La brusque détérioration des relations entre le Liban et l’Arabie Saoudite

À la suite d’une petite phrase lancée par le ministre libanais de l’Information dénonçant « l’agression » de l’Arabie Saoudite au Yémen, Ryad et certains de ses alliés dans le Golfe ont rappelé leurs ambassadeurs à Beyrouth

Une chronique de Michel Touma

A l’origine de cette brusque crise, une malencontreuse phrase lancée par le ministre de l’Information Georges Cardahi au cours d’une émission télévisée enregistrée bien avant la formation du nouveau gouvernement, donc avant qu’il ne soit nommé à son poste. Proche du leader maronite du Liban-Nord, Sleiman Frangié (opposé au président Aoun), cette personnalité politique avait alors dénoncé « l’agression » lancée par l’Arabie Saoudite contre les Houssis, la milice yéménite pro-iranienne, instrumentalisée par les Pasdarans (les gardiens de la Révolution islamique d’Iran) dans leur conflit avec le royaume saoudien et les Emirats arabes unis.

Georges Cardahi avait un peu vite omis l’origine de ce conflit, à savoir la menace militaire que la milice yéménite avait constitué, à l’instigation de Téhéran, contre le royaume wahabite. Ce qui avait contraint les pays du Golfe à intervenir au Yémen pour écarter cette menace renforcée par un appui militaire massif de l’Iran.

La réaction de l’Arabie saoudite aux propos du ministre libanais a été particulièrement ferme et violente, ce qui a poussé le chef du gouvernement libanais Nagib Mikati et le ministère des Affaires étrangères à souligner publiquement que les déclarations de Georges Cardahi ne reflétaient nullement la position du gouvernement

Un coup dur pour les exportations  

Ce désaveu public n’a pas été jugé suffisant par les dirigeants saoudiens qui ont exigé la démission du ministre. Le Hezbollah pro-iranien s’est toutefois opposé catégoriquement à cette démission. Face aux atermoiements du pouvoir libanais sur ce plan, Riyad a annoncé en fin de semaine des mesures coercitives à l’égard du Liban : rappel de l’ambassadeur saoudien en poste à Beyrouth ; expulsion de l’ambassadeur libanais ; et – le plus grave – arrêt des importations de produits libanais qui constituent 70 pour cent des exportations agricoles libanaises.

Le Koweït, Bahreïn et les Emirats arabes unis ont également rappelé leurs ambassadeurs, stigmatisant la position de Cardahi. Ce dernier (de confession maronite) a été reçu samedi, 30 octobre, par le patriarche maronite Béchara Raï qui l’aurait pressé de présenter sa démission « afin de faire prévaloir l’intérêt national ».

En fin de journée, samedi 30 octobre, des démarches étaient effectuées en haut lieu afin de trouver une issue à cette crise. il était notamment question de la nomination d’un nouveau ministre de l’Information proche du président Michel Aoun en lieu et place de M. Cardahi.

Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, se livre à un jeu diplomatique complexe entre son allégeance à l’Iran et ses liens avec le régime syrien qui est pressé par les puissances sunnites d’adopter des positions plus conciliantes

L’arbre qui cache la forêt

Dans l’attente du résultat des démarches de conciliation, la tension politique restait très vive samedi soir, le Hezbollah s’opposant fermement à toute concession qui serait faite au royaume saoudien.

Cette position du parti chiite pro-iranien reflète une réalité bien établie : l’affaire des propos tenus par M. Cardahi n’est que l’arbre qui cache la forêt. Bien au-delà de la malencontreuse petite phrase lancée par le ministre, c’est tout le conflit, existentiel, qui oppose l’Arabie Saoudite à la République islamique iranienne (et au régime syrien) qui a envenimé les relations entre le Liban et les pays du Golfe. M. Cardahi a multiplié ces deux dernières années les déclarations intempestives faisant l’apologie du chef du Hezbollah Hassan Nasrallah et du régime de Bachar el-Assad. Dans le même temps, les dirigeants du Hezbollah ne ratent aucune occasion pour s’en prendre de manière virulente aux monarchies du Golfe et adopter une attitude belliqueuse à leur égard, sans que le pouvoir libanais ne réagisse.

L’escalade du Hezbollah

Cerise sur le gâteau : les dirigeants saoudiens affirment que le nouveau gouvernement de Nagib Mikati est sous la coupe du Hezbollah et s’aligne sur la politique de l’axe Téhéran-Damas, ce dont se défend le Premier ministre libanais qui multiplie les déclarations soulignant le souci de l’Etat libanais d’entretenir des rapports étroits avec le royaume wahabite et les pays du Golfe. Le conflit entre l’Iran et les monarchies pétrolières arabes se traduit ainsi par un profond clivage au Liban entre le Hezbollah et ses alliés locaux, d’une part, et les leaders sunnites et les nombreuses parties souverainistes hostiles à l’emprise iranienne sur le Liban, d’autre part.

La tension apparue entre le pouvoir libanais et les pays du Golfe s’inscrit en outre dans le sillage d’une dangereuse escalade à laquelle se livrent le Hezbollah et l’Iran contre l’Arabie saoudite. Au Liban, cette escalade se traduit par un net durcissement de la position du Hezbollah sur la scène libanaise et plus particulièrement par une cabale lancée depuis plusieurs semaines par la formation chiite contre le parti chrétien des Forces libanaises et son leader Samir Geagea, véritable fer de lance de l’opposition libanaise contre le Hezbollah et l’influence iranienne au Liban.

Jusqu’où ira cette escalade? La réponse est à Téhéran !

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