Madagascar, la confiscation de la Révolution au bénéfice des militaires

 De l’eau a coulé sous le pont depuis la prestation de serment en tant que chef de l’Etat du colonel Michael Randrianirina (17 Octobre 2025). L’appareil sécuritaire où les partisans de l’ancien régime n’ont rien appris, rien oublié depuis le départ de l’ex Président tente de sauver les meubles et de faire pression sur le nouveau pouvoir dans le sens de ses intérèts.

Daniel Sainte-Roche

Le colonel Randrianirina, chef du CAPSAT, une unité de l'armée qui s'est mutinée et s'est jointe aux manifestants antigouvernementaux le week-end dernier, a lu le serment présidentiel lors d'une cérémonie à la Haute cour constitutionnelle à Antananarivo
Le colonel Randrianirina, chef du CAPSAT, une unité de l’armée qui s’est mutinée et s’est jointe aux manifestants antigouvernementaux le week-end dernier, a lu le serment présidentiel lors d’une cérémonie à la Haute cour constitutionnelle à Antananarivo

Présentée dans un premier temps par certains analystes comme un « coup d’État enveloppé dans une révolution », la prise de pouvoir semble désormais entérinée par les principaux partenaires de la Grande ile. Cette reconnaissance internationale devrait a priori réjouir le citoyen, qui garde encore le mauvais souvenir des sanctions infligées au pays lors des précédentes crises politiques.

Mais au-delà de l’espoir de stabilité que procure la poursuite de la coopération avec les bailleurs de fonds, des inquiétudes subsistent au regard de la persistance de signaux négatifs tendant à conforter la pérennisation de l’ancien système sous une nouvelle forme. La Génération Z et la société civile s’alarment ainsi devant la confiscation de la révolution qui se profile au bénéfice des militaires et des élites.

Des lobbies encore tenaces

La place prépondérante accordée aux civils dans les différentes institutions de l’Etat ne dissipe pas la méfiance en ce début de l’ère post-Rajoelina. Des voix s’élèvent pour contester la nomination aux hauts emplois de l’Etat des personnalités qui se sont affichées avec l’ancien régime, ou pire ont été impliquées ces dernières années dans des affaires controversées.  La légendaire apathie des fonctionnaires, premiers bénéficiaires de la corruption et de la gabegie, a contribué à maintenir la pérennité du système de prédation institué par Rajoelina et consort. Aujourd’hui, l’Etat profond reste encore entre les mains de ces lobbies, a l’instar de l’association des grands corps de l’Etat et des syndicats corporatistes qui existent dans chaque ministère. Ces associations se distinguent par leurs déclarations tonitruantes quand il s’agit de briguer des postes politiques, mais se révèlent d’une singulière inefficacité pour endiguer les mécanismes de corruption au sein de la fonction publique. Ainsi, les membres des différentes institutions de contrôle sont issus de l’association des grands corps de l’Etat, mais ils ne semblent pas très impliqués dans l’exercice de leur mission.

Les réseaux politiques établis sous l’ancien régime parviennent d’ores et déjà à noyauter le cercle de pouvoir.   Les anciens compagnons de route de Andry Rajoelina comme Siteny Andrianasoloniaiko-devenu actuellement président de l’Assemblée nationale-et Hajo Andrianainarivelo-plusieurs fois nommé ministre depuis le coup d’Etat de 2009-ont l’oreille du colonel Randrianirina. La refondation risque de devenir un terrain d’affrontement pour les formations politiques qui espèrent utiliser les rouages du nouveau pouvoir pour se présenter en position de force aux prochaines élections.

Un autre fait qui alimente les doutes est la perception qu’a le public de la capacite du gouvernement actuel à faire face aux préoccupations immédiates de la population, à savoir d’une part le rétablissement de l’eau, de l’électricité, et de la sécurité, et d’autre part `le combat contre la corruption et l’impunité. La réunion du 27 novembre 2025 entre les députés et les responsables du secteur énergétique (Ministre de l’Énergie et des Hydrocarbures, JIRAMA, fournisseurs d’électricité) n’a pas permis de briser la chaine de dépendance dans laquelle sont impétrés l’Etat et la société nationale d’eau et d’électricité.  L’Etat semble aussi rencontrer de grandes difficultés dans la prise en main des secteurs sensibles comme les mines, les douanes et les télécommunications. Il est vrai que dans son nouveau PGE (programme général de l’État), le gouvernement promet de mettre fin aux magouilles, de casser les monopoles et les privilèges. Mais aucune stratégie dans ce sens n’est pour le moment présentée, alors que ces domaines très juteux sont entre les mains de réseaux d’intérêts tentaculaires et bien organisés. 

Le colonel Michael Randrianirina sous influence

L’une des grandes préoccupations du public résulte aussi de l’opacité entretenue autour du calendrier et de la nature même de la transition. Dans un interview à la Télévision nationale malgache le 17 novembre 2025, le colonel Michaël Randrianirina a affirmé vouloir réaliser la restructuration totale de la Constitution et des institutions dans une période de deux ans, au bout de laquelle un referendum constitutionnel et le scrutin présidentiel seront organisés. Cette affirmation fut cependant fortement nuancée trois jours après dans un entretien accordé à Russia Today , durant lequel le Chef de l’Etat laisse entendre que la réalisation de la refondation nécessitera dix-huit à vingt-et-quatre mois, et « c’est seulement après cette période que Madagascar entrera dans la transition ».

