C’est le paludisme qui a emporté à 74 ans, le 24 octobre, un combattant qu’on croyait immortel. Malgré une hygiène de vie et une résilience exceptionnelles, Hama Amadou n’a pas pu reconquérir le pouvoir perdu en 2007 bien qu’il ait été au centre de la vie politique de son pays pendant cinquante ans. Portrait.
Ceinture noire de judo, Hama Amadou pratiquait la politique comme un art martial, en appliquant les enseignements à la lettre : souplesse, discipline et utilisation de la force adverse. Très aimé, admiré et craint, parfois incompris, l’homme politique incarnait l’espoir du changement pour des millions de Nigériens.
Malgré les obstacles, les revers et le harcèlement qui ont transformé sa dernière décennie de vie en chemin de croix, Hama Amadou n’a jamais renoncé. Il tombait, se relevait, obstiné, plein de foi en lui même. Cette confiance était certainement l’un des secrets de sa popularité. Car au Niger, seul l’espoir permet, souvent, d’affronter l’adversité du présent.
Mais cette assurance l’a également desservi. Après une ascension politique fulgurante, Hama a durement payé le prix de ses ambitions. «Personne ne pourra dire qu’il n’a pas tout donné. Personne ne pourra dire qu’il n’a pas tout subi», a bien résumé Ibrahim Assane Mayaki, ancien Premier ministre du Niger et haut fonctionnaire international. La politique au Niger ne fait pas de cadeau et plus qu’aucun de ses rivaux, Hama Amadou a enduré la prison et l’exil. Peut-être parce qu’il ne retenait pas ses coups non plus. Peut-être parce que les pouvoirs le percevaient comme une très grande menace, en raison de son immense popularité. Peut-être à cause de sa franchise cinglante.
Je l’ai connu à Paris, au crépuscule de son infortune. Et durant ces années d’exil forcé, je ne l’ai jamais vu s’apitoyer sur lui-même. L’humour et l’auto-dérision conjuraient le mauvais sort et les trahisons répétées.
Une enfance de fils du fleuve
Il est né en 1950 d’un père haleur sur le grand fleuve Niger, originaire de Youri, dans le département de Kollo, où il a été inhumé il y a quelques jours. Appartenant à la communauté peule kourté, dont il arborait crânement les scarifications en forme de croix sur les joues, Hama Amadou a fait ses premiers pas dans le quartier Gaweye, un village de pêche où les colons français installèrent finalement la capitale.
En quittant le Niger quelques années plus tard, le père confie son fils âgé de neuf ans à l’un de ses meilleurs amis, Salifou Dia, en poste au Bénin. Hama passera quatre ans dans ce pays – il se classe premier du centre d’examen de Parakou – avant de revenir dans son pays natal avec son père adoptif. Eloigné de sa famille biologique et du Niger, il s’affranchit des fortes contraintes sociales de son pays. Il incarnera, pour cette raison peut-être, une modernité singulière dans le paysage politique, qui ne sera pas toujours acceptée. «Il n’a pas toujours été bien compris ou l’a été très peu, sans doute parce qu’il était en avance sur son temps», écrit de lui un autre Peul, Abouba Albadé, qui fut son camarade politique puis son rival.
Évoluant désormais avec ses camarades plutôt qu’en famille, Hama Amadou fait ses propres choix. Il achève son cycle secondaire au collège d’enseignement technique de Maradi puis suit le cursus de l’Ecole nationale d’administration, niveau moyen puis niveau supérieur, et choisit la douane. Il y sert peu de temps, de 1971 à 1974, avant d’être nommé secrétaire de préfecture et sous-préfet à Agadez, Zinder et Tahoua. C’est à Tahoua qu’il rencontre son futur mentor politique : Mamadou Tandja, préfet du département, un ancien officier de l’armée.
Repéré par le régime d’exception …
Mais c’est Seyni Kountché, le Président du Conseil militaire suprême arrivé au pouvoir en 1974 par un coup d’Etat, qui fait, le premier, basculer sa vie. Séduit par l’intelligence et le tranchant du jeune homme, qui vient de défendre les couleurs de son pays aux Jeux Africains d’Alger, le rugueux Président nomme Hama Amadou à la direction générale de l’Office de la radio-télévision publique, où il nourrit de grands projets. «Les douaniers disaient qu’il partait au cimetière des fonctionnaires», raconte son ami Baba Mahamane Touré. Satisfait de la remise en ordre impulsée par le jeune administrateur, Seyni Kountché le fait ensuite venir auprès de lui comme directeur de cabinet.
