Des militaires ougandais déployés en République centrafricaine ont sexuellement exploité ou abusé d’au moins 16 femmes et filles depuis 2015, notamment en commettant au moins un viol, et ont intimidé certaines de leurs victimes pour qu’elles gardent le silence, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Des troupes ougandaises sont déployées dans le pays depuis 2009 dans le cadre de la Force d’intervention régionale de l’Union africaine chargée d’éliminer le groupe rebelle ougandais Armée de résistance du Seigneur (Lord’s Resistance Army, LRA), mais l’Ouganda a récemment annoncé qu’il allait retirer ses troupes.
Human Rights Watch a interrogé 13 femmes et 3 jeunes filles en 2017 qui ont décrit des sévices ou des abus qu’elles ont subis depuis 2010 de la part de militaires ougandais dans la ville d’Obo, dans le sud-est de la République centrafricaine, où les forces ougandaises étaient basées, et a recueilli des récits crédibles concernant d’autres cas. Deux de ces femmes étaient mineures lorsque cette exploitation sexuelle ou ces abus ont eu lieu. Deux femmes et une fille ont affirmé que les militaires les avaient menacées de représailles si elles dénonçaient ces abus aux enquêteurs ougandais ou à ceux des Nations Unies.
« Alors que les opérations militaires contre la LRA touchent à leur fin, l’armée ougandaise ne devrait pas ignorer les accusations de sévices sexuels et de viol portées contre ses militaires en République centrafricaine», a déclaré Lewis Mudge, chercheur auprès de la division Afrique de Human Rights Watch. « Les autorités ougandaises et de l’Union africaine devraient effectuer des enquêtes appropriées, punir les responsables et s’assurer que les femmes et les filles qui ont subi des abus ou des sévices sexuels bénéficient des services dont elles ont besoin. »
Quinze de ces femmes et filles ont affirmé qu’elles s’étaient retrouvées enceintes, mais dans chaque cas le militaire responsable de leur grossesse avait quitté le pays et ne leur avait fourni aucune aide.
Il est clair que ces 16 cas documentés par Human Rights Watch sous-représentent l’ampleur réelle du problème de l’exploitation et des abus sexuels commis par les forces ougandaises, non seulement parce que les violences sexuelles sont souvent passées sous silence mais aussi parce que d’autres acteurs, notamment les Nations Unies et des prestataires de services de santé locaux, ont documenté d’autres cas, a affirmé Human Rights Watch. En République centrafricaine, il est fréquent que les femmes et les filles ne signalent pas des violences ou des sévices sexuels qu’elles ont subis, en raison de la honte et du rejet de la communauté qui s’y attachent, ou par peur de représailles.
En 2016, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a fait état de 14 cas de viol par des militaires ougandais déployés en République centrafricaine, y compris des cas dans lesquels les victimes étaient des enfants au moment des faits. Quatre de ces cas sont parmi ceux que Human Rights Watch a documentés.
Selon un rapport interne des Nations Unies datant de 2016 que Human Rights Watch a consulté, les enquêteurs de l’ONU à Obo ont répertorié 18 cas de violences ou de harcèlement sexuels commis par des militaires ougandais contre des femmes et des filles qui avaient peur de donner des détails car elles craignaient des représailles. Ce rapport mentionne que les enquêteurs ont également obtenu des informations au sujet de 44 femmes et filles qui ont eu des enfants conçus par des militaires ougandais. L’équipe de l’ONU a interrogé 12 d’entre elles, toutes mineures.
En janvier 2017, la BBC a fait état de cas de viol commis par des militaires ougandais en République centrafricaine, dont celui d’une fillette de 12 ans qui a par la suite donné naissance à un bébé. L’armée ougandaise a déclaré à l’époque qu’elle avait effectué une enquête à Obo et n’avait trouvé aucune preuve d’actes répréhensibles.
Human Rights Watch a soumis le 20 avril au ministère ougandais de la Défense et des anciens combattants une liste de questions concernant ces allégations, y compris au sujet d’éventuelles enquêtes ou mesures disciplinaires, mais le ministère n’a pas répondu.
Plusieurs femmes et filles ont déclaré à Human Rights Watch que des enquêteurs de l’armée ougandaise les avaient interrogées au cours de l’année écoulée, mais qu’il n’y avait eu aucun suivi et qu’elles n’avaient aucune information au sujet de l’enquête.
Deux organisations locales, un responsable religieux et un journaliste basés à Obo ont également affirmé à Human Rights Watch que les forces ougandaises les avaient mis en garde contre l’idée de faire état de cas d’exploitation et d’abus sexuels.
La victime de viol interrogée par Human Rights Watch, âgée de 15 ans et prénommée « Marie », a affirmé qu’un militaire ougandais l’avait agressée en janvier 2016 alors qu’elle travaillait dans les champs à proximité de la base ougandaise située près de la piste d’atterrissage d’Obo. « Cet homme était seul … Je ne comprenais pas ce qu’il disait », a-t-elle dit. « Il m’a plaquée au sol [et m’a violée]. Après, j’avais vraiment mal. »
« Marie » s’est trouvée enceinte après ce viol et a accouché en novembre 2016.
