Côte d’Ivoire, les diasporas sahéliennes inquiètes de la crise de la CEDEAO

Acté par le dernier sommet des chefs d’Etat de la CEDEAO, organisé le 15 décembre 2024 à Abuja, au Nigeria, le départ du Burkina Faso, du Mali et du Niger de l’organisation sous-régionale sera effectif le  mercredi 29 janvier 2025. Les diasporas sahéliennes, qui constituent les plus fortes communautés étrangères en Côte d’Ivoire, attendent avec inquiétudes cette nouvelle étape porteuse de grandes incertitudes. (1/3: cet article est le premier d’une série de trois sur les diasporas sahéliennes en Côte d’Ivoire, au Bénin et au Togo, à la veille du retrait de l’AES de la CEDEAO).  

Correspondance à Abidjan, Bati Abouè 

A quelques jours des adieux entre les pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) et la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le silence des opérateurs économiques du Burkina Faso, du Mali et du Niger résidant en Côte d’Ivoire en dit long sur leur embarras et leur désarroi.  

« Je voyage beaucoup entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso dans le cadre de mes affaires, mais ce n’est pas le moment d’afficher une quelconque opinion. Mieux vaut laisser travailler la transition ».

Sollicité pour un entretien, y compris en off,  un ancien ministre burkinabè reconverti dans les d’affaires a mis plusieurs jours  pour faire cette réponse qui en dit long sur la prudence et même le refus de s’exprimer sur la décision des trois pays sahéliens de tourner la page de près 50 ans appartenance à la CEDEAO. Le contexte se prête d’autant moins à la prise de parole qu’un influenceur burkinabè du nom d’Alain Traoré plus connu sous le pseudonyme d’Alino Faso a été arrêté à Abidjan et emprisonné ; une brève interpellation au Niger, du directeur général de Canal+ Aziz Diallo, de nationalité ivoirienne, a suivi quelques jours plus tard.

3 millions de Maliens

Les relations entre les pays de l’AES et la Côte d’Ivoire ne sont pas au beau fixe. Et ces dernières semaines, elles semblent avoir sérieusement pris du plomb dans l’aile avec, d’un côté, les accusations répétées du capitaine Ibrahim Traoré sur les menaces de déstabilisation en provenance de la Côte d’Ivoire et, de l’autre, celles du chef d’Etat nigérien Abdourahamane Tiani mettant gravement en cause Abidjan qui serait en train de préparer une conjuration en complicité avec le gouvernement français et des opposants au régime militaire au pouvoir depuis le coup d’Etat du 26 juillet 2023. Des accusations qui n’ont jamais été étayées dans l’un comme dans l’autre cas. 

D’après l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), environ 3 millions de Maliens et autant de Burkinabè vivent en Côte d’Ivoire, au terme du recensement de 2021. Au total, les étrangers représentent 22 % de la population vivant en Côte d’Ivoire; parmi eux 700 000 Nigériens installés depuis de nombreuses années et bien intégrés.

Le divorce avec la CEDEAO, conséquence des coups d’Etat militaires enregistrés dans les trois pays de l’AES, pourrait désormais affecter leur routine. Mais à quelques jours de cette date fatidique, les dirigeants de l’AES tiennent à ce que les récentes mesures décidées par eux n’empiètent pas sur la libre circulation des personnes et des biens dans leur espace. C’était un des enjeux de la création de la CEDEAO le 28 mai 1975, à Lagos, au Nigeria.

Passeports CEDEAO encore valables

Dans un communiqué publié le jeudi 23 janvier 2025, le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont assuré qu’un passeport AES sera mis en circulation à compter du 29 janvier 2025, date de la rupture officielle. Toutefois, ajoutent-ils,  « les anciens passeports CEDEAO seront encore valables jusqu’à leur date d’expiration. »

Il n’est pas certain que des changements considérables vont être enregistrés après le mercredi 29 janvier. En tout cas, rien ne devrait changer du tout du côté de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) qui regroupe les pays qui ont en commun le Franc CFA qui est pourtant présenté comme le pire symbole de la domination coloniale et une grave atteinte à la souveraineté nationale par ceux qui cherchent à avoir le soutien des masses populaires africaines. Les trois pays de l’AES n’envisagent pas pour l’heure de se retirer de l’UEMOA.

Business avant tout

Toujours est-il que dans de telles conditions, il est difficile de se faire une opinion qui ne risque pas d’être mal perçue un jour de part et d’autre. Pour A.B, qui n’a pas souhaité donner son identité complète, le constat est le même partout. « Même ceux qui sont proches, assure-t-il, des différents pouvoirs n’ont pas envie de prendre le risque de prendre la parole » . Les trois pays sahéliens et leurs voisins ont des intérêts tellement entremêlés qu’il vaut en effet mieux ne pas être rattrapé demain par une quelconque prise de parole maladroite.

En tout cas, le nouveau président ghanéen John Mahamat Dramani n’a pas perdu le temps. Il a d’ores et déjà nommé, parmi les dix premières personnalités de son cabinet, le lieutenant-colonel à la retraite Larry Gbevlo-Lartey comme son envoyé spécial du Ghana pour l’AES.  Il est vrai que le voyage d’Ibrahim Traoré à son investiture, le 7 janvier 2025, a eu le mérite de clarifier l’intérêt mutuel pour les deux pays d’accentuer leurs échanges commerciaux, au moment même où Ouagadougou cherche à minimiser ses échanges commerciaux avec la Côte d’Ivoire, en désertant le port autonome d’Abidjan.

 Signe peut-être que les affaires imposeront à la l’AES et la CEDEAO de trouver des passerelles de coopération et d’échanges, en dépit de la séparation et des mauvaises relations.