De ces années au sein du pouvoir d’exception, Hama adopte la rigueur administrative, le souci de l’efficacité, un sens aigu de la nation et une vision politique articulée autour du développement et de la ruralité.
L’ancien chef rebelle touareg Rhissa Ag Boula a estimé dans un message de condoléances belliqueux, que l’ancien Premier ministre avait été «l’enfant politique de Kountché et du CMS». Or, écrit-il, «quand tu as bu le lait du CMS, tu ne peux jamais être un démocrate.»
Mais profondément démocrate
Pourtant, Hama fut l’un des premiers à souhaiter la mutation du régime d’exception en parti politique. «A l’orée du processus de démocratisation, tu t’étais converti et démené pour convaincre les partisans du parti unique d’accepter la démocratie comme nouveau mode de gouvernement. Et tu fus durablement un véritable démocrate, qui avait non seulement bataillé pour faire de ton parti un des plus grands, mais aussi assurer sa survie», salue le sociologue Souley Adji, qu’on ne peut soupçonner de connivence avec le défunt.
Nommé secrétaire général de la formation héritée du régime d’exception, le Mouvement nigérien pour la société du Développement (MNSD) alors présidé par Mamadou Tandja, il défend, avec courage et éloquence, l’ancien parti Etat à la barre de la Conférence nationale. Et le sauve in extremis de la dissolution. Cette prestation suscite l’admiration des militants, des cadres et des grands bailleurs de fonds du parti.
Le mot d’ordre de ces années-là, c’est le changement. Hama Amadou ne croit pas dans un creuset national où fusionneraient toutes les idéologies. Le changement, pour lui, viendra de son parti, qu’il estime le mieux armé et le plus compétent. Il se jette de toutes ses forces dans la bataille. En 1993, il devient député de la capitale, dans la circonscription située sur rive droite du fleuve, son futur bastion. Dès lors, trois partis vont se disputer le pouvoir : le MNSD, la Convention démocratique et sociale (CDS) de Mahamane Ousmane et le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS) de Mahamadou Issoufou. Les alliances se font et se défont au gré des ruades de la toute jeune démocratie nigérienne. Cette séquence s’achève avec la cohabitation bloquée entre Mahamane Ousmane et Hama Amadou, qui provoque le coup d’Etat du général Ibrahim Baré Mainassara, le 27 janvier 1996.
Malgré son ascension dans le giron du régime militaire, l’ancien Premier ministre ne nourrit aucune fascination particulière pour les hommes en tenue. Même quand ils font partie de ses bons amis, comme le tombeur de Mahamane Ousmane. Selon les confidences qu’il me fit à Paris, il avait, malgré sa proximité avec lui, décliné l’invitation pressante de Baré à le rejoindre, estimant que le parti ne devait pas se confondre avec l’armée.
«Ayant pris fait et cause pour la démocratie, tu te jetas à corps perdu dans la bataille pour la restauration des libertés et des droits humains. Tous les grands partis se coalisèrent pour faire front contre la junte opportuniste de Barè Mainassara», salue encore Souley Adji, qui fut, dans ces années-là, laissé pour mort dans un fossé par le régime militaire.
Au pouvoir, un administrateur hors pair et ombrageux
En novembre 1999, sept mois après l’assassinat du Président Baré par sa garde, le pouvoir se stabilise dans les mains du MNSD. Tandja Mamadou est élu Président et il nomme, le 3 janvier suivant, le prodige du parti à la Primature. L’alliance avec la CDS de Mahamane Ousmane consolide l’unité du pouvoir et du pays contre le troisième acteur : le parti rose de Mahamadou Issoufou.
Dans ces années-là, Hama Amadou est tout puissant.
