En Côte d’Ivoire, des lanceurs d’alerte politisés

Profitant d’un internet bon marché et d’une caporalisation des médias publics par les gouvernants, les lanceurs d’alerte ont aujourd’hui un impact réel sur les populations en Côte d’Ivoire. Mais la plupart d’entre eux sont manipulés et leurs sources d’informations ne sont jamais indépendantes, encore moins leurs cibles jamais choisies au hasard.

Correspondance à Abidjan, Bati Abouè

En Côte d’Ivoire, les lanceurs d’alerte ne sont pas des informateurs neutres. Certains travaillent en effet directement pour le gouvernement et sont généralement des militants ou des sympathisants du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), le parti au pouvoir. D’autres sont carrément fichés comme des activistes opposants reconnus dont les alertes visent à déstabiliser le président sortant et obtenir un changement de régime.

Cette situation a poussé le gouvernement ivoirien à durcir la répression des infractions commises sur internet. La loi sur la cybercriminalité vise particulièrement les escroqueries en ligne ainsi que les menaces d’attaques d’ampleur. Mais elle vise aussi toute déclaration à caractère insurrectionnel, ce qui a souvent servi de prétexte au gouvernement pour porter atteinte à la liberté d’expression dans le pays.

La traque des infractions en ligne

La création de la Plateforme de lutte contre la cybercriminalité (PLCC) permet en effet de traquer toutes sortes de trafics en ligne mais aussi les actes qui portent atteinte à la dignité d’une personne. A ce titre, elle reçoit de plus en plus de plaintes de citoyens anonymes ou des personnes publiques. L’une des dernières personnalités publiques à avoir eu recours à elle est le président du Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (Cojep). Accusé d’avoir reçu de l’argent de la présidence ivoirienne, Blé Goudé a porté plainte contre l’auteur de la déclaration, Cissé Seint, un lanceur d’alerte plutôt proche de Guillaume Soro, l’ex-chef de la rébellion et ancien Premier ministre d’Alassane Ouattara.

Avant Blé Goudé, Simone Gbagbo, l’ex-épouse de Laurent Gbagbo et ancienne Première de dame de Côte d’Ivoire avait fini par avoir la peau de sa détractrice la plus acharnée, Arlette Zaté, une autre lanceuse d’alerte proche de Laurent Gbagbo grâce à cette plateforme. Cette dame d’une cinquantaine d’années passait son temps à l’injurier sur les réseaux sociaux. La PLCC a également réussi à mettre sous le verrou un autre lanceur d’alerte connu sous le nom de Peter 07, un ancien gendarme qui a déserté l’armée durant la crise postélectorale et dont le nom à l’état-civil est Pierre Assalé Niangoran.

Des activistes défendant des lignes politiques

Lui et d’autres auraient tenu des propos portant atteinte à la sûreté de l’Etat, a estimé le gouvernement en relisant ses différents propos tenus sur les réseaux sociaux. Mais l’Etat a également ses propres lanceurs d’alerte qui sont en réalité des activistes proches de son régime. Ces derniers cachent leurs positions politiques mais passent leur temps à afficher les réalisations du gouvernement et à faire de la propagande pour le régime, en comparant lesdites réalisations à celles existant en Europe. Parfois, ces activistes n’attendent pas la réalisation de l’ouvrage et postent les photos de chantier en cours de réalisation accompagnées de commentaires dithyrambiques.

Mais il y a aussi ceux qui ont un rôle de spadassin et dont le travail est de croiser le fer avec les acteurs de l’opposition. Le plus connu d’entre eux s’appelle Johnny Patecho, un ancien gendarme ivoirien qui cache son vrai nom Christ Koukougnon sous ce pseudonyme. Il s’est donné le droit de déconstruire les personnalités publiques sur les réseaux sociaux. En raison de ses succès, il a finalement été recruté par le régime. Depuis, il s’attaque désormais à Laurent Gbagbo, l’ex-président ivoirien dont il défendit autrefois le régime en tant que gendarme avant de retourner sa veste.

Johnny Patcheco a pour contrepoids Chris Yapi, un autre lanceur d’alerte perçu aujourd’hui comme un activiste proche de Guillaume Soro. Il signe toujours ces posts de la même façon « Chris Yapi ne ment pas » qui est la seule façon de donner du crédit à des informations pour la plupart invraisemblables.

Les lanceurs d’alerte servent aussi à casser les manifestations sociales qui sont défavorables au gouvernement. Pour ce faire, ils dépeignent les revendications des grévistes comme maximalistes ou comme celles de personnes manipulées par l’opposition.