Entre l’Algérie et le Mali, rien ne va plus

 Dans la nuit du 31 mars au 1er avril, Alger a abattu un drone malien qui avait violé son espace aérien. La réponse agressive et maladroite de Bamako a entraîné une riposte de la diplomatie algérienne d’une rare fermeté. Les tensions entre les deux pays vont crescendo plaçant ainsi la Russie dans l’embarras.

Leslie Varenne

L’épave du drone de combat turc «Akinci» de l’armée malienne, à l’origine des tensions, a été localisée à 9,5 km au sud de la frontière avec l’Algérie.

Après qu’Alger a reconnu avoir abattu Baykar Akinci, un modèle de drone turc de haute qualité d’une valeur de 30 millions d’euros, le Mali a d’abord répondu de manière maladroite mais mesurée. Le communiqué publié le 1er avril contestait la violation de l’intégrité territoriale de son voisin, assurait que l’engin effectuait « une mission ordinaire de reconnaissance » et annonçait une enquête. Jusque là, rien n’indiquait le coup de tonnerre à venir.

Mais le 6 avril, Bamako sort l’artillerie lourde contre Alger avec une déclaration faite au nom de la Confédération des Etats du Sahel. Solidaires, les trois Etats accusent le « régime algérien » de compromettre « les efforts régionaux de sécurisation » et de soutenir indirectement « les factions terroristes » et ajoute qu’aucun avertissement n’aurait précédé l’interception du drone dans la zone de Tinzawatene. Par conséquent l’AES rappelle ses ambassadeurs en Algérie. De son côté, le Mali convoque le diplomate algérien en poste à Bamako, se retire du CEMOC, l’organisation sécuritaire régionale et annonce porter plainte devant les instances internationales pour « actes d’agression ».

Une crise ouverte Alge/Bamako

C’en est trop pour Alger qui réplique dès le lendemain par un communiqué virulent. De mémoire, jamais la diplomatie algérienne, d’habitude mesurée, n’avait tapé si fort. Noir sur blanc, elle dénonce : « un projet putschiste qui a enfermé le Mali dans une spirale de l’insécurité, de l’instabilité, de la désolation et du dénuement ». Le pouvoir algérien enfonce le clou en évoquant « l’échec de cette clique institutionnelle ». Et d’ajouter que l’échec est « patent à tous les niveaux ».

Dans la foulée, Alger prend des mesures de rétorsion. Le ministre des Affaires étrangères algérien, Ahmed Attaf, rappelle pour consultation ses ambassadeurs au Mali et au Niger et diffère la prise de fonction de son nouveau diplomate au Burkina Faso. Puis l’Algérie ferme son espace aérien à tous les vols en provenance ou à destination du Mali avec effet immédiat et jusqu’à nouvel ordre. Bamako s’empresse d’appliquer la réciprocité. 

Trop, c’est trop

Par ce communiqué, Alger a clairement marqué son exaspération qui s’explique par au moins deux raisons. La première est d’ordre factuel,  le drone a bien violé l’intégrité territoriale de l’Algérie et des sommations ont bien eu lieu. Ce que le Mali conteste.

Le site spécialisé, Avions légendaires, note : « Il semble désormais acquis que malgré les sommations de retourner dans son espace aérien le télépilote malien ait poursuivi sa mission. » Ensuite, ce n’est pas la première fois que ce genre d’incidents se produisent. Avions Légendaires rappelle qu’en août 2024 une patrouille de Sukhoi Su-30MKA Flanker-H a montré les crocs à un télépilote dont l’engin avait pénétré l’espace aérien algérien.

Quelques semaines auparavant c’est un hélicoptère de combat Mil Mi-35M Hind-E également malien qui avait été accroché au radar par l’Algérie et sommé de retourner dans son espace aérien. Enfin, le Mali qui ne contrôle pas physiquement cette partie de son territoire, envoie, sous prétexte de lutte contre les terroristes, des drones qui frappent à l’aveugle tous groupes d’individus. Ainsi, par exemple, en mars derniers deux camions appartenant à des commerçants algériens ont été détruits par une frappe et ce n’est pas le premier accident de ce type.

Le bon grain et l’ivraie

L’irritation de l’Algérie s’explique également par le fait que la déclaration du 6 avril ait été adoptée par la Confédération des Etats du Sahel. Elle l’exprime d’ailleurs dans son communiqué : « Le gouvernement algérien regrette, par ailleurs, profondément l’alignement inconsidéré du Niger et du Burkina Faso sur les thèses fallacieuses présentées par le Mali. »

Sii grâce aux efforts diplomatiques de la Russie Alger a mis de l’eau dans son vin avec son turbulent et indiscipliné voisin malien, les relations avec Assimi Goïta et son gouvernement sont restées néanmoins empreintes d’une grande méfiance. En revanche, tel n’est pas le cas avec le Niger. Ces derniers mois ont vu des avancées notables entre les deux pays, notamment concernant des projets d’infrastructures comme l’édification du gazoduc reliant Lagos à Alger ; la construction de la centrale électrique au Niger et la route transaharienne pour désenclaver la région. L’Algérie a également offert des dons à Niamey en affrétant trois avions d’aide alimentaire avant le ramadan. Jusqu’où ira la solidarité entre Etats de l’AES se demandent des internautes nigériens qui n’ont pas envie de se fâcher avec leur grand voisin.   

La Russie dans l’embarras

La Russie, allié traditionnel d’Alger
L’affaire du drone Akinci qui entraîne une crise diplomatique majeure entre le Mali et l’Algérie met à nouveau la Russie dans une position extrêmement délicate, les deux pays étant partenaires et alliés. En 2023 et 2024, le Kremlin a déployé de nombreux efforts diplomatiques pour inciter les deux parties, déjà en froid, à resserrer leurs liens. Elle avait presque réussi, en novembre 2024, le nouvel ambassadeur algérien, Kamel Retieb, avait remis en grande pompe ses lettres de créances à Assimi Goita. Ces nouvelles tensions tombent au plus mauvais moment puisqu’entre le 3 et le 5 avril, les trois ambassadeurs des pays de l’AES étaient reçus à Moscou pour officialiser « un partenariat multidimensionnel » avec la Russie. Cela explique peut-être pourquoi le Mali a attendu le 6 avril pour sortir l’artillerie lourde contre Alger !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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