Entre le Maroc et Israël, un rapprochement à pas comptés

Pour la première fois depuis la normalisation entre les deux pays, le chef de la diplomatie marocaine Nasser Bourita s’est rendu en Israël en mars dernier. Une visite inédite pour un sommet espéré historique entre israéliens, américains et quatre pays arabes. Toutefois entre le royaume chérifien et Israël, il demeure quelques sérieuses incompréhensions.

Olivier DELAGARDE

Le roi du Maroc Mohammed VI a visité la plus vieille synagogue de Pari

« J’espère qu’on se reverra bientôt dans un désert différent mais avec le même esprit ». Ce 28 mars dernier, à l’occasion d’un point presse pour clôturer les travaux du Sommet du Néguev en Israël (NDLR : un désert situé dans le sud de l’État Hébreu), le ministre marocain des Affaires étrangères Nasser Bourita a fait sensation devant les journalistes en faisant un clin d’œil non dissimulé au désert du Sahara. Peut-être le chef de la diplomatie chérifienne s’est-il senti inspiré par Théodore Monod : « le désert est beau, ne ment pas, il est propre » ?

Son souhait pourrait bien devenir réalité puisque selon le chef de la diplomatie israélienne Yaïr Lapid, ce sommet organisé à la dernière minute par les Israéliens dans le cadre de la tournée du secrétaire d’État américain Antony Blinken au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, est voué à devenir un forum annuel.

Une belle affiche 

« Historique », « symbolique », les adjectifs n’ont pas manqués pour décrire « le coup » réalisé par l’Etat hébreu. Pour la première fois, ce dernier a accueilli sur son sol quatre membres de la Ligue arabe simultanément, les 27 et 28 mars derniers : l’Égypte, mais aussi les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Maroc, tous trois signataires des Accords d’Abraham en 2020, et dorénavant considérés comme « les nouveaux alliés d’Israël dans la région ». Plus d’un an après la normalisation des relations israélo-marocaines, c’est la première fois que Nasser Bourita se rend officiellement en visite en Israël, faisant de lui la “guest star” de l’événement selon les gros titres de la presse marocaine.

Du côté israélien, tout a été pensé minutieusement : le sommet a eu lieu dans le désert du Néguev, à Sde Boker précisément, l’un des derniers kibboutz du pays où David Ben Gourion, fondateur de l’État israélien, a vécu les vingt dernières années de sa vie avant d’y être enterré. Voilà pour le symbole.

Pour l’histoire, pas de hasard non plus pour la date retenue : le 27 mars, soit exactement vingt ans après que la seconde Intifada ait atteint son paroxysme et alors que l’Arabie Saoudite, dans le cadre de la Ligue arabe, proposait un accord de paix préconisant la reconnaissance d’Israël par le monde arabe en échange d’une solution à deux États. À cette époque, le roi Mohammed VI au pouvoir depuis plus d’un an, avait rompu toutes relations avec les dirigeants israéliens.

Et pour ajouter un certain caractère marquant de plus à la rencontre, et alors que Yaïr Lapid et ses hôtes arabes étaient en train de dîner, un attentat terroriste a frappé Hadera, une petite ville située entre Tel-Aviv et Haïfa, dans la soirée du dimanche 27 mars dernier. Une fusillade revendiquée par Daech, dans laquelle deux policiers ont été tués et plusieurs Israéliens blessés. « Tous les ministres des Affaires étrangères ont immédiatement et unanimement dénoncé l’attaque terroriste et demandé à leurs postes diplomatiques l’envoi de leurs condoléances aux familles, ainsi que leurs vœux de rétablissement aux blessés », s’empressait de déclarer le ministre israélien dans un communiqué.

L’éléphant qui accouche d’une souris

Organisé dans un contexte inédit, alors que les conflits armés en cours au Yémen et en Ukraine battent leur plein, le Sommet du Néguev revêtait un double objectif : renforcer la légitimité d’Israël et son importance régionale pour les pays arabes signataires des Accords d’Abraham, mais aussi de faire la démonstration d’un front uni anti-Iran, considéré comme une menace pour la stabilité de la région. Mais l’image de quatre ministres arabes reçus dans un cadre chaleureux et intimiste par les autorités israéliennes, a semblé plus importante que le fond des dossiers. L’affiche était belle, le scénario ficelé mais en effet, les détails des discussions de ces deux journées de travail, pourtant chacune des parties s’étant bardé de conseillers, n’ont toujours pas été rendues publiques.

Laconiquement, le Maroc et Israël ont affiché des positions similaires particulièrement sur la question iranienne. Rabat, qui a rompu ses relations avec Téhéran en 2018, accuse régulièrement le “régime des mollahs” de soutenir et d’armer le Polisario, en tentant ainsi de déstabiliser l’Afrique du Nord, sous les applaudissements de l’Algérie. Jusque-là, rien de nouveau sous le soleil…du désert.

