie, dont 3.600 commerçants et 567 entreprises.

Sur le plan pétrolier, un contrat de 420 millions d’euros pas été alloué au développement du gisement de Zarzaitine au Sahara. Une raffinerie doit également être construite dans la région d’Adrar à proximité du bassin de Sbaâ. Selon les prévisions des stratèges occidentaux, l’Afrique subsaharienne risque de supplanter le Moyen-Orient, en tant que principal fournisseur énergétique des Etats-Unis. L’Afrique occidentale dispose de près de soixante milliards de barils de réserves pétrolières avérées. Son pétrole à faible teneur en soufre, est un brut doux, fort apprécié par les pétroliers américains.

Parallèlement à ces découvertes, les États-Unis ont multiplié les initiatives diplomatiques et militaires en vue de scotcher les pays africains à la stratégie américaine. Des points d’intervention favorisant le déploiement rapide des forces américaines ont été aménagés dans la zone sahélienne sénégalo-malienne, ainsi qu’en Namibie à la frontière avec l’Angola.

Des opérations conjointes avec les pays du Sahel ont été lancées en 2003-2004 contre le groupe Salafiste pour la prédication et le combat (GPS) dans le cadre du «programme de contre-terrorisme en Afrique». Les attaques contre les touristes français en Mauritanie en décembre 2007, entraînant l’annulation du rallye automobile Paris-Dakar et son transfert vers l’Amérique latine, de même que l’attentat contre l’ambassade israélienne à Nouakchott témoignent des réticences locales et régionales au déploiement américain en Afrique.

Porte de l’Afrique via le Sahara, deux pays du Maghreb, l’Algérie et le Maroc avaient été sollicités pour l’installation du Quartier général de l’AFRICOM. Désireux de l’abriter, le Maroc y voyait un de pérenniser sa souveraineté sur le Sahara occidental face aux revendications indépendantistes Sahraouies soutenues par Alger.  A tout prendre, les États-Unis vouaient une secrète préférence pour l’Algérie, pays au nationalisme chatouilleux, dont l’adhésion au projet aurait renforcé sa crédibilité.

Chine-Tunisie: Ben Ali l’Américain

Pendant 23 ans sous le joug du dictateur Zine el Abidine Ben Ali, ancien Overseas officer des services de renseignements américains, la Tunisie est réduite à la portion congrue dans ses rapports avec la Chine. Aujourd’hui Pékin pourrait se voir confier le grand projet de construction d’un deuxième aéroport international à Tunis. La ratification  d’un accord économique et technique entre la Chine et la Tunisie a donné lieu à une donation de 80 millions de yuans soit 19 MD. Cette opération qui a eu lieu sous le nouveau régime néo islamiste a fait naître des supputations sur une « évaporation de recettes » de l’ordre d’un million de dollars.

Sur fond de sourde tension entre la France et la Tunisie, résultant du soutien inconditionnel de Paris à la dictature Ben Ali et des interférences de Manuel Valls, ministre socialiste de l’Intérieur dans les affaires tunisiennes, toute éventuelle maladresse française pourrait conduire la Tunisie à s’adosser davantage encore sur la Chine au détriment des intérêts français.

Chine Maroc: Deux pays de vieilles civilisations

La Chine et le Maroc entretiennent des relations cinquantenaires, établies en 1958 dans la foulée de l’accession du Maroc à l’Indépendance. Longtemps limitées, les échanges se sont amplifiées du fait de l’accession de la Chine au de  5eme  fournisseur du Maroc devant les États-Unis et l’Allemagne. Cinquième puissance économique d’Afrique, premier producteur et exportateur de phosphates du monde, le Maroc offre des perspectives attrayantes à la Chine qui importe, depuis 2011, 750.000 tonnes d’engrais phosphatés par an.

En dehors de tout contentieux, les rapports Chine-Maroc paraissent toutefois devoir rester limiter en raison du rôle du Maroc sur le continent africain.  Partenaire occulte de la diplomatie souterraine israélo-arabe, voltigeur de pointe de la stratégie atlantiste en Afrique, le positionnement marocain se situe dans le prolongement de la coopération stratégique des États-Unis avec les pétromonarchies du Golfe.

Les États Unis avaient d’ailleurs caressé le projet d’aménager au Maroc le Quartier général de l’AFRICOM, le nouveau corps d’armée  affecté à l’Afrique. Un choix par défaut, après le refus de l’Algérie et du Nigéria, deux acteurs majeurs du continent d’accueillir le QG du 7eme corps d’armée américain. Soucieux de diversifier leurs alliances, les États-Unis s’étaient d’abord tournés vers ces deux puissances émergentes d’Afrique, bien que la première soit en butte à des actions de type terroriste (Boko Haram) et le second à des opérations de déstabilisation cycliques. Néanmoins, c’est à la suite du refus de l’Algérie et du Nigéria d’abriter l’AFRICASOM que les américains envisagent de construire leur base dans la  région de Tan Tan, à l’extrême sud du Maroc, à la limite des frontières du Sahara Occidental, à proximité de la bourgade de Ras Dari.