Lorsque j’arrive au Niger en 2002, il est admiré, redouté et décrié. On lui reproche une forme d’arrogance et une certaine brutalité dans l’exercice du pouvoir. D’une main de fer, infatigable, entouré d’une équipe de cadres choisis parmi les meilleurs, il relève le pays au bord de la faillite. Il apure une montagne d’arriérés de salaires des fonctionnaires en leur distribuant des terrains à bâtir, diminue la dette, remet les comptes publics au vert. Audacieux, il sert de bouclier à son papa Tandja dans les tempêtes, lève les fonds et affronte l’exigeante communauté internationale. Libéral en économie, il est alors très proche de la droite française.
Sur le plan social, si la relation avec les scolaires reste éruptive, les sept ans de pouvoir de Hama Amadou apportent des progrès importants. Le professeur Badié Hima, qui présidait alors l’Association nigérienne de défense des droits de l’Homme, en a témoigné il y a quelques jours, estimant que les arbitrages rendus par le chef de l’exécutif furent ceux d’un «véritable homme d’Etat». Le professeur, qui batailla durement avec certains de ministres, fait le récit détaillé de «rapports tendus, très tendus, mais dans le respect. Chacun défendait le pays, rien que le pays.» C’est sous le mandat de Hama Amadou qu’est votée en 2003 la loi criminalisant l’esclavage et que sont mis au point des outils nouveaux au service du dialogue politique.
Le divorce avec Mamadou Tandja
En 2007, le Phénix – l’un des surnoms de Hama – est abattu en plein vol. Comme souvent en pareilles circonstances, le coup vient de son plus proche : Mamadou Tandja. Au milieu du deuxième mandat du Président, les chemins des deux hommes divergent et les rivalités s’aiguisent. Tandis que Hama Amadou convoite la place et commence à s’organiser pour affronter ses ennemis à l’intérieur du parti, Mamadou Tandja caresse l’idée d’une rallonge interdite par la Constitution. Alors que sa succession n’est pas encore ouverte, le Président s’offusque du désir d’émancipation de son héritier politique. Encouragé par un entourage hostile à Hama, il décide de l’éliminer.
Tombant des nues, le Premier ministre est renversé par une motion de censure votée par l’opposition, ses fidèles alliés de la CDS et 9 députés de son propre parti. Son ami de toujours, Seyni Omar, lui succède à la Primature. Il ne lui pardonnera jamais vraiment. Il est ensuite incarcéré à la prison de haute sécurité de Koutoukalé pour une médiocre affaire de détournement du fonds d’aide à la presse, qui se terminera pas un non-lieu des années plus tard.
C’est la fin d’une décennie de stabilité et c’est la fin du grand baobab, le surnom du MNSD. Les proches de Hama Amadou s’en vont les premiers. D’autres scissions suivront. Finalement, Mamadou Tandja est renversé le 18 février 2010 par un coup d’Etat, après avoir dissout la Constitution et l’Assemblée. Une nouvelle transition militaire commence alors.
Malgré ses assauts répétés, Hama Amadou ne parviendra pas à reprendre le pouvoir. L’éclatement du parti MNSD, l’effacement de la vibrillonnante CDS de Mahamane Ousmane et un contexte objectivement favorable au parti socialiste lui en entrouvriront les portes quelques mois avant de le claquemurer dans l’opposition.
Une décennie de persécution
La dernière décennie du leader, devenu la bête noire de Mahamadou Issoufou et de ses partisans, sera marquée par une persécution continue qui fera de lui la victime expiatoire du régime et une légende dans son pays.
A l’issue de la transition de 2011, le tout jeune Mouvement démocratique nigérien pour une fédération africaine (MODEN-FA) Lumana n’est pas encore de taille à remporter la présidentielle. Faiseur de roi, il joue la carte du parti rose contre ses frères ennemis du MNSD et apporte ainsi à Mahamadou Issoufou la majorité au deuxième tour. Il ne sait pas encore que cette alliance scellera sa perte. La cohabitation se révèle vite impossible. Les portefeuilles confiés à ses militants sont progressivement asphyxiés par le Trésor public, qui ne décaisse que pour les ministres roses. Hama oeuvre secrètement à un projet de renversement de majorité pour mettre Issoufou en cohabitation forcée. Mais le complot est éventé. Dès lors, c’est à qui dégainera le premier. En août 2013, Hama est poussé au départ et il est remplacé par le perdant de l’élection de 2011 : le MNSD de Seyni Omar.
