« Maghreb Emergent » publie une enquête sur quelques Algériens qui disposaient de comptes à HSBC-Suisse, dont le milliardaire Djilali Mehri, le héros de la bataille d’Alger et un proche du ministre de l’autoroute Est Ouest, Amar Ghoul. Des noms qui n’étaient pas apparus dans « le Monde ».
Pour cette première publication, l’enquête de Maghreb Émergent s’est arrêtée sur six comptes en particulier et a tenté d’entrer en contact avec leurs détenteurs pour leur permettre d’expliquer comment leurs comptes ont été alimentés. Parmi les détenteurs de ses comptes, un chocolatier bien connu en Algérie, un influent homme d’affaires, un chef activiste de la Révolution et un intermédiaire d’affaires en détention préventive dans l’affaire de l’autoroute Est-Ouest.
La législation algérienne interdit aux Algériens résidents de se constituer des avoirs monétaires, financiers et immobiliers à l’étranger à partir de leurs activités en Algérie. Une exception est expressément prévue par l’article 126 de l’ordonnance n°03-11 du 26 août 2003, relative à la monnaie et le crédit. Elle autorise les résidents devant assurer le financement d’activités à l’étranger complémentaires à leurs activités de production de biens et de services en Algérie à transférer des capitaux à l’étranger. La disposition n’est toutefois entrée en vigueur qu’à la fin 2014, date de publication par la Banque d’Algérie d’un texte réglementaire définissant les conditions préalables à l’octroi de cette autorisation. Cevital est le seul groupe privé à avoir été autorisé à transférer des devises pour financer son développement à l’international. Ainsi, tout résident algérien qui dépose de l’argent à l’étranger, sans être nécessairement lié à des affaires de corruption, fait entorse à la loi. Et des présomptions d’évasion fiscale peuvent alors planer sur ceux qui génèrent d’importants revenus en Algérie.
Une source proche de la Banque d’Algérie a estimé au sujet de ce listing algérien de HSBC Suisse que « l’existence à l’étranger de dépôts bancaires importants d’Algériens résidents pose un problème d’évasion fiscale bien plus qu’un problème de respect de la législation des changes ». Et d’ajouter : « Si des revenus générés par une activité en Algérie alimentent des comptes bancaires à l’étranger la première suspicion est qu’ils n’ont pas été déclarés aux impôts. Leur transfert à l’étranger ne peut dans ce cas se faire par le canal bancaire officiel. »
Les 10 millions du propriétaire de la marque Bimo
Amar Hamoudi et sa famille détenait en 2006-2007 dix millions de dollars dans un compte de HSBC Suisse ouvert dix années plus tôt. Amar Hamoudi, 66 ans, originaire de Boghni dans la wilaya de Tizi Ouzou, est le patron d’un des plus importants groupes privés du pays. Sa biscuiterie-chocolaterie, fondée en 1984 à Alger commercialise une multitude de produits sous la marque BIMO. Elle a d’importantes parts de marché en Algérie (35%) et exporte une partie de sa production. Amar Hamoudi est assisté dans la gestion du groupe par ses deux fils Yacine et Mehdi Sid Ali qui sont ses deux vice-présidents. Il a ouvert son compte à HSBC Suisse en février 1997. Ses deux enfants ainsi que son épouse, Baya Abbes, sont associés à ce compte. La famille est arrivée à porter la provision de ce compte à 10 millions de dollars américains. Selon une source à l’administration fiscale, le groupe Bimo, composé de quatre filiales (biscuits, chocolats, gaufrettes et cacao) a fait, durant les dix dernières années, l’objet de plusieurs redressements fiscaux.
Selon les documents consultés, le conseiller bancaire suisse d’Amar Hamoudi a noté, au passage de ce dernier à la banque en juin 2005, l’intérêt de son client pour les prix de transfert.
Les prix de transfert, selon la définition admise par l’OCDE, sont « les prix auxquels une entreprise transfère des biens corporels, des actifs incorporels, ou rend des services à des entreprises associées ». En clair, ce sont les prix des transactions entre filiales d’un même groupe et résidentes d’États différents. Un classique de l’optimisation des charges fiscales.
Amar Hamoudi gère aussi une société immobilière domiciliée en France. SCI Lyamaya est en activité depuis février 2003, son capital social est de 2,6 millions d’euros et elle est spécialisée dans la location de terrains et autres biens immobiliers. Le patron de BIMO n’a, en tout cas, pas manqué de parler de ses biens immobiliers à son banquier suisse : « J’ai vendu mon hôtel à Paris et acheté des appartements ». La famille Hamoudi que nous avons contacté a préféré ne pas donner suite à nos demandes d’explication.
