Selon Sir Lawrence Freedman, spécialiste des questions stratégiques, ancien conseiller du 10 Downing Street de 2010 à 2013 notamment auprès de Tony Blair et doyen émérite des études de guerre au King’s College de Londres, où il a également été vice-recteur, le Hezbollah joue sa « survie » dans cette guerre qu’il a « perdue d’avance ». Cet expert reconnu confie à Ici Beyrouth, site partenaire de Mondafrique, qu’un changement régional drastique pourrait conduire à un Hezbollah vulnérable, une souveraineté libanaise à restaurer, un Iran piégé et un Israël renforcé.
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« L’assassinat de Hassan Nasrallah est une décapitation totale du Hezbollah », a averti Sir Lawrence Freedman lors d’une conférence récente. Ses propos reflètent la gravité de la situation, alors qu’il souligne que « les incursions israéliennes au Liban pourraient plonger la région dans une guerre plus vaste ». M. Freedman ne cache pas son inquiétude face à la montée des tensions: « Nous n’avons jamais été aussi proches d’une situation explosive et incontrôlable. » Selon lui, « le Moyen-Orient est sur le point de basculer ».
Ces propos interviennent dans le cadre d’une conférence organisée lundi à Bush House à Londres, ancien siège de la BBC World News et actuelle partie du campus du King’s College. Intitulée « Liban en crise: un panel informatif », cette rencontre a rassemblé des experts pour aborder les défis pressants auxquels le Liban est confronté sous différentes perspectives.
Selon Sir Lawrence Freedman, l’assassinat de Hassan Nasrallah « marque un véritable tournant pour le Hezbollah, laissant l’organisation sans direction stratégique, et par conséquent incapable de réagir efficacement aux attaques israéliennes ». Freedman observe qu’au cours des dix derniers jours, Nasrallah avait déjà été témoin du démantèlement d’une grande partie de sa chaîne de commandement. Désormais décapité, le Hezbollah se trouve sur la défensive, désorganisé et privé de la capacité de riposter. Il souligne que « sans chef, le Hezbollah est progressivement désarmé, tandis que ses voies d’approvisionnement en armes, notamment depuis l’Iran, sont rendues de plus en plus précaires ». Il poursuit: « Cette situation est aggravée par la destruction d’un pont reliant la Syrie au Liban, essentielle pour le réapprovisionnement. Israël a adopté une stratégie ciblée, incluant, entre autres, l’élimination des routes d’approvisionnement vitales du Hezbollah. La première étape de ce plan est la perturbation de la route entre Beyrouth et Damas, doublée de la menace de frapper tout avion iranien qui atterrirait à l’aéroport de Beyrouth, visant ainsi à acculer financièrement l’organisation. »
Lorsqu’il s’est agi d’envisager les conditions d’une fin de conflit, Sir Lawrence Freedman souligne que l’approche israélienne à l’égard du cessez-le-feu de 21 jours proposé par plusieurs nations arabes et occidentales est une stratégie habituelle, même lorsqu’il est évident qu’un tel cessez-le-feu devra être accepté tôt ou tard. Selon lui, la pensée de Netanyahou serait qu’ »il n’y a aucune garantie qu’après 21 jours de trêve, la stabilité nécessaire au retour des populations des deux côtés de la frontière serait assurée ». Sans compter: « Israël a peu de confiance dans le fait que le Hezbollah ne reviendra pas dans les zones frontalières, malgré la présence de l’armée libanaise ou de la Finul. »
Une chose est certaine pour le spécialiste des questions stratégiques, c’est que le gouvernement libanais est le grand absent. « Submergé par les conséquences humanitaires du conflit – services de santé saturés, pénurie alimentaire et déplacés internes vivant dans des conditions précaires », le Liban est aussi, selon Freedman, « un État à peine fonctionnel avec des dettes colossales et une monnaie quasi inexistante, déjà accablé par la gestion des réfugiés syriens, auxquels s’ajoutent désormais ceux provenant des zones frontalières avec Israël ». Pour lui, la question de la souveraineté libanaise est cruciale: « Le Liban officiel doit imposer un cessez-le-feu au Hezbollah en concluant un accord unilatéral et reprendre en main la décision de guerre ou de paix. » Cependant, M. Freedman nuance ses propos et considère qu’une telle éventualité est « quasi impossible du fait de l’emprise systématique du Hezbollah sur toutes les affaires de l’État libanais ».
M. Freedman soutient une approche selon laquelle le Hezbollah n’aurait pas d’intérêt à accepter ou même à négocier un cessez-le-feu. En effet, il estime qu’un tel accord de cessation des hostilités nuirait aux intérêts iraniens et affaiblirait leur concept d’unité des fronts. Selon lui, « un cessez-le-feu signifierait abandonner le Hamas », alors que l’ouverture de ce front avait pour but de soutenir la cause de Gaza. Ce dernier estime que « ce qui a commencé comme une action limitée pour soutenir le Hamas s’est désormais transformé en une guerre de survie pour le Hezbollah qu’il a perdue d’avance ». Nasrallah aurait commis une série de jugements stratégiques erronés, notamment en surestimant l’ampleur de l’indignation internationale face aux conséquences humanitaires des actions israéliennes à Gaza, qui aurait pu inciter le gouvernement israélien à reculer. De ce fait, Israël aurait probablement pris la décision politique d’en finir avec le Hezbollah avec le soutien américain.
Dans cette même approche, « il aurait été plus judicieux d’intervenir avec force après les attaques du Hamas le 7 octobre, ce qui aurait rendu la tâche d’Israël beaucoup plus difficile dans un contexte de guerre sur deux fronts ». Ensuite, l’ancien conseiller stratégique du 10 Downing Street poursuit: « Le Hezbollah n’a pas réussi à causer de réelles difficultés à Israël mais lui a fourni la justification et le temps de se préparer une fois qu’il se serait chargé de combattre le Hamas. Israël a maintenant gravement affaibli le Hezbollah, humilié l’Iran et, en conséquence, pourrait avoir laissé le Hamas encore plus isolé. Cependant, Israël manque depuis longtemps d’une stratégie politique susceptible d’accompagner sa stratégie militaire, ce qui rend la situation plus incertaine. » Et de conclure: « Ce conflit pourrait changer drastiquement la face du Moyen-Orient. »
Interrogé à ce sujet, Sir Lawrence Freedman confie à Ici Beyrouth que le changement pourrait s’opérer autour de quatre axes principaux. Premièrement, l’affaiblissement logistique, tant en termes d’équipements et de missiles que de ressources humaines, notamment au niveau du commandement, pourrait rendre le Hezbollah plus vulnérable. Deuxièmement, la capacité de l’État libanais à rétablir l’autorité et la souveraineté qui lui sont dues, bien que douteuse, pourrait constituer un facteur déterminant. Troisièmement, l’Iran serait contraint de réagir afin de tenter de restaurer une forme de dissuasion, mais il pourrait également se retrouver piégé dans un cycle d’escalade. Enfin, Israël pourrait modifier de manière significative l’équilibre des puissances au Moyen-Orient en démantelant progressivement les mandataires iraniens, éléments constitutifs de sa conception de l’unité des fronts