Dès lors, le Président de l’Assemblée, constitutionnellement inamovible, son parti Lumana et tous ses proches réels ou supposés sont impitoyablement écrasés ; au Niger, on parle plutôt de «concassage». Dans l’administration, dans l’armée, dans la police, une grande purge est opérée. Niamey et l’Ouest du pays, supposés nourrir trop de sympathie pour le leader déchu, sont sous haute surveillance. C’est ainsi qu’il faut comprendre le vote massif de Lumana, aux scrutins de 2016 et 2021, dans ces régions.
La prison ou l’exil
Une scabreuse affaire de supposition d’enfants, fruit d’une construction juridique hasardeuse, est lancée après l’apparition dans le foyer de Hama Amadou de deux jumeaux nés au Nigeria de sa deuxième épouse, Hadiza. Dix-sept personnes de la bonne société, dont douze femmes, sont poursuivies dans le même dossier et jetées en prison. Leurs enfants seront, des années plus tard, placés à l’orphelinat. La procédure de l’Assemblée est bafouée et un mandat d’arrêt est lancé contre Hama, contraint à l’exil. Le coup est rude : il n’est pas dans les usages politiques du Niger, même débridés, de frapper sous la ceinture et dans le cercle familial. Le guri système, qui est en train de dévorer toute l’administration nigérienne à coups de corruption et de chicote, croit alors, à tort, que Hama Amadou ne se relèvera jamais du scandale.
Au parti Lumana, les leaders changent constamment de numéro de téléphone et sont harcelés. Je me souviens de Soumana Sanda, à cette époque, me disant résigné qu’il passait plus de temps en prison que chez lui. Certains seront même poursuivis pour terrorisme. Mais dans l’adversité, le parti ne se disloque pas. Il devient au contraire une forteresse imprenable.
«Lumana, c’est comme une famille. Partout où tu vas, tant qu’il y a des militants de Lumana, tu es chez toi», raconte Mariama, une militante des premières heures. Un cadre du MNSD, de la même génération que le défunt, précise : «Lumana a été créé par les femmes et les jeunes. C’est un parti où il n’y a presque pas de vieux. Hama Amadou l’a créé alors qu’il n’avait pas d’argent et il fallait que le parti se finance tout seul. Contrairement au MNSD qui était la propriété de ses gros bailleurs de fonds, le fonctionnement de Lumana est assuré par ses militants et c’est d’ailleurs pourquoi ils sont aussi engagés. Les femmes sont organisées en groupements ; elles ont inventé des systèmes de cotisation. Hama leur a aussi donné la capacité de résister à l’appel du gain. Le Lumana était impossible à percer.»
Alors que s’annonce l’élection pour un deuxième mandat de Mahamadou Issoufou, qui promet un «coup KO» au premier tour, l’exilé revient au Niger en novembre 2015. Il est arrêté à sa descente d’avion, dans une capitale assiégée par les forces de sécurité. La procédure contre lui suivant son cours, il est incarcéré à la prison de Filingue, dans le nord-ouest du pays, au bout d’une mauvaise piste et en pleine zone d’insécurité. Il se présente cependant contre le Président sortant de sa cellule, où, progressivement, on lui interdit toutes les visites, y compris de son médecin personnel, tandis que sa santé se détériore faute de soins. Ses lieutenants les plus proches sont tous emprisonnés. Pour avoir chanté ses louanges, Hamsou Garba, une célèbre cantatrice politique, est elle aussi arrêtée. La paranoïa du régime est à son comble.
La bataille acharnée de la présidentielle de 2016
J’étais à Niamey le 21 février 2016, lors du premier tour du scrutin. J’ai vu les files d’électeurs disciplinés, venus dès l’ouverture des bureaux de vote. J’ai assisté au dépouillement des résultats, dans la salle du Palais des Congrès, dans un silence de mort. On m’a rapporté les démarches d’apaisement – mal accueillies – des émissaires de la communauté internationale auprès d’une opposition tendue à l’extrême et menaçant du pire en cas de victoire d’Issoufou au premier tour. Avec 18% des voix, Hama arrive loin derrière son concurrent, à 48%, mais il confirme sa place de premier adversaire du Président. Entre les deux tours, il n’appelle pas à voter pour son ancien camarade Seyni Omar, malgré la normalisation de leurs relations sociales. Convaincu que l’élection est truquée et que la communauté internationale soutiendra inconditionnellement le pouvoir rose, il appelle au boycott.
