Mondafrique propose une enquête en deux volets sur l’éviction de la Canadienne Michael Jean de son poste de Secrétaire général de l’Organisation de la Francophonie (OIF) et la désignation à sa place de la ministre rwandaise des Affaires étrangères Louise Mushikiwabo. Bien que la Francophonie soit une organisation internationale regroupant plus de 88 Etats membres, ces deux décisions ont été imposées par le président français Macron. Et cela avec de très lourdes conséquences pour la gouvernance de la Francophonie dont l’avenir est compromis avec les multiples reports du sommet qui aurait du se tenir en Tunisie depuis deux ans.
Au sortir d’un entretien avec la Secrétaire générale de la Francophonie Michaëlle Jean, Macron décide en 2018 de son éviction et impose sa décision à tous autres Etats membres de l’organisation. Une décision qui relève du fait du prince et qui n’a rien à voir avec le bilan de Mme à la tête de la Francophonie. Un fait de principe, comme les affectionne Macron.
Elle ne se doutait de rien en entrant un après-midi du mois de janvier 2018 au palais de L’Elysée pour rencontrer, entourée de ses plus proches collaborateurs, le président français Emmanuel Macron. Ce sera la première et la dernière rencontre entre la Canadienne Michaëlle Jean et le président français. Avec l’enthousiasme qu’on lui connaît Madame Jean était venu présenter à Macron, élu un an plus tôt, les grands chantiers de la Francophonie et lui parler des perspectives, notamment sa candidature pour un second mandat de 4 ans lors du 17 ème Sommet prévue à la fin de l’année 2018 à Erevan, en Arménie.
« Tout sauf elle »
La Secrétaire générale de la Francophonie parle longuement, passionnément. L’entretien dépasse le temps prévu par le protocole. Elle repart convaincue d’avoir fait mouche. D’avoir réussi son grand oral. Elle ignore que le même après-midi Macron a pris derrière elle une décision : elle ne sera pas le prochain Secrétaire général de la Francophonie. Le président français a scellé son sort et demandé le même jour à ses troupes à l’Elysée de se mettre à la recherche de l’oiseau rare pour remplacer Michaëlle.
Que lui reproche Macron ? Rien, sauf que le feeling n’est pas passé entre le président français et la Secrétaire générale. Cela a suffi à s’engager dans la voie de son éviction. Certes des dépenses somptuaires ont été reprochées à l’ancienne Gouverneure générale du Canada, dont la rénovation de son appartement de fonction à près de 350 000 euros et l’acquisition d’un piano à 14000 dollars, mais ce n’est pas cela qui a pesé dans la décision de Macron de « chasser » Mme Jean. La décision du président français est tout simplement un fait de prince. Premier bailleur de fonds de la Francophonie, la France pouvait se le permettre. Son président se l’est permis. D’abord enfermée dans les murs de l’Elysée, décision du président Macron d’évincer Mme Jean de l’OIF finit par arriver Avenue Bousquet, siège de l’organisation internationale à Paris, sous forme de rumeur chuchotée de bouche à oreille. Elle finit par être confirmée par l’Elysée qui officialise sa volonté de trouver un Africain ou une Africaine pour prendre le Secrétariat général de la Francophonie.
L’Afrique sommée de se plier
Michaëlle Jean accuse le coup après avoir eu la certitude que Macron ne veut plus d’elle. Mais elle ne s’avoue pas vaincue. Et pour cause : pendant toute l’année 2017 la Secrétaire générale de l’OIF, déjà candidate à sa succession, a arpenté le continent africain pour s’assurer du soutien des membres africains de la Francophonie. Elle avait alors reçu le ferme soutien des présidents sénégalais Macky Sall, ivoirien Alassane Ouattara, malien Ibrahim Boubakar Keita (décédé en janvier 2022), nigérien Mahamadou Issoufou et tchadien Idriss Deby Itno. La Secrétaire générale sortante avait alors le soutien du gouvernement fédéral du Canada et du Québec.
L’Elysée va sortir la grosse machine contre sa possible reconduction. Le président français va ainsi faire le tour de ses homologues africains pour obtenir qu’il renonce les uns après les autres à soutenir Michaëlle Jean. Aucun chef d’Etat africain ne prendra alors le risque de déplaire à Macron en maintenant son soutien à l’ancienne gouverneure du Canada. Seul le Canada semblait faire de la résistance.
En réalité, après la volte-face de l’Afrique, qui fournit le plus grand contingent des Etats de la Francophonie, le sort de Michaëlle Jean était déjà définitivement scellé.
Tristes lendemains
Le résultat, le voici. Prévu en 2020 à Djerba le sommet de la Francophonie a été reporté à 2021 pour cause de Covid-19. Il n’a pas pu se tenir en 2021 en raison du retard pris par la réalisation des infrastructures et de la situation politique en Tunisie. Rien n’indique qu’il se tiendra comme prévu cette année en novembre. Les travaux sont toujours en retard, Kaïs Saied n’ayant pas fait une priorité. A cela s’ajoute la situation politique : de nombreux pays occidentaux (Canada, Belgique, Suisse, Québec) menacent de ne pas venir à Djerba pour ne pas cautionner la confiscation de la démocratie. Certains appellent désormais à retirer l’organisation du Sommet à la Tunisie. Ce que la France ne cautionne pas pour l’instant.
Histoire de ne pas fâcher le président tunisien qui est toujours apprécié à Paris.