Les principaux dossiers qui nourrissent les relations entre le Liban et la Syrie sont au nombre de quatre: (1) les réfugiés ; (2) les trafics ; (3) le rapport politique (domination ou égalité ?) ; (4) la reconstruction.
Une chronique de Malek El-Khoury
Les réfugiés syriens
Le Liban, pays de 4 à 4.5 millions de Libanais, « héberge » sur son territoire entre 1 et 1.5 millions de syriens. 20% de ses résidents sont des réfugiés d’un même pays. Il est évident que cette présence étrangère pèse sur un pays qui souffre déjà de problèmes économiques énormes. Il souhaiterait donc que ceux-ci rentrent chez eux. Evidemment pas pour les envoyer dans les prisons syriennes, mais dans des conditions acceptables, humaines, politiques et économiques.
Ces réfugiés sont majoritairement sunnites dont les hommes, pour la plupart, ont déjà fait leur service militaire. En tous cas savent manier les armes. Une double crainte pour le pays.
Leur présence au Liban est entretenue par la communauté internationale qui verse un montant mensuel aux familles syriennes leur assurant un minimum vital. Toutefois leurs conditions de vie ne sont pas idéales (camps souvent insalubres). Nombre de ces syriens, travailleurs, bosseurs, compétents, travaillent au Liban au noir à des prix de dumping. On peut facilement imaginer les crispations que cela provoque entre Libanais et Syriens, à commencer par « voler » le travail aux locaux.
Ces Syriens du Liban ont, de surcroît, récemment voté (en 2021) en bonne partie en faveur du gouvernement en place, celui de Bachar El Assad. Au moins ceux-là ne devraient pas avoir de problème politique pour revenir en Syrie. Pourquoi ne reviennent-ils pas ?
Or la communauté internationale ne semble pas pressée de les renvoyer chez eux. La Syrie aussi souhaiterait qu’ils restent au Liban pour garder une pression et un moyen de contrôle sur le pays du Cèdre. L’Arabie Saoudite (qui négocie actuellement avec la Syrie) ne semble pas non plus pressée de les ramener chez eux pour changer la démographie confessionnelle du Liban en faveur des sunnites. La seule carte de pression que le Liban pourrait avoir est celle de les lâcher en pleine mer pour les envoyer vers l’Europe. C’est une carte inhumaine difficilement acceptable par le Liban.
Les trafics de tous genres
Entre les deux pays, les trafics sont innombrables: essence, marchandises, médicaments, drogues, dollars, etc. Ils existent dans un sens comme dans l’autre depuis très longtemps et sont difficiles à contrôler, les frontières entre les deux pays étant extrêmement poreuses. D’autant plus que les deux pays n’ont pas de gouvernance adéquate ni des institutions capables (ou souhaitant) réguler le trafic transfrontalier.
Ce problème subsistera tant qu’une relation claire entre les deux pays n’est pas définie. Or celle-ci pourra difficilement s’établir avant que l’Arabie et la Ligue Arabe ne concluent leurs propres accords avec la Syrie. Ceux-ci permettront au Liban et à la Syrie de retrouver non seulement une stabilité politique, mais aussi un niveau de vie acceptable.
Le rapport de force politique
La relation entre le Liban et la Syrie qui fonctionne selon un rapport d’amour-haine, a beaucoup varié avec le temps. Pendant presque toute la guerre civile, la Syrie faisait la pluie et le beau temps au Liban. Elle « l’occupait » (avec une couverture officielle internationale) jusqu’en 2005. Depuis, la relation est tendue sans jamais être rompue. La Syrie n’a cependant pas totalement disparu de la scène politique libanaise. Sa présence est plus « discrète » (par les services de renseignements ou par proxy).
Depuis la guerre civile syrienne en 2011, le Hezbollah vient au secours de la Syrie et de son régime, surtout après 2014, date de la création de Daech (Etat Islamique). Evidemment cette « ingérence » d’une faction libanaise rend furieux une bonne partie de la population libanaise qui accuse encore une fois Hezbollah de prendre des décisions unilatérales engendrant des conséquences sur tout le pays.
Toutefois cette incursion dans les affaires du voisin syrien, combinée à d’autres facteurs, a éliminé les risques de l’infiltration de Daech au Liban. D’autant plus que Hezbollah a paradoxalement beaucoup collaboré avec l’armée libanaise pour éradiquer la présence, sur le territoire libanais, de cette nouvelle forme d’extrémisme régional. Hezbollah s’est beaucoup concentré sur les zones frontalières, autant en Syrie qu’au Liban, mais pas uniquement. Il considère donc que la Syrie lui doit partiellement sa survie.
Le gouvernement de Bachar a donc une dette envers Hezbollah (mais aussi envers les Iraniens, Irakiens, Kurdes, Turcs, Américains, Russes, etc.) pour lui avoir permis non seulement de rester au pouvoir mais aussi de récupérer une bonne partie du territoire perdu.
Aujourd’hui, la majeure partie des combattants de Hezbollah ont quitté la Syrie. Il ne reste que quelques conseillers ou postes d’observation, ou de relais entre l’Iran et le Liban.
La Syrie ayant retrouvé une certaine reconnaissance arabe, après avoir été mise au ban de la Ligue Arabe durant cette dernière décennie, voudrait dans le cadre des futurs accords avec son environnement, retrouver une certaine forme de domination sur le Liban. Ce qu’aucun Libanais n’accepterait à commencer par Hezbollah lui-même qui, depuis 2005 (date du retrait des forces syriennes du Liban), est devenu maître chez lui. Il ne voudrait pas se retrouver sous les directives de celui qu’il a « sauvé », d’autant plus qu’il est l’allié inconditionnel du « patron » de la Syrie.
Un nouveau bras de fer s’annonce entre les deux « frères » qui pourrait complètement changer la structure des alliances au Liban.
La reconstruction de la Syrie.
Le Liban voudrait avoir une part de gâteau consistante qui procurerait une grande bouffée d’air frais au pays. Tant que les sanctions ne seront pas levées, la majorité des entreprises libanaises ne pourront pas travailler en Syrie, même si certaines s’activent déjà chez notre voisin. D’autres entreprises, liées à Hezbollah et l’Iran, se soucient peu des sanctions et y travaillent déjà. D’autres encore tenteront de s’agripper aux accords avec les pays du Golfe. En tous cas, tout le pays attend la réouverture de ce juteux marché. Espérons qu’il ne tardera pas à venir.
On constate que la question de la Syrie est cruciale pour le Liban d’un point de vue social, économique et politique, pour ne pas dire militaire. Actuellement il s’agit d’un poumon malade, qui, nous l’espérons, pourra trouver rapidement un remède et être définitivement guéri de sa maladie qui est loin d’être irréversible.
Comme vous le savez, les Libanais ne perdent jamais espoir et moi encore moins que quiconque.