Pur hasard ou fâcheuse coïncidence? A la faveur de la contre révolution qui a fait suite aux « printemps Arabes », les trois pays de la zone sahélo saharienne, le Soudan, la Libye, le Nord Mali,  situés dans la sphère d’influence chinoise, ont en effet été la cible d’une opération de déstabilisation menée par le camp atlantiste. Curieusement le chaos du Nord Mali a été « confié » à « Ansar Dine » tentacule d’Al-Qaida. Symbole de la coopération saoudo américaine dans la sphère arabo musulmane à l’apogée de la guerre froide soviéto-américaine, le mouvement d’Oussama Ben Laden avait vocation à vivre une dimension planétaire, à l’échelle de l’Islam, à la mesure des capacités financières du Royaume d’Arabie. Le djihad, qui parait archaïque, ne l’ait que dans les vidéos passées à la télé, en fait ses stratèges ont  pris parfaitement pris la mesure d‘une économie mondialisée, où les pétromonarchies se substituent aux caïds de la drogue pour le financement de la « Révolution islamique. » Dommage collatéral, l’Algérie paiera le prix de cette stratégie politique des rois du pétrole.

L’instrumentalisation de l’Islam comme arme de combat politique, en tant qu’anti dote au nationalisme arabe anti américain, dans la foulée de l’incendie de la Mosquée d’Al Asa (1969), a entrainé un basculement du centre de gravité du Monde arabe de la rive méditerranéenne vers le golfe, c’est-à-dire des pays du champ de bataille vers la zone pétrolifère sous protectorat anglo-américaine. Avec pour conséquence, les mots de « solidarité islamique » qui viennent se substituer au mot d’ordre qui était jusque là « l’unité arabe ». Sous couvert de guerre «préemptive» contre la «terreur», les États Unis mènent en fait, dans l’ordre subliminal, une guerre «préventive» contre une menace chinoise autrement plus terrible. «C’est en poursuivant un islamisme radical humilié avec constance pour en faire un méchant présentable, que les Américains mettent en place le dispositif militaire et stratégique nécessaire à l’affrontement inévitable avec la Chine», soutient Jean‐François Susbielle, dans son ouvrage  «Chine-États Unis», la guerre programmée» – First Edition 2006.

La déstabilisation de l’Algérie a figuré, à nouveau, à l’ordre du jour du «printemps arabes » voulus par les pays occidentaux. Pour s’en convaincre il suffit de reprendre les mots de Nicolas Sarkozy, maître queue de ce changement mondial, s’exclamant par répétition ponctuée de sauts de cabri «dans un an l’Algérie, et dans trois ans l‘Iran». L’Algérie, tout comme l’Iran et la Syrie, figurent dans le nouvel axe du mal profilé par les stratèges occidentaux. Le couac c’est le positionnement algérien vis-à-vis de l’opération Serval, l’expédition française au Mali, pourrait avoir infléchi la donne.

Qui tient l’Afrique tient l’Europe, disait Karl Marx

Terre d’élection de la sous-traitance de l’industrie européenne, la Tunisie abrite près de deux mille entreprises délocalisées dans le domaine de l’industrie mécanique et électronique, le textile et l’habillement. Employant deux cent mille ouvriers et ouvrières, il exporte 97% de sa production vers l’Union européenne. Une situation identique pour le Maroc. Le Maghreb central constitue un ensemble régional de plus de trois millions de kilomètres, avec quatre- vingt millions d’habitants, avec en perspective une projection d’une augmentation de sa population d’un tiers pour atteindre les cent vingt millions à l’horizon de l’an 2020. Pourtant ce nord de l’Afrique souffre toujours de l’absence d’un projet viable de société, d’une déperdition d’énergie et d’un autoritarisme bureaucratique.

Ce Maghreb-là constitue pourtant la dernière digue avant le contournement complet de l’Europe par l’Afrique, selon le vieux principe maoïste d’encercler les villes par les campagnes. Si la Chine sortait vainqueur de son jeu de go, la France, le maillon faible  du bloc atlantiste, sera immanquablement vouée au rôle de maillon manquant du directoire mondial de la planète. Faute à l’accumulation de bêtise politique, d’un manque de vision et d’un fond de racisme post colonial, la France en perdant son lien avec le Maghreb risque de perdre sa place dans le monde. Ce Maghreb représente le principal gisement de la francophonie et une zone commerciale et de sous-traitance capitale pour l’économie française, gage du maintien de sa compétitivité. Ce ne sont ni les colères de Valls ni les petites phrases stupides de Hollande qui vont valoir à la France un « retour d’amour » de ces vieilles colonies.

La Chine plus important créancier des États-Unis, détentrice d’un consistant matelas de bons de trésor de l’ordre de 1.800 milliards de dollars, perçoit annuellement près de 50 milliards de dollars au titre des intérêts de la dette, qu’elle s’empresse de réinvestir en Afrique en une spirale paranoïde qui aboutit à ce que l’Amérique finance l’expansion chinoise en Afrique, alors qu’elle entend le combattre. Même  pulsion  paranoïde de la part de la France qui s’acquitte annuellement de 50 milliards d’euros au titre des intérêts de la dette colossale, tout en se refusant à effacer le fardeau de la dette africaine.

Six siècles après Vasco de Gama, parvenu en Chine grâce au concours de son guide, le navigateur arabe Ahmad Ibn Majid, l’empire du Milieu se vit et se veut désormais comme le centre du Monde.  Ses descendants, en moins de deux décennies, ont lavé l’humiliation nationale délogeant les anciennes puissances coloniales de leur marché captif de l’Afrique, faisant de la Chine la deuxième puissance économique investissant dans le continent. La façon chinoise de rendre la monnaie de sa pièce à ses rivaux occidentaux.

PAR RENÉ NABA

Pour suivre le travail de René NABA depuis son site : « En Point de Mire » (http://www.renenaba.com/)