Le frère du président du NAHD et son associé de NSC
Bachir Ould Zemirli détenait en 2006-2007 un compte HSBC pourvu de 5,6 millions de dollars. Bachir Ould Zemirli, 57 ans, est le frère de Mahfoud Ould Zemirli, actuel président du club de football algérois le NA Hussein Dey (Ligue1 professionnelle). Il est présenté dans le milieu du football comme le vrai décideur de ce club. C’est un homme d’affaires associé dans plusieurs entreprises en Algérie. Il dispose de plusieurs sociétés offshores également. Il est ainsi associé dans la Société algérienne des eaux minérales d’Oumalou (SAEMO) au capital social de 80 millions de DA (1 million USD) qui commercialise l’eau minérale Sidi Rached et réalise un chiffre d’affaires annuel de 220 millions de DA (3 millions USD). Sa plus importante affaire en France est la société immobilière SCI PATIO, créée à Paris en février 2012 au capital social de 1,3 millions d’euros. Il dispose d’une société offshore, Drilling Consultant Limited, domiciliée aux îles Vierges britanniques et d’un autre compte bancaire dans la filiale libanaise d’HSBC. Bachir Ould Zemirli n’a pas d’activités commerciales au Liban. Il n’est en tout cas pas inscrit au Registre du commerce de ce pays. Son associé dans la SCI PATIO est le transitaire Zakaria Rezgui, 55 ans, patron de la SARL North Star Consulting. Zakaria Rezgui dispose de deux comptes à HSBC Suisse. Les deux comptes ont été ouverts au nom de sa société North Star Consulting. En 2006, ils étaient provisionnés respectivement de 592.254 USD (4,5 milliards de centimes environ) et 278.431 USD (2 milliards de centimes de dinars environ). Soit un total de 870 685 USD (6,5 milliards de centimes environ).
Bachir Ould Zemirli et Zakaria Rezgui se sont avérés injoignables pendant notre enquête.
Le héros de la bataille d’Alger
Yacef Saadi disposait en 2006-2007 de 400.762 dollars américains (3 milliards de centimes environ, suivant le taux de change de l’époque) sur un compte de la filiale suisse de HSBC.
Chef de l’organisation militaire du FLN à Alger de septembre 1955 à septembre 1957, Yacef Saadi a ouvert ce compte en avril 2006 selon le listing divulgué par le consortium international des journalistes d’investigation. Il était propriétaire de la boîte de production cinématographique Casbah Films qui a produit un seul film, La bataille d’Alger, où Yacef Saadi joue son propre rôle pendant la guerre de libération nationale, celui de chef de la zone autonome d’Alger. Il est l’auteur d’un livre en trois tomes :La bataille d’Alger, paru en 1997 chez Casbah Editions et tiré à plusieurs milliers d’exemplaires. Il bénéficie d’une pension de moudjahid et il a eu à toucher une indemnité de sénateur, désigné comme membre du Conseil de la nation au titre du tiers présidentiel en 2001 pour un mandat de six ans qui n’a pas été renouvelé. La personne qui gère l’agenda de Yacef Saadi a indiqué qu’il était « fatigué » et qu’il ne recevait« pas de visites » au moment où nous l’avons sollicité pour les besoins de cette enquête.
Un des hommes clés du scandale de l’autoroute Est-Ouest
Le nom de Sid Ahmed Tadjeddine Addou, 50 ans, figure sur le listing HSBC dont dispose Maghreb Émergent. Nous disposons également d’une partie des flux vers ses deux comptes mais pas de leur solde. Cet homme d’affaires originaire de Tlemcen poursuivi pour association de malfaiteurs, trafic d’influence, corruption et blanchiment d’argent est en détention préventive depuis 2009 dans le cadre de l’affaire de l’autoroute Est-Ouest. C’est un proche du ministre Amar Ghoul.
Comme le précise le document judiciaire rendant compte de la commission rogatoire envoyée en Suisse, le nom de Sid Ahmed Tadjeddine Addou est lié à deux comptes ouverts à HSBC Suisse aux noms de deux sociétés domiciliées aux iles vierges britanniques, Rubato Holdings Limited et Merland Limited. Ces deux sociétés auraient servi, selon les conclusions du magistrat instructeur en charge de l’affaire de l’autoroute Est-Ouest, à dissimuler les transactions fictives qu’aurait conclues Sid Ahmed Tadjeddine Addou avec le groupe canadien SM International Inc. et le groupe portugais COBA. Ces deux entreprises internationales ont fourni des services de contrôle externe de qualité et de topographie dans le cadre de la réalisation de l’autoroute est-ouest grâce à son intermédiation avec les Chinois de CITIC-CRCC qui ont réalisé les lots centre et ouest de l’autoroute est-ouest.
