Le Floch le pétrolier, et maintenant Le Floch l’Africain. Chemise bleue et barbe blanchie, l’ancien chef de la compagnie pétrolière Elf, qui est passé lors de ses démêlés judiciaires pour un pilier de la Françafrique, ressemble aujourd’hui à un vieux baroudeur. Volubile, cet ancien explorateur des bas-fonds africains devenu écrivain voyageur (voir ci-contre) plaide pour une solide révision de la politique du continent. Entre deux gorgées de Perrier sans glace, il lâche : « J’aime l’Afrique noire, moi-même je me sens africain.» Né à Brest, ce natif de Guingamp au verbe acéré aime les paradoxes: « L’Afrique est une histoire pas crédible, mais à laquelle on croit».
Le projet du livre est né dans une geôle togolaise, alors que l’ex PDG d’Elf était impliqué dans une obscure histoire de commissions. «J’ai été kidnappé à Abidjan, en Côte d’Ivoire, raconte-t-il, alors que je réglais un dossier sur le partage du pétrole avec le Ghana.»
«Le Plouc Fringant »
Cinq mois et onze jours dans « une pièce sombre éclairée par des néons » de la gendarmerie de Lomé et alors qu’une tumeur à la jambe le lance, et voici ce hâbleur qui découvre l’introspection. « La douleur me donne le vertige, mais les hôpitaux togolais sont des mouroirs. J’ai essayé de lire deux livres par jour, c’est d’ailleurs ce qui m’a donné envie d’écrire. »
Un besoin de se raconter, certes, mais aussi un désir de reconnaissance qui n’a cessé de tarauder celui qui fut surnommé « Le Plouch Fringant »: le diplômé d’un modeste institut polytechnique de Grenoble paye cher son intrusion dans le monde fermé des grands patrons. Avant ses déboires judiciaires, ce Rastignac a dirigé certains fleurons industriels français: Rhone Poulenc (1982-1986), Gaz de France ( 1993-1996) ou encore la SNCF (1995-1996).
C’est sa présidence chez Elf qui le révèle au grand public. « La pire des manières de découvrir un pays c’est d’y arriver en tant que président d’une grande compagnie pétrolière », ironise-il dans son livre. Le Floch s’arrête par la case prison entre 2003 et 2010. Condamné trois fois, il passera cinq ans à l’ombre à la maison d’arrêt de Fresnes pour détournement de fonds lors de la célèbre affaire Elf. « On m’a fait porter un chapeau trop large », se défend-il.
Ce mordu d’Afrique noire assène quelques coups de bâton. Le président congolais, Denis Sassou Nguesso et son homologue togolais, Faure Gnassingbé en tête. Quand le premier s’accroche au pouvoir depuis 33 ans, le second, élu en 2005, suit les traces de son père, Gnassingbé Eyadema, chef du Togo pendant 37 ans. Pourtant, ces « despotes africains » ne sont rien d’autre, selon lui, que le résultat d’une diplomatie française qui a trop bien fonctionné. A l’époque d’Elf, Loïk avoue avoir anesthésié par quelques gâteries et autres caisses noires des oppositions aux pouvoirs en place sur ordre du pouvoir français. « L’objectif était d’éviter les putschs ». Et d’ajouter, lucide: « Sans doute avons nous trop bien réussi quand on voit des chefs d’Etat se survivre à eux mêmes des dizaines d’années. » Et en effet la majorité des chefs d’Etat avec lesquels le pétrolier de la République négociait, sont encore au pouvoir.
Des Etats faillis
Là où ce vieux routier de Le Floch surprend son monde, c’est dans une capacité à déconstruire la vision occidentalisée de l’Afrique qui est celle de la plupart des dirigeants français. La démocratie parlementaire, l’Etat ne seraient pas selon lui les bonnes grilles de lecture pour comprendre le continent africain.« Il n’ y a pas de chefs d’Etat en Afrique, l’Etat n’existe pas en tant que tel, les dirigeants ne gèrent qu’un bout du pays. Regardez les mines de diamants en Centrafrique, elles n’ont jamais été sous le contrôle de l’Etat. Au Congo, Denis Sassou Nguesso contrôle les compagnies nationales, mais c’est presque tout. » Ultime recours pour ces régimes fragiles, leurs armées. A condition de les nourrir grassement. « Si l’armée est payée, elle agit, sinon elle entre dans le camp des opposants », tranche le pétrolier. Plus le pays est vaste, selon Le Floch, plus le régime en place peine à contrôler les militaires comme en témoignent le Congo ou la Côte d’Ivoire, quatre mutinerie ces trois dernières années.
La classe politique française ne trouve pas plus grâce à ses yeux que les régimes africains. Cet inconditionnel de Mitterrand n’a pas la même admiration pour les gouvernements qui l’ont succédé. « Pink Floch », surnommé ainsi à l’époque pour ses sympathies PS, cogne fort. « Le bilan de Laurent Fabius et celui de Jean-Yves Le Drian sont lamentables, ils ont tout simplement confié les clés à l’armée. La situation en Centrafrique et au Mali, deux pays où la France est intervenue militairement, est catastrophique. »
Le Mali, l’un des théâtres de l’opération Barkhane, peine à résister à l’arrivée d’un islam rigoriste venu de la péninsule arabique. « C’est la première fois que cela se produit ; jamais le continent n’a connu le remplacement d’une religion par une autre. Il a l’habitude de cumuler, c’est le mille-feuille africain. » Mais comment résister face au « paquet de fric » qui abreuve le continent en provenance du royaume ? « Ce n’est pas en interdisant les gisements de gaz de schiste en France que l’on va arrêter l’Arabie Saoudite », peste le pétrolier.
« Un bordel hollandais », voilà comment le mouton noir – surnom donné par François Mitterrand – résume la politique africaine du Parti socialiste ces cinq dernières années. « Ni Sarkozy ni Hollande n’avaient un discours africain. » Il s’énerve, s’offusque et pointe du doigt l’incompétence des politiques et des experts. « Regardez au Kenya : les observateurs étrangers se sont félicités de l’élection alors que la Cour suprême déclare son invalidité quelques jours plus tard. »
Et Loïk Le Floch-Prigent de conclure: « Il n’y a plus de connaisseurs étrangers de l’Afrique ». Sauf lui, forcément….