La disparition de l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing (94 ans) a fourni l’occasion aux médias francophones de rappeler les rapports troubles qu’il entretenait en Centrafrique avec l’Empereur Bokassa.
L’attrait du Président Giscard d’Estaing pour le territoire centrafricain a été irrépressible; en revanche, il fut peu sensible à la condition misérable d’une population soumise à une dictature implacable.
Les trois événements historiques du septennat
Il y eut d’abord le sacre extravagant de l’Empereur Bokassa (4 décembre 1977) largement organisé et financé par la France. Puis l’Opération Caban ( Centrafrique-Bangui), avec les légionnaires venus du Tchad qui mirent fin à l’Empire (20 septembre1979). Et ce fut surtout la fameuse plaquette de diamants, révélée le 10 octobre 1979 par le journal satirique Le Canard Enchaîné, qui joua un rôle non négligeable dans la défaite de Giscard, en 1981, contre François Mitterrand.
Jean- Bedel (diminutif de Jean-Baptiste de la Salle) Bokassa ne cessa de donner des précisions sur les nombreux dons de diamants à » son cher parent » qui ne se seraient pas arrêtés à cette plaquette que Jean-Bedel Bokassa avait offert en 1973 à Giscard. L’ attrait de Valéry Giscard d’Estaing pour l’ancien Oubangui-Chari ne date pas de 1974, ni de 1969, lorsqu’il était devenu ministre d’État, ministre de l’ Économie et des Finances de Georges Pompidou, ni même de 1959, lorsqu’il.était devenu Secrétaire d’État aux Finances du Général de Gaulle.
L’ attachement à la terre centrafricaine
Avant l’indépendance de l’Oubangui-Chari, le jeune Valéry Giscard d’Estaing avait déjà été initié à cette passion irrépressible envers cette Afrique profonde qui avait déjà subjugué André Gide. Les nombreux parcs nationaux, de la savane à la forêt équatoriale, les immenses réserves cynégétiques aux grands gibiers surabondants, Bangui la Coquette, avec ses bases de repos pour les militaires positionnés au Tchad et les Français expatriés et de métropole, offraient des opportunités exceptionnelles, d’autant que l’État centrafricain était embryonnaire et sous l’emprise de centaines de coopérants français.
C’est dans ce contexte, qu’un club de grands chasseurs et amis de la nature avait jeté son dévolu sur cet eldorado de chasseurs, dès la fin de la seconde guerre mondiale. Parmi ces membres, on retrouvait des aristocrates, des grands patrons d’industrie et gentlemen farmers, comme l’Ardennais François Sommer, le compagnon de la Libération et grand résistant Hettier de Boislambert et le chatelain-aventurier très réputé Marc Péchenart, au brillant passé militaire, grand protecteur de la biodiversité mais surtout internationalement reconnu pour la chasse à l’éléphant.
Le jeune Giscard suivait alors son père Edmond et son cousin François, habitués de ces lieux de chasse. Ces équipes de chasseurs de grands gibiers, étaient souvent cornaqués par le célèbre journaliste-académicien Michel Droit qui était officiellement Guide de chasse Centrafricain. La nationalité centrafricaine s’obtenait déjà sans grandes difficultés.
Le jardin secret de Giscard
Vers la trentaine, Giscard s’émancipa de plus en plus de ces compagnons de chasse pour s’enfermer dans une discrétion qu’il faisait respecter avec fermeté, notamment vis-à-vis de l’ambassade de France à Bangui. Marc Péchenart était l’un des rares compagnons de chasse acceptés. Il est vrai que sa renommée internationale et surtout son implantation en Centrafrique en faisait un compagnon irremplaçable.
Très proche des présidents Dacko et Bokassa, Marc Péchenart avait obtenu une concession cynégétique de 700 000 hectares dans le Mbomou, proche des frontières de l’ex Zaïre et du Soudan. Cette zone entre Rafaï, Zemio et Djema, est habitée par le peuple Zande qui reconnaissait la prédominance des sultans sur les préfets et autres autorités de l’État. Cette déconnection de Bangui facilitait une large autonomie pour le concessionnaire Marc Péchenart.
C’est dans cette zone que se situe Bakouma, réputée pour son site uranifère, qui intéressait déjà au plus haut point Giscard et son cousin François. Plus tard, Areva paiera cher ses investissements sur ce site
Afin de se prémunir d’éventuelles indiscrétions, qui auraient été malvenues, surtout après 1974 et son accession à la présidence de la république, le président Giscard préférait atterrir sur l’aéroport international de Gbadolite, au Zaïre mais situé à proximité de la ville centrafricaine de Mobaye. Gbadolite était la capitale créée ex nihilo, par Mobutu dans son village natal. Cette ville était alors surnommée » la Versailles de la jungle ». Marc Péchenart amenait ensuite Giscard sur sa zone de chasse, avec son avion privé.
