Dix ans après, l’hiver arabe a succédé au printemps!

Les espoirs de démocratie du printemps arabe sont été balayés par le retour de forces sécuritaires plus répressives que les dictatures d’hier. Au détriment du débat essentiel sur l’islam politique qui fut engagé utilement dans les années 2011-2012 

On a cru, voici dix ans à un embrasement révolutionnaire dans le monde arabe et musulman. Or il ne s’agissait que de soulèvements populaires qui n’ont pas modifié en profondeur les rapports de force au sein de ces pouvoirs forts.

RENDEZ NOUS BEN ALI !

Les derniers journalistes en liberté harcelés, les femmes et les homosexuels maltraités dans les commissariats, le fils du Président égyptien engagé en personne dans des services de sécurité brutaux, l’armée égyptienne, plus prospère que jamais, qui investit massivement dans des projets immobiliers pharaoniques, une surveillance policière omniprésente: voici la réalité de l’Egypte d’aujourd’hui qui ferait presque regretter  les années Moubarak où la répression était graduée et où l’armée « républicaine », ou supposée telle, s’élevait contre le népotisme du chef de l’Etat en refusant de voir son fils lui succéder.

Sans une Tunisie au bord de l’effondrement économiques où le mouvement islamiste Ennahdha est parvenu à s’imposer depuis 2011 au coeur du pouvoir, le bilan n’est pas plus brillant. Ces jours ci, des émeutes ont éclaté dans plusieurs villes tunisiennes pour célébrer l’anniversaire du printemps tunisien. Beaucoup de Tunisiens  évoquent avec nostalgie le rêgne du dictateur Ben Ali, transformé en image d’épinal. On veut croire qu’alors  les jeunes trouvaient de l’emploi, l’économie était prospère et les terroristes en prison. 

Triste anniversaire où l’on voit les médias français verser une larme sur ces espoirs enterrés, en évoquant ces groupes joyeux de jeunes  qui, place Tahrir ou avenue Bourguiba, réclamaient la liberté et la démocratie. Plus complexe, le débat sur l’échec du printemps arabe ne se limite pas pourtant à dénoncer les innombrables atteintes aux droits humains  auxquelles on assiste désormais; .

L’ISLAM POLITIQUE AU COEUR

Comment passer sous silence que le printemps arabe fut d’abord l’espoir d’intégrer l’islam politique, que l’on condamne souvent à Paris sans autre forme de procès?  L’espoir n’était-il pas de parvenir dans un espace politique rénové à une agrégation des valeurs démocratiques et des traditions islamiques?

Ce débat décisif  fut vite abandonné, alors que des scrutins démocratiques permirent aux mouvements liés aux Frères Musulmans d’accéder au pouvoir, sans fraude ni violence, aussi bien à Rabat, qu’à Tunis ou à Tripoli, .

Ces expériences « islamistes » méritent-elles de se poursuivre? Là se trouve la fracture essentielle des sociétés arabes où s’opposent des opinions publiques très islamisées, qui aspirent à s’engager dans desorganisations politiques sans attaches avec les classes dirigeants  et des appareils sécuritaires qui ne veulent pas partager le pouvoir avec ces forces montantes.

Voici un quart de siècle, des désaccords radicaux sur l’intégration  du Front Islamique du Salut (FIS), ont provoqué « les années noires » algériennes avec 150000 morts à la clef.  C’est toujours ce refus de laisser les forces islamistes prendre le pouvoir qui est mis en avant par le syrien Assad ou l’égyptien Sissi. Leurs dictatures passent aux yeux de leurs soutiens internationaux comme  des remparts contre « le salafisme », « le djihadisme » et autres épouvantails

Les peuples arabes étaient prêts pour la démocratie en 2011. Leurs dirigeants, qui ne voulaient pas partager le pouvoir, ne l’étaient pas. 

 

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)