Gertrude Bell, une espionne britannique à l’origine de l’Irak moderne

“Mesopotamia” d’Olivier Guez, un roman publié en août 2024, s’efforce de retracer la vie de Gertrude Bell, femme politique et espionne britannique du début du XXe siècle qui fut une des architectes du Moyen-Orient moderne. Un exercice réussi, malgré un personnage principal très paradoxal.

Mateo Gomez

Il est de plus en plus commun, notamment dans la littérature, de rendre justice aux femmes oubliées ou écartées de l’Histoire. C’est dans cette lignée que s’inscrit Olivier Guez avec cette biographie romancée, fresque historique de la création, à la sortie de la Grande Guerre, d’un Moyen-Orient tracé à la règle sur les cartes, au service des puissances européennes. 

Minutieusement composé, le récit est divisé en deux histoires: d’un côté, l’action d’une femme mûre, sûre d’elle, compétente, renseignée; et de l’autre, le parcours de la jeune Gertrude, qui à la découverte du monde et d’elle même, elle qui a été façonnée par une société victorienne, conservatrice et raciste.

Le personnage est humanisé, loin de l’image simpliste de l’espionne stoïque ou de la femme politique rusée. L’exercice évite la mystification qu’a connu la figure du célèbre ami et collègue de Mrs. Bell, T. E. Lawrence, aussi connu comme Lawrence d’Arabie. Cette démystification est essentielle pour comprendre l’action aux conséquences néfastes de cette femme au service de l’Empire Britannique.

La création de l’Irak moderne

Le cœur de son travail, celui sur lequel l’auteur passe le plus de temps, est la création de l’Irak moderne, une invention de toutes pièces réalisée à partir d’un amalgame de peuples et tribus qui ne partagent pas d’identité commune, qui servirait les intérêts économiques et géopolitiques de Londres. Olivier Guez nous plonge dans toutes les tractations, les coups véreux, des fois l’immense violence, qui, à Bagdad, au Caire ou à Londres, ont assemblé en 1921 ce pays que l’on appelle encore aujourd’hui l’Irak. Là aussi, il réussit à dépeindre une fresque historique complexe, avec de nombreux acteurs et enjeux, mais que le lecteur arrive tout de même à suivre, notamment grâce à une chronologie et un groupe de personnages clés plutôt restreints. 

De plus, la lecture n’empêche pas l’auteur de rendre honneur à une région souvent stéréotypée, en la dépeignant dans toute sa diversité culturelle et religieuse, mais aussi en la décrivant comme belle et variée, éloignant le lecteur de l’imaginaire violent et désertique qui entoure souvent le Moyen-Orient.

L’image floue de Gertrude Bell 

L’auteur ne semble pas vouloir se positionner sur l’image que l’on devrait garder de Gertrude Bell. Faudrait-il applaudir cette aventurière, qui a si brillamment cassé les codes de son époque en s’imposant dans un milieu masculin? Et voir le rôle important, gommé de l’Histoire, qu’elle joua dans l’Histoire de l’Irak? Après tout, elle fut courageuse, d’une intelligence redoutable, maîtrisait plusieurs langues et connaissait la Mésopotamie comme sa poche.

Ou alors faudrait-il froncer les sourcils devant cette aristocrate conservatrice, colonisatrice, impérialiste, manipulatrice, qui s’opposait au vote des femmes, qui n’hésitait pas à recourir à la violence pour arriver à ses fins, et qui a mis ses nombreux talents au service de l’Empire et au détriment des populations locales?

Olivier Guez laisse la question ouverte.

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