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La France au Sahel, l’histoire d’un fiasco annoncé

Le Président français, Emmanuel Macron, cherche une porte de sortie à l’engagement français au Sahel. Encore faut-il que le retrait des militaires n’apparaisse pas comme un abandon des alliés africains de la France, ni comme un désaveu des armées tricolores.

Lors du sommet de Pau organisé par la France en janvier 2020 , Emmanuel Macron était apparu comme ce chef de guerre conquérant qui, non sans arrogance, sermonnait ses alliés africains pour les rappeler à leurs obligations militaire. La manière dont il les avait « convoqués » avait déplu même au fidèle ami de la France qu’est le tchadien Idriss Déby, mais l’annonce de l’envoi de quelques centaines de militaires supplémentaires avait calmé finalement les susceptibilités.

« Papa Hollande » au Mali

Voici un an, Emmanuel Macron croyait encore à des avancées sensibles dans la fameuse guerre contre le terrorisme entamée au Mali en 2013 par son prédécesseur François Hollande. Lorsque ce dernier se déplace à Bamako où des pancartes portent aux nues « Papa Hollande », le président français est persuadé de vivre « le plus beau jour de sa vie politique » .

Lors des voeux début 2021 d’Emmanuel Macron aux forces armées, la posture était la même, même si par des confidences ciblées, l’entourage présidentiel et certains hauts gradés posaient la question de l’avenir de la présence française. Le Président français s’était, une fois deplus, laissé aller sur un ton triomphaliste à plaider en faveur de cette guerre contre le terrorisme. « La gangrène islamiste s’insinue partout où sévissent la misère et le manque d’éducation. Nous ne faiblirons pas car il s’agit de l’avenir de l’Afrique et donc de notre propre avenir ». 

Et le Président français d’ entonner le refrain inusable brandi par les chefs de l’armée française face à François Hollande en 2013 sur le risque d’attentats commis en France par des terroristes sahéliens, avant de conclure:« Les résultats sont là ».

Ce qui est cocasse, c’est de voir tout récemment encore un Bernard Emié, patron de la DGSE (services extérieurs français), s’exprimer aux cotés de la ministre des Armées, Florence Parly, et reprendre le story telling éculé des chefs militaires, en jouant sur la peur des populations. « L’objectif assumé des terroristes sahéliens, proclamait-il, est de mener des attentats en Occident, et en Europe en particulier. Le 13 novembre 2015, date de l’attaque du Bataclan en France, a été conçu dans les rues de Raqqa (Syrie) ».

Sauf que depuis le début de l’intervention française au Mali, pas un attentat n’a été commis en France et en Europe provenant d’un mouvement terroriste du Sahel. Le groupe de Raqqa en Syrie qui a inspiré les attentats en France en 2015 n’a rien à voir avec les groupes armés au Mali qui ,encore récemment, négociaient, contre de l’argent, la libération de trois otages, dont une française.

De l’obstination à l’entètement

« Les résultats sont là », assure Macron. Quels résultats? Dans un contexte marqué par la permanence des groupes armés au Mali, qu’ils soient d’inspiration djihadiste ou ancrés au sien d’un ethnie ou d’un territoire, une telle auto satisfaction tombe mal. Le 15 janvier, soit deux jours avant les voeux de Macron, une attaque djihadiste au Mali a encore provoqué la mort de 37 victimes, dont une grande majorité de Touaregs. Deux villages ont été attaqués par des hommes armés apparentés à « l’État islamique dans le Grand Sahara », qui ont exécuté des combattants du Mouvement pour le salut de l’Azawad ainsi que des civils.

Plus grave, lors des frappes de l’armée française qui ont atteint, le 3 janvier dernier, une noce qui se tenait à Bounti au centre du Mali, des dizaines de personnes ont été ciblées et tuées dans une région infiltrée par des groupes armés qui y possèdent quelques utiles relais. La version de l’armée française voudrait que seuls des terroristes aient été atteints ce jour là, ce qui est de plus en plus invraisemblable. Aussi bien des journalistes de RFI ou de France Inter que de nombreuses ONG ont recueilli de multiples témoignages de civils dont les proches, sans aucunes attaches terroristes, ont trouvé la mort.