SMI a versé les 5% convenus avec Sid Ahmed Tadjeddine Addou, en cinq tranches, sur le compte de la société Rubato. Cinq virements pour un total de près de 620.000 USD. Les portugais de COBA, eux, ont viré 186.000 euros (près de 240.000 USD, Ndlr) sur le compte de l’autre société, Merland. Les commissions rogatoires envoyées en suisse font également état de mouvements de fonds que le prévenu n’a pas pu justifier durant l’instruction. Comme les 4,25 millions USD virés le 26 février 2009 à partir du Crédit Suisse ou le transfert de 1 million USD à partir d’un de ses deux comptes à la HSBC vers un compte domicilié à Rome, dans la banque italienne Banca Ubae Spa. Un montant que le prévenu affirme avoir prêté à un ami qatari, Mohamed el-Sebaï, en charge d’un projet immobilier au Liban.
Les avocats de Sid Ahmed Tadjeddine Addou ont plaidé devant la Chambre d’accusation que les charges ne sont pas constituées du fait que la relation d’affaires entre leur client et les groupes susmentionnés relève du domaine de la sous-traitance entre entreprises privées étrangères et ne tombe pas sous le coup de la législation algérienne. Le procès de l’affaire de l’autoroute est-ouest est prévu pour le 25 mars prochain.
Djilali Mehri, un des hommes d’affaires les plus influents d’Algérie
Le solde du compte de Djilali Mehri chez HSBC Suisse en 2006-2007 est encore indisponible à ce stade de l’enquête. Djilali Mehri est l’une des plus grosses fortunes d’Algérie. Il est associé avec le groupe français Accor dans la Société immobilière et d’exploitation hôtelière algérienne (SIEHA), une société au capital social d’un milliard de DA (125 millions USD), mise sur pied pour construire trente-six hôtels sous les marques Ibis, Novotel et Etap à travers plusieurs régions du pays. Djilali Mehri est présent aussi dans le secteur agroalimentaire à travers la société Atlas Bottling Corporation Pepsi qui détient la licence Pepsi-Cola en Algérie. 33% des parts de cette société ont été cédées en mai 2014 au fond d’investissement Emerging Capital Partners (ECP).
Djamel Mehri, fils de Djilali, associé à ce compte ouvert au nom de son père, a expliqué que leur groupe est présent aussi bien en Algérie qu’en France, aux États-Unis, à Dubaï et au Sénégal, pour ne citer que ces pays. « Je ne peux vous dire comment ce compte est alimenté, c’est privé. Mais, vous devriez savoir que nous avons des biens et des participations un peu partout à travers le monde. Ce n’est pas un secret. Notre groupe est actif depuis des années dans l’industrie, l’agriculture, l’hôtellerie et l’immobilier. Nous travaillons dans la transparence et nous payons nos impôts. Ici en Algérie, toutes nos opérations passent par la Banque centrale. Notre groupe est peut-être le groupe privé qui apporte le plus de devises pour financer des investissements dans le pays. Personnellement, je suis binational (franco-algérien, Ndlr), résident à l’étranger, je ne suis ni fonctionnaire ni politique et je ne suis pas concerné par cette interdiction de se constituer des avoirs à l’étranger », a-t-il déclaré.
L’homme d’affaire algérien dispose d’un réseau de contacts bien au-delà du monde des affaires. Il a eu ainsi à contribuer à la conclusion des accords de paix entre la Libye et le Tchad en 1989, des accords qui ont été signés dans sa résidence dans les Yvelines, en France. Ce qui lui avait valu d’être décoré par le défunt Guide libyen Mouammar El Kadhafi et le président tchadien Hissène Habré.
Djilali Mehri a néanmoins été cité dans un scandale de corruption, impliquant le numéro un mondial des réseaux de téléphonie mobile, Ericsson, qui aurait versé des pots-de-vin à des hommes politiques à la fin des années 1990, afin de remporter des contrats. Cette affaire a été déclenchée après la divulgation de courriers internes d’Ericsson et aussi des documents soumis par la banque suisse UBS à l’administration fiscale suédoise dans le cadre d’une enquête fiscale sur l’équipementier de téléphonie. Selon la radio publique suédoise, Sveriges Radio (SR), le milliardaire algérien Djilali Mehri aurait reçu des virements de la part d’Ericsson entre 1997 et 2002, période où il avait assuré un mandat parlementaire à titre d’indépendant : selon la même source, 20 millions de couronnes (2,4 millions USD environ) lui ont été versés pour la seule année 1999. Le nom de Djilali Mehri est associé aux contrats GSM de Algérie Télécom. A propos de cette affaire, Djamel Mehri a expliqué : « Nous avons apporté un droit de réponse à l’époque. C’était à un moment où mon père était député. On ne peut faire du business en étant politique en Suède et c’est à cause de cela que son nom a été cité et une enquête a été ouverte à son sujet. Mais les choses étaient différentes en Algérie, où mon père est connu beaucoup plus par son business. Nous étions les représentants d’Ericsson en Algérie et nous avions des contrats dans ce sens. Tout était transparent. La preuve est que cette enquête n’a abouti à rien ».