Un discours plaisant à entendre du côté israélien, dont l’intérêt est de renforcer les sanctions à l’égard de l’Iran. Une convergence non dénuée d’intérêts pour le royaume chérifien, qui voit en l’Etat hébreu un intermédiaire de choix entre Rabat et Washington afin de convaincre l’administration démocrate américaine de prendre définitivement position pour le royaume dans le dossier du Sahara, tout en faisant également un négociateur appuyé auprès du l’ONU. Là encore, les planètes maroco-américaines sont d’ores et déjà alignées.

Une coopération militaire tiède

Autre point d’accord entre Rabat et Tel-Aviv : la guerre menée par la Russie en Ukraine. Là encore, Israël, à la fois proche du bloc occidental et du Kremlin, ambitionne de se positionner comme un médiateur majeur dans la résolution du conflit. Une ligne suivie par le royaume marocain, qui évite soigneusement de se fâcher avec les deux adversaires à l’Est et ce, afin de conserver toutes ses cartes dites de « neutralité », dans un contexte géopolitique incertain.

Au préalable, trois hauts gradés de l’armée israélienne étaient en visite courant mars dans la capitale marocaine afin de conclure un protocole d’accord de coopération militaire avec les Forces armées royales (FAR). Celui-ci comprend notamment la création d’une commission militaire conjointe, sans en préciser les moyens, les objectifs et encore moins le calendrier. Seul détail, quelque peu laconique, au cours du Sommet du Néguev : Yaïr Lapid a évoqué la nécessité de « mettre en place une architecture de sécurité régionale » entre Israël et les quatre pays arabes hôtes. Fermez le banc.

Des fritures sur la ligne Rabat-Tel Aviv

Vendredi 15 avril dernier, l’esplanade des Mosquées à Jérusalem-Est occupée, a été le théâtre de violents affrontements entre policiers israéliens et palestiniens. Plus de cent cinquante palestiniens ont été blessés lors de ces heurts, et une dizaine d’autres ont été blessées dimanche matin, faisant craindre un embrasement dans les territoires arabes.

Sans un communiqué du samedi 16 avril, le royaume marocain a « exprimé sa ferme condamnation et sa forte dénonciation de l’incursion des forces d’occupation israéliennes dans la mosquée al-Aqsa, la fermeture de ses portes et l’agression des fidèles désarmés dans l’enceinte de la mosquée et sur ses esplanades ».  Rabat « considère que cette agression flagrante et cette provocation méthodique durant le mois sacré du Ramadan ne feront qu’attiser les sentiments de haine et d’extrémisme et réduire à néant les chances de relance du processus de paix dans la région », est-il ajouté clairement.

Le roi Mohammed VI, président du Comité Al-Qods et chargé de contribuer à la sauvegarde des lieux saints musulmans à Jérusalem, a ordonné de communiquer cette « condamnation » « directement au chef du bureau de liaison israélien à Rabat », a précisé le ministère des affaires étrangères.

Rabat a par ailleurs appelé l’ONU et la communauté internationale « à intervenir d’urgence pour mettre un terme à ces violations et agressions contre le peuple palestinien ».

<jérusalem, « une ligne rouge »

Le comité pour Jérusalem a été créé en 1975 par l’Organisation de la conférence islamique (OCI), elle-même créée six ans plus tôt à Rabat à la suite de l’incendie qui avait ravagé, en août 1969, la mosquée Al-Aqsa. Lors de la dixième conférence islamique des ministres des Affaires étrangères tenue à Fès en 1979, le Comité Al-Qods a été placé sous la présidence de Hassan II puis, à la mort de ce dernier, sous celle de son fils héritier Mohammed VI.

Sur le versant international, le Conseil de sécurité de l’ONU tient ce mardi 19 avril, une réunion à huis-clos sur l’escalade de tensions dans la ville sainte d’Al-Qods. Selon le programme de l’instance exécutive de l’ONU envoyée aux médias, cette réunion demandée par la France, l’Irlande, la Chine, la Norvège et les Emirats arabes, aura lieu à 10H00.

Les tensions sont montées d’un cran ces derniers jours, lors d’une nouvelle vague de violence entre Israéliens et Palestiniens. Depuis le mois de mars, quatorze Israéliens ont été tués dans plusieurs attaques dans des villes israéliennes, ce qui a entraîné des opérations militaires israéliennes ultérieures dans toute la Cisjordanie, qui ont tué plus de vingt Palestiniens.

 

L’année dernière, des affrontements dans l’enceinte de la mosquée Al-Aqsa, point central du conflit israélo-palestinien, ont conduit à une guerre de onze jours.

 

Ainsi, depuis le rétablissement des relations diplomatiques avec Israël fin 2020, la diplomatie du gouvernement marocain se retrouve dans une position d’équilibriste, et peine à garder le haut de l’affiche, entre ses ambitions économiques extérieures, sa bien compliquée politique intérieure et la main royale.