Envisagé sous cet aspect, on dénote une velléité de s’écarter de la décision n°10-HCC/D3 du 14 octobre 2025 de la Haute Cour Constitutionnelle qui se réfère à l’article 53 de la Constitution ainsi libellé : « Après la constatation de la vacance de la Présidence de la République, il est procédé à l’élection d’un nouveau Président de la République dans un délai de 30 jours au moins et 60 jours au plus (…) ». Autrement dit, la Constitution limite le rôle de l’armée a la préservation de la continuité de l’État en cas de vacances, et a la garantie du fonctionnement des institutions. En l’absence d’un cadre légal, il ne  revient pas au gouvernement provisoire de prolonger son mandat, ni de s’arroger des compétences pour redéfinir un modèle politique et institutionnel.

La démarche empruntée par la Présidence de la Refondation de la République de Madagascar est d’autant plus inquiétante qu’elle rappelle le malheureux précédent survenu à la suite de la révolte du 13 mai 1972.  Après des mois d’âpres luttes menées par la jeunesse, l’armée a pris le pouvoir et au bout de trois ans de tumulte, a facilité en 1975 l’accession à la magistrature suprême d’un officier de marine du rang de capitaine de corvette. Ce dernier s’est installé plus d’une vingtaine d’années à la tête de Madagascar, amenant avec lui un désastre économique et des atteintes aux droits humains qui laissent encore des séquelles aujourd’hui.

L’appétit vient en mangeant écrivit   Rabelais dans son roman Gargantua (1534) ; la soif s’en va en buvant, semble répondre en échos le Colonel Randrianiriana qui n’exclut plus sa candidature a la présidentielle dans deux ans « si le peuple le demande », comme il l’a spécifié lors de son entretien à la télévision. L’installation durable d’un militaire au pouvoir n’est donc pas à écarter et ce d’autant plus que l’opinion publique n’est pas forcement contre ce schéma. Une enquête d’Afrobaromètre effectuée en décembre 2024 établit que 60 % de Malgaches considèrent qu’il est « légitime que les forces armées prennent le contrôle du gouvernement lorsque les dirigeants élus abusent du pouvoir à leurs propres fins ». Le Président de la Refondation de la République pourrait bien surfer sur ce vent favorable…

Pour la Gen Z et la société civile, il y a donc bien lieu de s’inquiéter. La seule opportunité pour eux de reprendre la main se trouve dans l’organisation des assises nationales que le pouvoir a promis d’organiser incessamment. Ces assises (ou conférence nationale) seront chargées d’examiner les bases de la refondation nationale.

La souveraineté populaire menacée

Conscient des risques de marginalisation dont elle est l’objet, la Gen Z encore incapable de s’organiser formellement dans l’immédiat, veut se positionner comme une force de proposition. A l’issue d’une rencontre avec le Président de la Refondation, les représentants de la Gen Z ont souligné l’importance de la tenue des assises nationales, qui selon eux est « un moment clé pour redéfinir l’avenir du pays et traiter les causes profondes de la crise ». Rejetant l’idée de confier exclusivement au Conseil des Eglises (FFKM) l’organisation de ces réunions, la Gen Z propose un cadre plus large, plus démocratique, et plus fidèle a la diversité du pays et préconise une « co-organisation impliquant l’ensemble des forces sociales, citoyennes et intellectuelles du pays ».  Elle réclame en outre une place réelle et structurée pour la jeunesse engagée et les mouvements populaires. Les assises nationales, estime-t-elle, doivent être un processus transparent, documenté, orienté vers des solutions durables, capable d’ouvrir un nouveau chapitre pour Madagascar et servir l’intérêt général et la souveraineté populaire.

Ces recommandations de la Gen Z risquent cependant de demeurer des vœux pieux si elle n’arrive pas à maintenir la pression et la mobilisation citoyenne. Or, la jeunesse malgache, longtemps cantonnée dans la phobie de la chose publique, ne dispose pas du précieux « praxis » qui lui permettrait de structurer le mouvement vers l’action politique.

Pour l’heure, Gen Z Madagascar annonce le lancement de sa « charte GenZ » axée sur l’éducation et la participation citoyennes. Une chaine « GenZ TV » a été aussi créée dans la foulée, en vue de permettre à la jeunesse de renforcer sa compréhension des enjeux publics et de favoriser une participation plus active à la vie démocratique.

Concernant la société civile, sa réussite dépendra de sa capacité à structurer ses revendications. Mais cette entité a aussi ses propres faiblesses et nécessite plus que toute autre une refondation. La relative longévité du système implanté par Andry Rajoelina et consort depuis 2009 peut être attribuée en partie à l’inefficacité des organisations de la société civile. En effet, la société civile à Madagascar est souvent décrite comme une simple antichambre de la société politique : l’une et l’autre forment un tout lié par un système de vase communicante. La société civile constitue souvent de parachute pour le militant déchu du monde politique.  Elle est aussi utilisée comme tremplin pour l’activiste voulant accéder   aux fonctions politiques. Et pire il existe des cas ou des ‘ONG’ ou autres associations   sont en réalité des sociétés commerciales déguisées. Par ailleurs, de nombreuses associations de la société civile sont devenues des esclaves du financement des PTF (partenaires techniques et financiers). Des jeunes au lieu de verser dans des activités productives, préfèrent s’occuper dans le mouvement associatif pour profiter de la manne du financement étranger. Ce qui explique en partie le prétendu ‘apolitisme’ revendiqué par certains jeunes et moins jeunes, l’apolitisme étant supposé leur donner un peu plus de crédibilité aux yeux des bailleurs de fonds. La « représentativité » que l’on réclame dans la participation aux assises nationales risque ainsi de de

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)