Côte d’Ivoire, l’opposition interpelle le président de la commission électorale indépendante

À neuf mois de l’élection présidentielle, l’opposition ivoirienne continue de réclamer la prolongation de la révision de la liste électorale et de remettre en cause la neutralité de la commission électorale indépendante (CEI).

Correspondance à Abidjan, Bati Abouè

Le Président de la CEI, Ibrahime Coulibaly-Kuibiert et l’Ambassadrice de l’Union Européenne en Côte d’Ivoire, Francesca Di Mauro

Une polémique interminable. Alors que le dialogue politique reste toujours bloqué par le pouvoir ivoirien, l’opposition continue, de son côté, de réclamer la prolongation de la révision de la liste électorale à neuf mois de l’élection présidentielle prévue le 25 octobre prochain. Le président de la Commission électorale indépendante (CEI), Ibrahime Kuibiert-Coulibaly, est, pour ce faire, régulièrement pris à partie par les états-majors des partis politiques mais aussi sur les réseaux sociaux.

Et puisqu’il ne tarde pas, lui non plus, à répondre et à justifier le statu quo, il est devenu la figure centrale, aux yeux de l’opposition, de ce blocage qui risque d’entraîner le pays dans les violences, dénoncent les opposants. « Ce sera ta faute si le pays brûle !», accusent d’ailleurs régulièrement des activistes opposés à la gestion du parti présidentiel, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP).

Le poids de la pression

Ce parti s’est en effet ôté une énorme épine des pieds en reportant la pression du processus électoral sur la commission alors que, dans les faits, c’est bien lui et le président de la République qui peuvent promouvoir le dialogue inclusif réclamé par l’ensemble des acteurs, la CEI n’étant qu’une commission administrative sans autonomie particulière. Mais si l’opposition fait mine de ne pas voir l’ombre du président Ouattara derrière ce statu quo, c’est avant tout parce qu’elle refuse de se retrouver face à un régime autiste qui utilise l’arme de la répression pour se faire entendre.

A cet égard et pour lui permettre de sévir, l’’Assemblée nationale a fait voter, en 2024, une loi permettant de condamner toute personne qui conteste la légalité d’une décision de justice et se montre solidaire de celui qui en est la victime. Cette loi vise particulièrement les partisans de l’ancien président Laurent Gbagbo qui réclament son inscription sur la liste et qui pourraient, le cas échéant, se résoudre à des manifestations de contestation populaires.

De nombreux militants de l’opposition ont été appréhendés ces derniers mois sous ce prétexte avant d’être écroués. Les uns pour avoir lancé soit une manifestation contre la vie chère ou d’avoir soutenu ladite manifestation ; les autres pour avoir relayé des relations non vérifiées, ce qui est également le lot des partisans du pouvoir.

Un ancien ministre de Gbagbo en prison

Début octobre 2024, l’ancien ministre Rodel Dosso, secrétaire général adjoint du Parti des peuples africains (PPA-CI) en relation avec la société civile a été arrêté à son domicile de Bingerville, à 21 km d’Abidjan, et jeté en prison. Deux mois plus tard, Gala Kolébi, un sociologue reconverti en activiste proche du parti de Laurent Gbagbo a également été arrêté dans des conditions similaires, par des hommes portant des cagoules. Début janvier, « Alino Faso », un youtubeur burkinabè a été arrêté en Côte d’Ivoire et placé en détention à la maison d’arrêt et de correction d’Abidjan sans que l’on en connaisse les raisons. Selon des rumeurs qui n’ont pas été confirmées par des autorités ivoiriennes, son interrogatoire aurait permis d’arrêter d’autres personnes et d’éventer des éléments factuels d’un coup d’Etat.

De sorte que les opposants ivoiriens marchent sur les œufs et ne veulent pas risquer la prison comme c’est aussi le cas de deux personnalités proches de Guillaume Soro, l’ancien premier ministre de Laurent Gbagbo et d’Alassane Ouattara. L’une, Soumahoro Kando, un ancien député, a été arrêté pour avoir participé à une réunion de partis politiques le 9 août 2024 au siège du PDCI. La justice lui reproche de l’avoir fait alors que le parti qu’il a représenté, Générations peuples solidaires (GPS) est réputé dissous. Quant à Mamadou Traoré, il a été arrêté pour avoir posté des messages, mensongers aux yeux des autorités judiciaires, sur ses réseaux sociaux. Les deux hommes condamnés en première instance ont d’ailleurs vu leur peine confirmée en appel début décembre.

Incohérence de l’opposition

Mais à cette fuite de responsabilité s’ajoute un manque de cohérence de la part de l’opposition au sujet de la Commission électorale indépendante. La plupart des partis qui le font en effet savoir sont tous représentés à la CEI. Au point où le 21 novembre 2024, au terme de l’opération de révision de la liste électorale, c’est le représentant du PDCI à la CEI, Bamba Siaka qui s’est montré satisfait des 1,5 million de personnes enrôlées durant la dernière opération de révision de la liste électorale qui s’est achevée fin décembre 2024.

« La CEI se réjouit de l’adhésion de la population à cette nouvelle mesure mise en œuvre en accord avec les partis politiques ayant permis ce résultat », avait-il déclaré, ajoutant que « les données brutes enregistrées, qui représentent presqu’un quart du potentiel de nouveaux électeurs attendus, sont encourageantes, car elles sont, à titre de comparaison, en nette progression par rapport au recensement électoral de 2022-2023 où 575 489 nouveaux requérants avaient été enregistrés sur la liste électorale provisoire ».

En novembre 2024, le président exécutif du PPA-CI, Dano Djédjé qui a rencontré le président de la CEI, M. Kuibiert pour discuter des sujets qui font l’objet de crispation dont la non inscription de Laurent Gbagbo sur la liste électorale, n’avait pas manqué de plaider pour que le représentant du PPA-CI, actuellement membre du bureau de la CEI, soit désigné vice-président comme les autres représentants de partis politiques. Preuve que sa préoccupation n’était pas que la transparence du scrutin.

Et, de toute évidence, ce double discours rend l’opposition non crédible. Le président d’Action pour la promotion des droits de l’homme (APDH) ne cache d’ailleurs pas son amertume sur cette question quand les ONG ivoiriennes plaident pour des élections justes et transparentes devant les organisations internationales et les ambassadeurs accrédités en Côte d’Ivoire. « Ils nous répondent toujours inlassablement que l’opposition est membre de la CEI »