Épais silences médiatiques

Tout aussi grave, les liquidations de Peuls au centre du Mali se poursuivent dans l’indifférence générale et avec l’appui tacite des armées locales qui laissent faire, voire soutiennent, les raids des milices meurtrières. Le Mali n’est pas le seul pays touché par une véritable menace de guerre ethnique. Lors d’un attentat en Côte d’Ivoire, ce sont les Peuls qui ont été désignés comme les instigateurs de l’acte terroriste.On peut s’étonner de l’inaction de l’armée française présente sur place au motif que leurs mission ne concerneraient que la menace terroriste

Les drames qui assombrissent « les succès » de l’armée française depuis neuf ans et minent l’image de la France dans ces pays amis sont peu ou pas relayés par les médias français. Pour peu qu’aucun soldat français ne soit atteint, et l’actualité du Sahel rencontre généralement un lourd silence médiatique?

Ligne de crête

La France s’est voulue sous Hollande puis sous Macron le gendarme du Sahel. Comment aujourd’hui sortir du terrible guépier? La présence française mobilise en effet des moyens très lourds. La force Barkhane comprend en effet 4500 soldats français présents en permanence sur le terrain-ce qui équivaut à quatre ou cinq fois plus si on comptabilise les rotations des postes et la logistique nécessaires pour assurer une telle permanence. Emmanuel Macron ne s’y est pas trompé. Dès l’été qui a suivi son élection, il tentait, mais sans succès, de limiter les budget des « Opérations Extérieures », en écartant le chef d’état major qui contestait le principe.de toute réduction des dépenses

Rentré dans le rang face au lobbying de l’armée française, véritable vache sacrée du débat politique français, le président français n’a pas cessé depuis de rechercher des bonnes âmes pour partager le fardeau financier.

Première étape, une aide de quelques 400 millions d’aides aux armées africaines a été actée, qui devait être financée notamment par nos amis séoudiens . Près d’un quart des fonds ont été attribués, et encore avec beaucoup de pertes en ligne en raison des commissions que les régimes en place prennent sur les contrats d’armement.

Dans un deuxième temps, le Président français a trouvé d’autres éléments de langage pour expliquer les insuffisances françaises. Que les partenaires européens, a-t-il exigé avec insistance, envoient des renforts aux cotés de l’armée française-ce qu’ils ont fait au compte gouttes en envoyant 1400 soldats estoniens, suédois ou tchèques au sein de la Task force « Takuba ». . Et que l’armée américaine, demande également Emmanuel Macron, nous vienne en aide, notamment en matière de renseignement et de ravitaillement de nos avions- une aide dont le nouveau président américain, Jo Biden, n’a pas encore confirmé la poursuite, au grand désespoir de la ministre des Armées, Florence Parly.

Un non événement

Un Emmanuel Macron bien seul se retrouve face à une redoutable alternative. Soit l’armée française se retire rapidement, mais avec le double risque d’un embrasement du Sahel et d’une colère froide de l’armée tricolore dont le poids au sein de la société française est considérable. Soit la France maintient son effort militaire, mais avec l’inconvénient majeur de plomber ses finances publiques, alors que l’opinion publique, jusqu’à présent, n’est plus majoritairement favorable à une présence militaire au Sahel..

Précédé par une intense campagne de communication, le sommet de N’Djamena, les 15 et 16 février, devrait annoncer le retrait d’une partie du contingent français, tout en dessinant les nouveaux contours de la politique française en Afrique sub saharienne. Emmanuel Macron, pris à la gorge par la crise sanitaire et économique, n’a pas forcément envie d’ouvrir un nouveau front dans la perspective de la campagne présidentielle de 2022. L’épidémie du Covid est venue à son secours, lui qui a pu se soustraire à une présence effective au Tchad sous couvert sanitaire.  

La grand messe virtuelle de N’Djamena pourrait juste être un non événement.

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