Le 20 mars 2016, date du 2e tour, les cours d’école de la capitale restent vides, malgré quelques bureaux «témoins» préparés pour les observateurs et se remplissant de cars de jeunes hommes venus d’on ne sait où. Sans surprise, Issoufou est réélu avec 92% des voix et un chiffre de participation incohérent avec le 1er tour. Quelques jours plus tôt, Hama Amadou est évacué in extremis vers la France pour y recevoir des soins, tandis qu’à Niamey, le gouvernement, tétanisé, ne sait plus que faire de son encombrant prisonnier.
Le deuxième mandat d’Issoufou ne sera pas plus favorable à Lumana. Mais la chicotte se fait plus souple, les manoeuvres de concassage plus appuyées en faveur de l’éclatement du parti. La procédure contre le leader poursuit son cheminement juridique implacable. La coalition de l’opposition se disloque très vite et les amis d’hier rejoignent le gouvernement. En 2018, Hama Amadou est déchu de son poste de député et déclaré inéligible.
En exil à Paris, il s’ennuie, désoeuvré. Il rêve de revenir dans son pays. «La prison de Filingué, me dit-il, c’est toujours le Niger ! Ca vaut mieux que cette vie d’exil.» Hama se morfond dans la solitude et il estime qu’il doit rentrer au pays pour les militants, quel qu’en soit le prix. Il leur est très reconnaissant de leur engagement inconditionnel à ses côtés.
Une vision du monde qui évolue vers le souverainisme
Hama Amadou n’est pas un révolutionnaire. Féru d’intrigues, capable de complots et de retournements subtils, il n’aime cependant pas le désordre ni le chaos. Avec le temps, ce libéral proche de Nicolas Sarkozy a évolué dans sa vision du monde, au contact du courant souverainiste qui souffle sur le continent. Il écrit, me dit-il, sur les effets pervers de l’aide internationale, nourri de son expérience du pouvoir sous Tandja. Elle est néfaste, pense-t-il, car elle prive les dirigeants de leur autorité sur l’administration en imposant ses priorités propres sans se soucier des Etats. Pour lui, c’est un marché de dupes.
Le 14 novembre 2019, il revient au Niger et se présente devant le tribunal pour purger la fin de sa peine d’un an. Cette fois, les choses se passent plus civilement. Il a le temps de s’incliner sur la tombe de sa mère et de recevoir ses amis et ses militants avant de rejoindre sa cellule de Filingué, d’où il sortira juste à temps pour la campagne.
Il n’a toujours pas renoncé à la victoire démocratique. Bien qu’inéligible, il ferraille, cette fois, contre Mohamed Bazoum, le dauphin du Président sortant. Dans des stades bondés, avec son complice du moment, l’ancien chef d’Etat-major de Mamadou Tandja, le général retraité Moumouni Boureima et son look à la Jerry Rowlings, il harangue les foules. Il leur dit de braver la peur et de se révolter contre le parti rose qui se rêve au pouvoir pour mille ans. L’assaut est frontal.
En novembre 2020, son dossier est rejeté par la Cour Constitutionnelle à cause de sa condamnation. Hama est inéligible ? Il va contester Mohamed Bazoum sur le même terrain. Une campagne fleurit sur sa nationalité d’origine (requise par la Constitution) et l’authenticité des documents que le candidat produit en guise de preuves. Les arrestations pleuvent. La Commission Electorale Indépendante, la Cour constitutionnelle, la justice nigérienne sont totalement inféodées au régime. Et ça se voit. Mohamed Bazoum parcourt le pays avec de gros moyens mais la pression adverse se fait sentir avec force.