Quinze des femmes et filles interrogées ont déclaré avoir eu des relations sexuelles avec des militaires ougandais en échange de nourriture ou d’argent, parce que le conflit qui se poursuit en République centrafricaine et leur déplacement forcé les avaient plongées dans la misère. Plusieurs d’entre elles ont indiqué que les militaires ougandais leur avaient offert nourriture et argent pour être leurs « épouses locales », ce qui impliquait avoir des relations sexuelles avec eux et s’acquitter de tâches ménagères. Quatorze de ces femmes et filles ont eu un enfant dont le père est un militaire ougandais. Toutes ont affirmé n’avoir reçu aucune aide de la part du militaire, et la plupart ont déclaré que leur situation sociale et économique s’était détériorée après la naissance de leur enfant.
Le viol, les relations sexuelles tarifées en échange d’argent, de biens ou de services, et les relations sexuelles avec des mineur(e)s de moins de 18 ans pratiqués par des militaires, des policiers ou des civils de l’Union africaine (UA) sont considérés comme des actes d’exploitation et des abus sexuels et sont interdits par l’UA. Celle-ci a proclamé une politique de tolérance zéro pour de tels actes.
Les femmes et filles, les prestataires de services de santé et les responsables locaux interrogés par Human Rights Watch à Obo ont affirmé qu’il était de notoriété publique dans la communauté que les militaires ougandais payaient pour avoir des relations sexuelles, et que des femmes et des filles se rendaient fréquemment en visite à la base militaire proche de la piste d’atterrissage. « Je pouvais passer la nuit à la base, il n’y avait pas de problème », a déclaré « Karine », une jeune fille de 15 ans rendue enceinte en 2016 par un militaire ougandais.
Le 19 avril 2017, le ministère ougandais de la Défense a annoncé le retrait de ses troupes de République centrafricaine, estimant que « la mission consistant à neutraliser la LRA a atteint son but. » Les forces ougandaises pourraient rejoindre la mission de maintien de la paix de l’ONU dans le pays, la MINUSCA, pour poursuivre certaines opérations contre la LRA, a ajouté le ministère.
La MINUSCA ne devrait pas envisager d’accepter des troupes ougandaises au sein de la mission de l’ONU avant que les allégations d’exploitation et d’abus sexuels n’aient fait l’objet d’enquêtes crédibles et que les auteurs d’abus n’aient été amenés à rendre des comptes, a déclaré Human Rights Watch.
Pendant leur déploiement à Obo, les forces ougandaises ont reçu une assistance dans les domaines logistique et du renseignement de la part des États-Unis. Le gouvernement américain devrait conditionner tout futur soutien à l’armée ougandaise à l’ouverture dans les plus brefs délais par l’Ouganda d’enquêtes approfondies sur ces allégations d’exploitation et d’abus sexuels en République centrafricaine et à la punition des responsables, entre autres préoccupations, a ajouté Human Rights Watch.
Les autorités ougandaises et de l’UA devraient faire de la sécurité et du bien-être des victimes une priorité dans leur réponse aux actes d’exploitation et aux abus sexuels, a poursuivi Human Rights Watch. Ceci devrait inclure des mesures afin d’assurer la sécurité des victimes, de préserver la confidentialité de chaque cas afin de réduire les risques de stigmatisation, de minimiser le traumatisme causé par des interrogatoires multiples, de leur assurer un accès en temps approprié à des soins médicaux et psychiatriques, ou psychosociaux, et de fournir un soutien socio-économique aux victimes abandonnées avec des enfants dont les géniteurs sont des militaires ougandais.
Les forces de l’UA en République centrafricaine ont commis d’autres crimes graves en toute impunité ces dernières années. En juin 2016, Human Rights Watch a publié des informations sur les meurtres d’au moins 18 personnes, dont des femmes et des enfants, par des militaires chargés du maintien de la paix originaires de la République du Congo. À l’époque, ces militaires congolais de maintien de la paix étaient sous l’autorité de la mission de l’UA en République centrafricaine, qui s’appelait la MISCA. L’UA a préparé un rapport interne sur ces meurtres mais elle n’en a pas publié les conclusions.
« L’Union africaine, ainsi que les pays qui lui fournissent des troupes, devraient faire preuve d’une totale détermination à punir l’exploitation et les abus sexuels dans les zones de déploiement de leurs troupes », a affirmé Lewis Mudge. « Ils doivent faire respecter la politique de tolérance zéro et empêcher que des abus soient commis à l’encontre des populations que ces missions sont chargées de protéger. »
Pour consulter d’autres communiqués ou rapports de Human Rights Watch sur la République centrafricaine, veuillez suivre le lien :
https://www.hrw.org/fr/africa/
Pour consulter d’autres communiqués ou rapports de Human Rights Watch sur l’Ouganda, veuillez suivre le lien :
https://www.hrw.org/fr/africa/