Franck Pucciarelli est le porte-parole en France et en Europe du mouvement kadhafiste qui se réorganise. Dans une interview exclusive à Mondafrique il expose la vision des fidèles du feu Guide Libyen. D’après eux, la Libye est occupée et le salut viendra de la survivance de l’esprit de la révolution verte
Mondafrique. Trois ans après les insurrections armées en Libye et le renversement de Mouammar Kadhafi, comment ses fidèles analysent-ils la situation actuelle ?
Franck Pucciarelli. Il est clair qu’ils parlent d’occupation du pays par les islamistes appuyés par l’OTAN et l’Occident. Il faut lutter pour la libération du pays. Contrairement à ce que les média français et occidentaux disent, il existait déjà en 2011 un grand soutien populaire pour Mouammar Kadhafi. Le peuple libyen était derrière lui. J’ai moi-même été témoin de manifestations énormes mais elles n’ont bien sûr pas été relayées par Al Jazeera. Ce sentiment n’a pas changé et la situation de chaos qui perdure depuis sa chute l’a même renforcé.
Le simulacre de démocratie à Tripoli interdit la création d’un parti qui se dirait dans la lignée de la Jamahiriya arabe libyenne, ce courant qui a été majoritaire pendant des décennies. Tant qu’ils seront au pouvoir, la Libye sera sous l’occupation de milices financées par des parrains internationaux.
Mondafrique. Les Kadhafistes développent une rhétorique anti islamiste pour dénoncer les milices de la Brigade du 17 février et Ansar al Charia, mais aussi le rôle du Qatar. La montée en puissance du laïc Général Haftar, soutenu par les Etats-Unis, pourrait vous faire concurrence, cela ne vous inquiète pas ?
F.P. C’est de la poudre aux yeux. Lorsque Général Haftar s’attaque à la Brigade du 17 février, il s’attaque à l’influence du Qatar qui est jugée excessive par les islamistes eux-mêmes. En réalité ce n’est pas l’ennemi de l’islamisme. Pour s’en convaincre il suffit de voir qu’il n’entreprend aucune manœuvre militaire à Derna, Syrte ou Misrata qui sont pourtant des bastions islamistes.
Notre lecture c’est qu’il y a un consensus entre Abdelhakim Belhadj, Ali Zeidan et le Général Khalifa Haftar pour former un gouvernement. L’intérêt de Zeidan est évident, il veut revenir. Pour Abdelhakim Belhadj, c’est l’occasion de se débarrasser de la concurrence avec les miliciens du 17 février et d’être le seul interlocuteur du Qatar. Par ailleurs, pour les trois il était important d’envoyer un message aux séparatistes de Cyrénaïque qui contrôlent les puits de pétrole.
Mondafrique. Votre mouvement a perdu une de ses têtes avec l’arrestation de Saadi Kadhafi début mars. Existe-t-il toujours une opposition kadhafiste qui pèse ?
F.P. Nous venons de créer le Parti vert pour nous réorganiser. Saadi représentait le côté militaire mais il ne faut pas oublier que les Kadhafistes ce sont 2,5 millions de personnes exilées et des chefs tribaux ralliés à la cause. Aujourd’hui être appelé Kadhafiste est devenu péjoratif mais il faut se souvenir qu’en 1969, quand le Colonel Mouammar Kadhafi prend le pouvoir, il réussit à unir les tribus et à créer une nation. L’esprit de la révolution verte n’a pas disparu et l’opposition est bien là.
Nous sommes au tout début de la réorganisation. Nous faisons un appel au ralliement et aux soutiens diplomatiques. Les hauts responsables du mouvement, anciens diplomates et hauts fonctionnaires qui sont restés fidèles cherchent à faire le bilan de ceux qui ont trahi. En parallèle nous voulons que l’ONU et l’UNHER (programme des Nations Unies pour les réfugiés) reconnaissent le statut des exilés. L’opposition kadhafiste fait peur. En reconnaissant son existence et son poids, les occidentaux savent que le pouvoir central va être fragilisé. Nous ne sommes pas dans une démarche militaire et il y a beaucoup à faire politiquement.
Mondafrique. Ces derniers mois la Libye a été témoin d’un véritable bras de fer entre d’un côté l’émir autoproclamé de Cyrénaïque, Ibrahim Jedran et le pouvoir central et les islamistes de l’autre. Est-ce que cette défiance vis-à-vis du pouvoir central a été vue comme une opportunité pour les Kadhafistes ?
F.P. Selon nous, il s’agit surtout d’une configuration tribale. Cette opposition est la réalisation de ce que le Guide avait prévu : chaos, islamisme, pillage occidental. Quant à Jedran, il n’a pas la puissance qu’on lui prétend. Il n’a pas obtenu de consensus et ne cherche même pas à convaincre la majorité du pays. Notre vision n’est pas la sienne. Le mouvement vert défend l’idée d’une nation libyenne unie et certainement pas d’un renforcement des divisions avec une menace de partition.
Mondafrique. L’élection du Général al-Sissi en Egypte est une aubaine pour les Kadhafistes et une mauvaise nouvelle pour les islamistes, Frères musulmans en tête. Pour votre camp, une nouvelle étape vers la reconquête du pouvoir a été franchie ?
F.P. La chute de Morsi a été un grand soulagement pour nous. Depuis lors, notre chaine de télévision, Green TV, émet depuis l’Egypte. Sissi est un nassérien et nous avons donc des ennemis communs. Il a réussi à régler le problème des Frères musulmans en Egypte et il sait que personne d’autre que les Kadhafistes ne peut faire la même chose en Libye.
Mais il n’y a pas que l’Egypte. L’Algérie, l’Afrique du Sud, le Venezuela et la Russie soutiennent notre cause. Ces pays sont légalistes contrairement aux occidentaux, ils voient bien qu’il y a une injustice et que le peuple libyen est derrière nous.
Mondafrique. D’après vous, quel rôle jouent les chancelleries occidentales dans le dossier libyen ?
F.P. La propagande de Al Jazeera a bien fait son travail. Le mandat des Nations Unies a été copieusement violé par les forces de l’OTAN et ce sont les occidentaux qui ont donné le pouvoir aux islamistes et à leurs alliés. La France, elle, avait misé sur Ali Zeidan, maintenant ses faveurs vont plutôt à l’islamiste Belhadj. Il faut bien comprendre que les pays de l’Ouest qui ont participé à la destruction du pays ont aujourd’hui des intérêts importants en Libye. Les plus grandes sociétés ont été privatisées, ça représente des milliards de dollars pour les investisseurs. L’Union européenne continue à se féliciter de la transition démocratique parce que la Banque centrale européenne est entrée dans la Banque centrale libyenne, c’est aussi simple que ça.
Nous avons bien essayé de rencontrer des officiels français, mais nos demandes ont presque toujours été sans réponse. Alors que Abdelhakim Belhadj, par ailleurs impliqué dans des procédures judiciaires de crimes de guerre en France, fait des allers-retours en France, nous n’avons pu voir qu’une seule fois des représentants du Quai d’Orsay et ça n’ a rien donné. La diplomatie française est calquée sur celle des Etats-Unis. Apparemment, ils n’ont toujours pas compris que les jihadistes du Mali venaient de Libye.