Côte d’Ivoire : le lent suicide de Laurent Gbagbo

Au terme d’une longue réunion qui s’est achevée tard dans la soirée du 6 novembre, le Comité central du Parti des peuples africains -Côte d’Ivoire (PPA-CI), le parti de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo a tranché : il n’ira pas aux élections législatives du 27 décembre prochain.

Venance Konan

Les raisons principales évoquée sont les conditions d’élections crédibles qui ne seraient pas réunies et l’environnement socio politiques jugé délétère et ne s’y prêtant pas. Dans une intervention publiée peu de temps après le communiqué, Laurent Gbagbo a expliqué qu’il ne pouvait pas aller à ces élections dans la mesure où son parti n’a pas eu « le temps de pleurer ses morts ». « Le gouvernement, au lieu d’éloigner la date des élection législatives pour qu’on ait le temps de pleurer, de faire tout ça, il rapproche la date des élections, empêchant ainsi les gens de pleurer leurs morts, de savoir même dans quels lieus sont gardés leurs parents prisonniers. Il faut aux parents du temps pour inhumer leurs morts, il faut aux parents du temps pour s’habituer aux lieux où sont incarcérés leurs parents » a dit l’ancien président et pensionnaire de la prison de Scheveningen aux Pays-Bas.

Jusqu’à la publication de ce communiqué d’hier, le débat faisait rage entre ceux que Laurent Gbagbo a appelé les « Dreyfusards » et les « anti-Dreyfusards », à savoir entre ceux qui au sein de son parti voulaient aller aux élections et ceux qui s’y opposaient. Il y a quelques jours, Michel Gbagbo, fils de Laurent Gbagbo et député élu dans la commune de Yopougon, avait publiquement pris position pour la participation de son parti aux élections, en laissant entendre que ce serait la position de son père et président du parti. « Or, a dit ce dernier, tout le monde veut aller aux élections. Mais déposer les dossiers le 12 novembre, ce n’est pas sérieux par rapport à ce qui s’est passé. C’est pour ça qu’en ce qui me concerne, je suis contre l’élection à court terme. S’apprêter le 12 novembre pour aller aux élections en décembre, c’est couvrir la forfaiture qui a eu lieu. C’est couvrir les blessures et les morts qui ont eu leu d’un linceul dédaigneux. »

En prenant cette décision, Laurent Gbagbo et son parti fracturent le Front commun qu’ils avaient formé avec le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) dirigé par Tidjane Thiam qui lui, a décidé d’aller aux législatives. Les deux partis, dont les leaders avaient été écartés de l’élection présidentielle du 25 octobre dernier, avaient appelé leurs militants à s’abstenir de participer au vote et avaient même appelé à des manifestations partout sur le territoire. Si ce mot d’ordre fut très peu suivi, il y eut cependant des incidents avant et pendant le scrutin et l’on compta des morts dont le nombre varie selon le bord où l’on se trouve. Là où le pouvoir parle d’une dizaine de morts, Laurent Gbagbo lui, cite trente morts. Il y a eu quelques 700 personnes interpellées depuis le mois de juin, et une centaine d’entre elles ont été jugées et condamnées. Damana Adia Pickass, ancien secrétaire général du PPA-CI et actuel deuxième vice-président du conseil stratégique et politique de ce parti, coordinateur du Front commun, l’alliance formée entre son parti et le PDCI, qui avait appelé à l’insurrection générale, a été arrêté le 4 novembre et placé sous mandat de dépôt pour, entre autres, actes terroristes, assassinat, atteinte aux opérations électorales, participation à un mouvement insurrectionnel, attroupement armé ou non armé.

Que recherche Laurent Gbagbo en décidant de boycotter les législatives, contre, semble-t-il, le souhait d’une bonne partie de ses militants ? Mettre la pression sur le pouvoir ? Il est peu probable que le parti de l’ancien président, affaibli par le lâchage de son partenaire le PDCI et son émiettement, avec la séparation d’avec certaines de ses figures emblématiques telles que Simone Gbagbo, Affi N’guessan, Blé Goudé, Ahoua Don Mello, ait encore la force de faire de faire plier le président Ouattara qui vient de se faire réélire avec près de 90% de voix et qui a toutes les chances d’avoir une majorité très confortable dans la future Assemblée nationale. Compte tenu des nombreux avantages dont jouissent les députés ivoiriens, il est à parier que bon nombre de cadres du parti de Laurent Gbagbo iront tenter leurs chances de se faire élire en se présentant en candidats indépendants. De plus, les fonds alloués aux partis politiques étant fonction du nombre de leurs députés, le PPA-CI ne touchera désormais plus rien. Et les rangs de ses troupes pourraient sérieusement se dégarnir. L’ancien leader charismatique de la gauche ivoirienne se serait-il suicidé politiquement ? Cela en a tout l’air. Il avait annoncé qu’il se retirerait de la présidence du PPA-CI après les législatives. A-t-il décidé de saborder son parti avant de prendre congé de lui ?