Les habitants actuellement âgés de Rafaï et de Zemio se rappellent encore aujourd’hui des visites du président français, notamment celles de 1976 et 1978. Les élèves des classes primaires étaient rassemblés pour chanter la Marseillaise, afin de faire honneur au chef de l’Etat français, en pleine brousse, à 1000 km de Bangui et à 7000 km de Paris. Dans cette zone équivalente à un département français, la chasse à l’éléphant, à l’élan derby, au grand Koudou, au cob de Buffon était sans limite, aucune taxe n’ était prélevée et évidemment aucun contrôle sur les éventuels transports de pierres précieuses et des pépites qui abondent dans cette région. Ce territoire est actuellement sous » administration » du chef rebelle Ali Darass de l’ UPC
Un autre ami de la nature, protecteur de la faune et guide de chasse exceptionnel, Jean Laboureur, accueillait également le chasseur Giscard, mais plutôt dans les réserves du Nord comme à Ndélé et dans la zone sahélienne. Les antilopes, les hippopotames, les grands fauves faisaient les tableaux de chasse. Les participants au deuxième Sommet Afrique-France de mars 1975, organisé à Bangui, se rappellent l’indélicatesse de Giscard qui avait fait patienté les chefs d’Etat et autres invités une bonne journée. Le safari de Ndélé était plus important pour Giscard que ce Sommet.
Giscard et Bokassa, compagnons de chasse
Les relations ambiguës, finalement mortifères, pour Giscard datent des années 1960. Jean- Bedel Bokassa, chasseur émérite, était chef d’état- major des Armées avant son coup d’ Etat du 31 décembre 1965. Avec son comportement plein de bravoure en Indochine, il attirait naturellement la sympathie de ces chasseurs de grands gibiers, souvent pouvant faire valoir des faits de Résistance aux nazis, comme l’étudiant Giscard à Paris.
Lors de ces séjours centrafricains, à partir de 1966, les rencontres, néanmoins assez rares, avec le président Bokassa étaient pleine d’empathie. Le curieux » cher parent » donné à ce sergent-chef, que De Gaulle affublait du surnom de » soudard », colle très difficilement avec le style grand bourgeois voire aristocratique de Giscard. Il montre une proximité probablement nourrie par des gestes d’ attention appréciés.
Le troisième président de la cinquième République, Valéry Giscard d’Estaing, a immédiatement montré beaucoup de sollicitude avec le président à vie, le maréchal Bokassa, élevé à cette dignité le 19 mai 1974, soit huit jours avant l’élection de Valery Giscard d’Estaing. Valéry Giscard d’ Estaing chargera personnellement Pierre Abelin puis Robert Galley ministres de la Coopération successifs, de suivre ses relations avec Jean- Bedel Bokassa, sans passer par le premier ministre, Jacques Chirac (1974- 1976) puis Raymond Barre.
Pierre Abelin fut envoyé à Bangui pour préparer le premier voyage officiel d’un président français en Centrafrique qui aura lieu avec le deuxième Sommet Afrique-France de Bangui, en mars 1975. Le dictateur pouvait plastronner devant Léopold Senghor et Félix Houphouët-Boigny, très songeurs. Quant à Robert Galley, il veilla à la réussite du sacre de l’Empereur Bokassa et y représenta la France.
Les deux ministres de la coopération développèrent les projets de coopération tant dans l’ Éducation que dans le développement économique. La construction d’un chemin de fer et la modernisarion de l’aéroport étaient alors des priorités. Il n’ y aura pas de chemin de fer et la modernisation de l’aéroport de Bangui est toujours d’ actualité.
« Le repos du chasseur »
Si Giscard répugnait à séjourner à Bangui, pour ne pas rompre le secret de ses voyages que les médias n’avaient pas à connaître, en revanche, il acceptait volontiers de répondre à l’invitation du président Bokassa. Le Palais impérial est situé à 80 km de Bangui. Afin de faciliter et de sécuriser les transferts, une piste d’ atterrissage de 2600 mètres a été construite avec tous les agréments de l’ OACI. Ce palais de Berengo fait aujourd’ hui le bonheur des mercenaires russes du Groupe Wagner.
Giscard appréciait ses séjours près du village natal de Bokassa. Il pouvait y décompresser et profiter de ce lieu propice au » repos du chasseur ».Aujourd’hui à Bangui, les rumeurs les plus folles courent encore sur ces séjours à Berengo.
La situation catastrophique de l’ ancienne » Cendrillon de l’ Afrique » est certes imputable à la mauvaise gouvernance des présidents Bokassa, Kolingba, Patassé, Bozizé, Djotodia, Catherine Samba Panza et Touadera. Il ne faudrait pas oublier aussi les grandes responsabilités des présidents français de Valery Giscard d’ Estaing à François Hollande. Pour les Centrafricains, l’époque de Valéry Giscard d’Estaing est bien lointaine et représente la poursuite de la Françafrique, mise en place par Jacques Foccart.