Dans l’ « Affaire » Francis Ghilès, le dernier méli-mélo diplomatique entre l’Algérie et la France, le beau rôle revient à la Chine.
Des « spécialistes » qui viennent donner leurs avis sur tout et n’importe quoi pour peu qu’ils nourrissent les chaînes de télévision d’information en continu peuvent-ils encore provoquer des tensions diplomatiques comme cela se faisait parfois avant Internet ? Il faut croire qu’en Algérie la réponse est oui.
Le coupable à l’origine de cet énième méli-mélo médiatico-diplomatique entre l’Algérie et l’ancienne puissance coloniale s’appelle Francis Ghilès, sujet britannique et expert international des questions énergétiques en Méditerranée. De Barcelone où il est réside en tant que chercheur au Centre de relations internationales de Barcelone (CIDOB), ce collaborateur de longue date du Financial Times est invité par la chaîne de télévision France 24, en tant que chercheur et journaliste, à donner son avis sur la gestion la pandémie du Coronavirus par les trois pays du Maghreb.
Le panneau de la France 24 annonce la couleur : « Les pays du Maghreb face au manque de moyens ». Et, en skype, « le spécialiste » Francis Ghilès d’enfoncer le clou en jugeant que la Tunisie avec son président légitime tâtonne un peu comme tout le monde en Europe, mais s’en sort mieux que son grand voisin dirigé par des militaires corrompus.
Le coronavirus, alibi de la répression
Francis Ghilès accuse au passage le régime algérien d’avoir profité du confinement pour emprisonner des opposants politiques ( ce qui est absolument vrai ) et affirme que les aides chinoises accordées à l’Algérie pour lutter contre la pandémie ont été accaparées par les militaires ( sans preuves probantes). « Les 450.000 dollars d’aides à l’Algérie ont été détournés au profit de l’hôpital militaire de Ain Naadja » a-t-il avancé.
On ne sait pas si cette courte interview de Francis Ghilès a été vue et suivie par les Algériens, mais elle créa une réelle panique chez les décideurs. L’interview du spécialiste devient vite l’Affaire Francis Ghilès.
D’abord Alger proteste et le fait savoir avec tambours et zorna dans un communiqué largement diffusée par les médias « privés » et publics. « L’ambassadeur de France en Algérie a été convoqué, ce jour, 31 mars 2020, par M. le ministre des Affaires étrangères, qui lui a fait part des vives protestations de l’Algérie suite aux propos mensongers, haineux et diffamatoires à l’égard de l’Algérie et de ses autorités tenus, tout récemment, sur un plateau d’une chaîne de télévision publique française »
Le communiqué précise même que l’ambassade d’Algérie à Paris « a été instruite à l’effet d’intenter une action en justice contre cette chaîne de télévision et l’individu auteur des propos injurieux à l’égard de l’Algérie »Ensuite Paris réagit.
La réponse minimaliste du Quai dOrsay
Interrogée lors du point de presse hebdomadaire à propos de cette convocation, la porte-parole du ministère français des Affaires étrangères a répondu sèchement : « L’ambassadeur de France à Alger a rappelé que l’ensemble des organes de presse jouissent d’une totale indépendance rédactionnelle en France, protégée par la loi ».Les relations entre la France et l’Algérie n’étaient pas au beaux fixe depuis quelques temps, la pandémie du coronavirus ne fait que les exacerber.
Dans une interview accordée à la télévision algérienne, le président Tebboune a réaffirmer « l’amitié solide entre l’Algérie et la Chine » en précisant dans un message à peine codé « Que ce partenariat stratégique et exceptionnel avec la Chine ne plait pas à certaines parties ».
La presse algérienne proche des multiples officines du pouvoir attaque de son côté Francis Ghilès. Pour ne citer qu’un exemple édifiant et assez représentatif, le site DIA ( dernières infos d’Algérie), « Francis Ghilès, l’homme qui a provoqué la tension diplomatique entre Paris et Alger par son intervention sur France 24, n’est pas un novice en politique, pas un opposant franco-algérien à la recherche d’un buzz, mais une pointure de l’analyse géopolitique dans le Maghreb, qui obéit à un agenda bien tracé par quelques salons huppés de quelques capitales occidentales en désaccord avec Alger ». En guise de mise au point, le chercheur basé à Barcelone rappelle son histoire : son arrière-grand-père était l’imam de Tizi Hibel ( village situé dans la commune d’Aït Mahmoud, daïra de Beni Douala, dans la wilaya de Tizi Ouzou, ndlr) et il en a toujours été « très fier », affirme-t-il.
La Chine s’en mêle
Si Francis Ghilès avoue avoir commis parfois des erreurs « mes jugements ont parfois été défaillants », il estime le fait qu’on le soupçonne d’être un espion au service « de je ne sais qui » le fait sourire .« Ma moitié anglaise me fait songer à l’adage “on ne prête qu’aux riches”» conclue-t-il. Cette polémique n’aurait été qu’une poussé de fièvre comme on en a vu d’autres dans la tumultueuse histoire du couple France / Algérie, s’il n’y avait pas une troisième mi-temps inattendue. En effet, le jeudi 2 avril, L’ambassade de Chine en Algérie s’est fendu d’un communiqué on ne peut plus à charge contre Francis Ghilès : . « L’Ambassade de Chine en Algérie a remarqué qu’un certain Francis Ghilès, chercheur au Centre des relations internationales à Barcelone, avait tenu des propos mensongers, haineux, diffamatoires et pleins d’ignorance à l’égard de l’aide fournie à l’Algérie par une société chinoise et des efforts conjoints de la Chine et des pays amis comme l’Algérie dans leur lutte contre le COVID-19, lors d’une interview sur une chaîne de télévision française. L’Ambassade est profondément choquée et condamne fermement ses propos », peut-on lire dans le communiqué de l’ambassade.
Non seulement Pékin vole au secours d’Alger sur le plan sanitaire: le communiqué de l’ambassade précise que la Chine, à travers la société CSCEC, a offert son premier don de matériel médical, composé de 500000 masques chirurgicaux, 50000 masques médicaux de type N95, 2000 blouses médicales de protection, couvre-visage et gants médicaux, et respirateurs. Mais l’ambassadeur chinois a eu le feu vert pour légitimer la colère des officiels algériens contre la France. « Tous les complots visant à noircir l’aide chinoise et à saper la coopération entre la Chine et l’Algérie en semant la discorde entre les deux pays sont voués à l’échec. Le gouvernement et le peuple chinois seront toujours aux côtés du gouvernement et du peuple algériens et continueront à fournir des soutiens et aides à l’Algérie afin de lutter ensemble contre la pandémie », accuse le document.
L’Affaire Francis Ghilès prouve qu’un fait anecdotique peut révéler des bouleversements géostratégiques. Les oligarques algériens préféreront-ils se faire soigner à Pékin plutôt qu’à Paris désormais ? Rien n’est moins sur.
Reste une population algérienne frappée de plein fouet par la progression alarmante du coronavirus qui désormais atteint toutes les régions du pays : 986 cas confirmés et 83 décès, au décompte officiel de 2 Avril 2020.
La vidéo de l’itw : https://www.youtube.com/watch?v=PP–M7bKWc4