A regarder ces informations télévisées, qui sont relayées par de nombreuses chaînes tricolores, le monde arabo-musulman serait à feu et à sang et se dresserait comme un seul croyant offensé contre les impies français. N’exagérons rien !
« Manifestations anti Charlie, toujours autant de monde dans les rues », annonce BFMTV dans l’un de ses titres de son journal de la mi-journée de lundi. La caméra nous embarque au Pakistan où huit mille personnes sont descendues dans la rue la veille, deux mille à Karachi, six mille à Lahore. On y voit des barbus piétiner et brûler le drapeau français et le portrait de François Hollande. On enchaîne avec le Niger avec un gros plan sur un exalté qui crie « A bas Charlie » sur fond de paysage enfumé que l’on devine dévasté. Dans ce pays, on dénombre plusieurs morts et une dizaine d’églises dévastées. Ces images tournent en boucle depuis la veille. Avec une carte d’Afrique et d’Asie rouge de colère. Ce sont les pays où des manifestations anti-Charlie ont été recensées. A regarder ces informations télévisées, qui sont relayées par de nombreuses chaînes tricolores, les expatriés qui vivent dans ces pays auraient à compter leurs abattis, voire faire leurs valises. Fichtre, il faut vite ressusciter Charles Martel pour arrêter cette déferlante de haine.
Le verdict de la calculette
Cliquons sur pause pour repasser ces reportages au ralenti. Huit mille protestataires au Pakistan dans un pays musulman qui compte deux cent millions d’habitants, ça représente quel pourcentage de la population ? 0,00000004 pour cent, répond la calculette. Pas de quoi fouetter un chat, fut-il contaminé par la fièvre islamiste. Retour au Niger et vérification du nombre de manifestants. Ils sont quelques centaines à Niamey (trois cent affirment même des observateurs). Si peu et tant de dégâts ? La réponse à cette distorsion, on la trouve vite dans le contexte de politique intérieure nigérienne. Mahamadou Issoufou, le président du pays, fait partie des six chefs d’état africains qui ont défilé à Paris au côté de François Hollande. Ses opposants avaient prévu, de longue date, de manifester samedi contre lui, le même jour, où des anti-Charlie ont exprimé leur colère.
Une aubaine politique pour Issoufou dont la police n’a pas fait preuve d’un zèle excessif contre les casseurs. Ce qui lui permet aujourd’hui de jeter dans le même sac les opposants et les islamistes.
Zoom sur Grozny,
A Grozny, la capitale de la Tchétchénie, BFMTV nous annonce huit cent mille manifestants anti-Charlie. Une marée humaine. Selon des dépêches d’agence, on en compterait plusieurs dizaines de milliers Seulement. Un échec pour Ramzan Kadyrov, le président du pays et célèbre démocrate, qui avait appelé un million de ses compatriotes à descendre dans la rue. Dans son discours, il a ciblé Khodorkoski, l’oligarque russe, opposant à Poutine, qui avait demandé une publication mondiale des caricatures du prophète. Aucun doute, il s’agit aussi en Tchétchénie d’une opération de politique intérieure, menée en liaison avec le Kremlin, pour discréditer l’opposition. Mais les téléspectateurs de BFMTV n’en sauront rien.
Retour à la carte du monde rougie par la colère des Musulmans. Et, en la détaillant pays par pays, on en tremble. Un raz de marée de cinq à six cent manifestants à Jalalabad dans l’est du Pakistan, quelques centaines à Modagiscio en Somalie, une vague de quelques dizaines à Sanaa (Yemen), un tsunami de deux à trois mille à Alger et de deux mille cinq cent en Jordanie, quelques centaines à Khartoum (Soudan) et à Tunis, un millier à Dakar… Au total donc, en comptant large, quelques centaines de milliers de protestataires dans la planète. Sur une populations mondiale d’un milliard cinq cent millions de croyants. Qui ont été très souvent choqués par la publication de la caricature de leur prophète, sans pourtant l’exprimer violemment.
D’où la question : A quoi jouent ces chaînes de télé qui montent en épingle médiatique un phénomène très minoritaire ?