Autrefois perçus comme capables de bâtir une relation forte, Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune n’auront finalement pas réussi à surmonter les tensions historiques et géopolitiques entre la France et l’Algérie. Entre déclarations polémiques, affaire des influenceurs et réalignements diplomatiques, la crise actuelle entre les deux pays semble partie pour durer.
Décrit par plusieurs diplomates français comme un fin connaisseur de la politique hexagonale, Abdelmadjid Tebboune l’assure à maintes reprises lors de discussions privées, y compris avec un représentant du Quai d’Orsay : il est le seul dirigeant algérien à pouvoir s’entendre avec Emmanuel Macron pour mener la relation entre les deux pays vers une nouvelle ère.
Jusqu’à l’été 2021, les rapports entre les deux présidents sont, il est vrai, relativement amicaux. Ils engagent des discussions pour renforcer la coopération bilatérale et aborder les questions historiques sensibles. Le locataire de l’Élysée réalise plusieurs gestes symboliques liés à la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie : reconnaissance de l’assassinat de Maurice Audin, restitution des crânes de 24 résistants algériens décapités au XIXᵉ siècle et rédaction d’un rapport sous l’égide de Benjamin Stora, qui aboutira plus tard à la création d’une commission mixte d’historiens. Malgré ces actions entreprises par la partie française, des désaccords subsistent sur ce dossier épineux.
Les propos de Macron en septembre 2021, évoquant un pouvoir algérien « politico-militaire » qui cultive une « rente mémorielle », conduisent Alger à rappeler son ambassadeur en France pour consultations. La première étape de la crise diplomatique actuelle entre Paris et Alger est lancée.
Malgré les tensions, le président français effectue en août 2022 une visite officielle de trois jours en Algérie dont les résultats concrets, notamment en termes de partenariats économiques, sont jugés modestes, voire décevants par les autorités françaises. Le politologue tuniso-suisse Riadh Sidaoui ira jusqu’à ironiser sur le seul gain obtenu par Emmanuel Macron : une cassette du chanteur Cheb Hasni, offerte par le patron du mythique label de raï Disco Maghreb lors de son passage à Oran.
Après ce voyage, le président français fait part de sa lassitude à Benjamin Stora, l’un des plus précieux intermédiaires entre les deux pays. Selon Macron, il est temps de se montrer plus équitable avec le Maroc voisin, avec lequel les relations ont été exécrables ces dernières années. L’historien, qui n’arrive plus à joindre ses confrères algériens de la commission mixte, est lui-même victime d’articles à charge de la part de plusieurs médias de l’autre côté de la Méditerranée.
Après de longs mois d’échanges entre Paris et Rabat, Emmanuel Macron adresse le 30 juillet 2024 une lettre au roi du Maroc dans laquelle il déclare considérer que « le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine ». Le voyage d’Abdelmadjid Tebboune en France, programmé depuis mi-2023, est définitivement enterré.
Une guerre entre influenceurs
Alger annonce le rappel de son ambassadeur le jour même de la publication de la lettre envoyée à Mohamed VI mais les tensions s’accentuaient depuis l’année précédente. En février 2023, Amira Bouraoui, militante franco-algérienne connue pour son opposition au président Tebboune, parvient à gagner la France via la Tunisie avec l’aide des personnels diplomatiques et sécuritaires français, selon Alger. En août 2023, l’Algérie refuse une demande française de survol de son territoire dans le cadre d’une éventuelle intervention militaire au Niger.
Mi-novembre 2024, l’écrivain Boualem Sansal, qui développe depuis longtemps un discours particulièrement virulent à l’encontre de l’Algérie , est arrêté à sa descente d’avion puis incarcéré. Les motifs flous de cet emprisonnement traduisent davantage une volonté d’envoyer un message à Paris que de sanctionner un auteur qui est très largement désapprouvé en Algérie, notamment pour ses positions polémiques sur l’islam, son rapprochement avéré avec Israël et sa remise en cause fantaisiste des frontières algériennes.