Le baroud d’honneur de 2021
Le 22 décembre, Hama renverse encore la table : faute de pouvoir se présenter, il se rallie à la candidature du leader social-démocrate zindérois Mahamane Ousmane, sur qui se porteront les voix de son parti. C’est un coup de génie. Il désamorce ainsi les accusations de régionalisme, se trouve un point d’appui à l’est et recrée l’arc qui a fait la stabilité du Président Tandja. Son staff se met au service d’Ousmane, ce dernier étant dépourvu de troupes et de moyens. Partout, les cadres de Lumana – beaucoup de jeunes coachés par Hama lui-même – s’impliquent dans les bureaux de vote, traquent la fraude, mobilisent les électeurs. L’engouement est fort. Difficile de le mesurer car les résultats officiels sont toujours aussi incohérents, notamment entre le 1er et le 2e tour, qui se tient le 21 février 2021. Bien sûr, Mohamed Bazoum est élu, avec 55,6 % des voix, contre son challenger issu du même fief électoral. Sur les 2,5 millions de voix que recueille officiellement le vainqueur, près d’un million sont comptabilisées dans la seule région de Tahoua, le fief de Mahamadou Issoufou, où l’opposition dénonce des bourrages d’urnes à grande échelle.
Le 25 février 2021, jour de la proclamation des résultats, la capitale s’embrase à l’annonce de ce que beaucoup perçoivent comme un hold-up électoral. Plusieurs partis politiques sont pris pour cibles ainsi que le correspondant de Radio France Internationale et des commerçants proches du régime. Les observateurs étrangers ne pipent mot. Chacun retient son souffle en espérant que l’insurrection va faire long feu. A Zinder, chez Mahamane Ousmane, le calme règne. Ses militants ne s’associent pas à la colère de Niamey.
A ce moment-là, Hama Amadou est hospitalisé dans une clinique, sous perfusion. Il souffre d’une maladie chronique depuis de longues années et la campagne l’a épuisé. 500 personnes sont arrêtées, soupçonnées d’appartenir à son parti, et une unité d’élite de la gendarmerie se présente chez lui avec des blindés offerts par l’Union européenne au nom de la guerre contre les djihadistes. Prévenu, Hama se rend de lui-même à la police judiciaire. Après trois jours de garde-à-vue, il retrouve sa cellule de Filingué. Cette fois, il est accusé de « propagande régionaliste », de «complicité de dégradation de biens » et « d’incitation à la violence et à la haine ethnique». De quoi l’envoyer à l’ombre pour toujours.
Deux mois plus tard, bénéficiant d’une libération sanitaire, il est à nouveau envoyé en France pour se soigner tandis que ses militants encombrent les prisons. En réalité, le régime le préfère hors du pays.
Hama a longtemps espéré que Mohamed Bazoum serait l’homme de la décrispation politique. Il a espéré la libération de ses camarades, l’annulation du jugement de placement de ses enfants à l’orphelinat, la fin du harcèlement judiciaire. Il croyait qu’une démocratie «normale» pouvait voir le jour au Niger, chacun dans son rôle. Cela n’a pas été possible. Il n’a pu obtenir qu’une sorte de trêve sans contrepartie, permettant aux élus locaux de son parti d’administrer sans entrave les collectivités gagnées au dernier scrutin.
La dernière fois que je l’ai vu, il était très joyeux et s’apprêtait à rentrer au Niger. C’était en août 2023, quelques semaines après le coup d’Etat contre Mohamed Bazoum. Hama se réjouissait de la chute du guri système, s’emportait contre le projet d’intervention française et voulait, naturellement, repartir au combat politique. Il comptait bien se présenter aux élections à venir, pensant que le sort avait enfin tourné en sa faveur.
Je n’ai pas eu la chance de reprendre nos causeries. Sa maison, en France, est restée fermée et Hama n’a pas renouvelé son visa. Il n’a plus parlé publiquement, les partis politiques étant suspendus par le gouvernement militaire. On m’a dit que les autorités lui avaient donné un véhicule officiel, en sa qualité d’ancien Premier ministre, statut qui lui fut toujours refusé par le régime socialiste. Sa plainte devant la Cour de justice de la communauté ouest-africaine, pour son éviction du dernier scrutin et l’opposition formée contre la condamnation en son absence dans le dossier des bébés importés, restent pendantes.
ll a fallu l’hommage national organisé à ses obsèques pour qu’il ressurgisse, une dernière fois, dans le paysage politique.
Quel sera son héritage ? Que va devenir son parti ? Quel sort sera réservé aux idéaux démocratiques qu’il a défendus ? Quel chemin empruntera le Niger dans les années qui viennent ? Il ne sera plus là pour en débattre avec nous.