Depuis 2016, l’armée française s’est rendue complice de centaines d’exécutions arbitraires contre des civils en Egypte. Les faits, révélés par Disclose en novembre dernier, sont graves : ils pourraient engager la responsabilité de la France dans de possibles crimes contre l’Humanité commis par la dictature du maréchal Abdel Fattah Al-Sissi.
Malgré l’intérêt public de ces informations, leur retentissement international et les interpellations d’ONG, de membres du Congrès américain et de plusieurs parlementaires français, le gouvernement refuse de rendre des comptes… quitte à bâillonner le débat démocratique.
La farce de « l’enquête interne »
Quelques jours après nos révélations sur les dérives de l’opération Sirli, Bastien Lachaud, député de la France insoumise, interpelle le Premier ministre, Jean Castex, à l’Assemblée nationale. « En Égypte, la France a fourni des renseignements au régime Al Sissi qui s’en est servi pour se livrer à des bombardements sur des civils (…) Monsieur le Premier ministre, expliquez-vous ! »
Florence Parly, la ministre des armées, lui répond. « Au vu de ses révélations, j’ai demandé qu’une enquête interne approfondie soit déclenchée (…) Elle devra vérifier que les règles qui avaient été fixées et les mesures qui avaient été prises pour qu’elles soient appliquées ont été effectivement mises en œuvre ». Qu’en est-il trois mois plus tard ?
Selon le ministère des armées, sollicité par Disclose, l’enquête est terminée. Sans surprise, elle affirme que l’opération Sirli n’aurait donné lieu à aucune dérive : « Les conclusions de l’enquête interne demandée par la ministre des armées au chef d’état-major des armées démontrent que la mission a fait l’objet d’un cadrage clair et que des mesures préventives strictes ont été mises en place », assure le ministère.
Comment conclure à un « cadrage clair », alors que les documents que nous avons publiés révèlent justement qu’il n’existe aucun accord encadrant l’opération ? Un problème qui a d’ailleurs été signalé à plusieurs reprises par les militaires sur place. En janvier 2019, la cellule Afrique de l’Elysée a même cru bon d’interpeller Emmanuel Macron sur la « nécessité » de fixer « un cadre juridique solide » à la mission.
Dans sa réponse à Disclose, le ministère des armées indique également que « la prévention d’un éventuel risque de dérive a fait l’objet d’un suivi dans la durée ». Mais alors, comment des militaires français se sont-ils retrouvés impliqués dans au moins dix-neuf bombardements contre des civils égyptiens, entre 2016 et 2018, comme l’indiquent leur rapport de mission ? Mystère… l’enquête interne est classée « secret-défense ».
D’un côté, le gouvernement s’enferre dans le déni, donc. De l’autre, il poursuit la traque de nos sources.
Le ministère des armées indique en effet à Disclose qu’il se tient à la disposition de la justice pour lui apporter « sa pleine collaboration » dans le cadre d’une plainte déposée en novembre. Celle-ci a conduit à l’ouverture d’une enquête judiciaire contre X pour compromission du secret de la défense nationale. Selon nos informations, le dossier a été confié à la section des affaires militaires et atteintes à la sûreté de l’Etat du parquet de Paris.
L’opération Sirli, selon le site Intelligence Online. Une information que le gouvernement n’a pas démentie.
Le parlement verrouillé
A la suite de nos révélations, une poignée de parlementaires ont tenté de jouer leur rôle de contrôle de l’action du gouvernement, comme les y invite l’article 24 de la constitution. Sans succès.
Le 23 novembre, les députés de la France Insoumise ont proposé de débattre de l’ouverture d’une commission d’enquête sur les dérives du partenariat avec l’Egypte. Une demande balayée par le groupe de La République en marche : les élus de la majorité ont refusé de mettre la requête à l’ordre du jour des débats. Les députés Insoumis n’ont pas insisté – des leviers tels que les « niches parlementaires » et les « semaines de contrôle » leur auraient pourtant permis d’imposer le sujet.
Au Sénat, c’est l’élu Europe Ecologie les Verts (EELV) Guillaume Gontard, qui s’est vu refuser la même demande par la majorité des membres du bureau, essentiellement composée d’élus Les Républicains et de centristes. Le président de la commission des affaires étrangères et de la défense, Christian Cambon (LR) assume s’être personnellement opposé à la requête. « On n’aurait rien pu faire. Ni obtenir la comparution de responsables ni contrôler sur place », justifie le sénateur du Val-de-Marne.
Selon nos informations, le gouvernement aurait également fait pression pour que l’enquête ne se fasse pas. « On nous a fait comprendre que la stabilité de l’Egypte dans la région est essentielle et que cela nécessite de passer sous silence des questions en lien avec les droits de l’Homme », confirme un sénateur, lui aussi membre de la commission défense, joint par Disclose.
Dernier recours : la délégation parlementaire au renseignement, dont les huit membres habilités « secret-défense » peuvent exiger des explications au gouvernement. Une demande a été faite en ce sens auprès de la ministre des armées. Encore raté.
Dans sa réponse datée du 20 janvier 2022 que Disclose s’est procurée, la ministre s’est dite « très heureuse » de pouvoir « échanger avec les membres de la délégation parlementaire au renseignement (…) afin de répondre aux questions [qu’ils souhaiteront] aborder ». Elle précise qu’elle « ne pourrai[t] toutefois évoquer l’opération Sirli ». En cause, selon elle, l’ordonnance du 17 novembre 1958 qui ne permet pas d’aborder « les opérations en cours » devant les assemblées.
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