L’homme, qui a récemment acquis la nationalité française grâce à l’intervention d’Emmanuel Macron, effectuait jusqu’ici des allers-retours fréquents entre les deux pays, sans jamais être inquiété. Alger, qui se plaint depuis des années de la générosité de Paris dès qu’il s’agit d’accueillir ses adversaires, a-t-elle ciblé Boualem Sansal afin d’obtenir l’extradition de plusieurs de ses ressortissants ? Youtubeurs islamistes, figures du Hirak, opposants politiques et autres polémistes : les exilés qui ont trouvé refuge sur le territoire français poursuivent leurs activités sans contrainte.
Hasard ou non, l’affaire dite des « influenceurs algériens » éclate durant cette période. Tout commence fin 2024 : Chawki Benzehra, un Algérien qui se revendique du Hirak, poste sur son compte X les vidéos les plus agressives de plusieurs de ses compatriotes également installés en France. Des documents dans lesquels on découvre principalement des propos violents tenus envers les opposants au gouvernement algérien par ces activistes, la plupart du temps en situation irrégulière. Les questions demeurent : ces influenceurs agissent-ils de leur propre chef ou ont-ils été « déclenchés » » dans le cadre d’une action coordonnée en vue d’installer, en France, une « guerre » entre pro et anti-gouvernement algérien ?
Un pouvoir algérien mystérieux
Depuis le début du mois de janvier, pas moins de huit de ces activistes ont été interpellés par les forces de l’ordre. Un seul, Mahdi B., a été condamné à une peine de prison ferme (huit mois) pour s’être vanté dans une vidéo « de vouloir commettre des actions violentes sur le sol français ». Le plus âgé d’entre eux, surnommé « Doualemn », a fait l’objet d’une tentative d’expulsion ratée vers Algérie, faisant monter la tension d’un cran avec le gouvernement français.
Officiellement, les deux pays n’ont pas rompu leurs relations diplomatiques mais la situation a rarement été plus critique qu’à l’heure actuelle. Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, particulièrement actif sur le dossier, concède n’avoir aucun interlocuteur sur le plan institutionnel, pas même avec son homologue algérien. La DGSE et la DGDSE (Direction générale de la documentation et de la sécurité extérieure), le service de renseignement extérieur de l’Algérie, n’échangent plus d’informations. Le président Tebboune refuse de prendre Emmanuel Macron au téléphone, idem pour l’ambassadeur de France à Alger.
Partisan de la politique du « bras de fer » avec l’Algérie, Bruno Retailleau évoque l’idée de durcir les conditions d’accueil des dirigeants algériens en France, où une large partie d’entre eux possèdent des intérêts. Problème : d’après des informations de l’Élysée, près de 30% de ces hauts responsables possèdent également la nationalité française…
Au-delà de ces blocages, les conseillers politiques d’Emmanuel Macron cherchent avant tout à percer les mystères du pouvoir algérien et à saisir l’équilibre de cet exécutif bicéphale qui ne dit pas son nom, composé d’Abdelmadjid Tebboune et de Saïd Chengriha, tous les deux bientôt octogénaires. Le premier, censé occuper le devant la scène, refuse d’être le faire-valoir des militaires, allant même jusqu’à menacer le second, chef d’état-major de l’ANP (armée nationale populaire), de démissionner à la suite de l’échec de l’adhésion aux BRICS. Une manière pour le président Tebboune de démontrer qu’il est capable de s’opposer à la stratégie prônée par les généraux. De son côté, celui qu’on surnomme « Tcheng », formé à Saint-Cyr, ne veut plus seulement assurer un rôle de garant du système et de gestion de « l’État profond ».
Depuis novembre 2024, Chengriha assure les fonctions de ministre délégué auprès du ministre de la Défense nationale, tout en conservant son poste de chef d’état-major de l’ANP. Une nomination qui marque une évolution notable dans la structure du pouvoir algérien, renforçant l’influence du puissant général au sein de l’exécutif. En Algérie, le rôle ministre de la Défense nationale était jusqu’ici traditionnellement assumé par…le président de la République.
Said Bensdira, youtuber et mercenaire, devrait être extradé vers Alger